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Mozart, Mitridate, TCE – dimanche 25 mai 2025

Mozart, Mitridate, TCE – dimanche 25 mai 2025

dimanche 25 mai 2025

©Jean-Yves Grandin

” Venez, et recevez l’âme de Mithridate ” (Racine, Mithridate, Acte V scène 5)

En guise d’ouverture, trois interrogations quelque peu colériques : pourquoi les salles d’opéra optent-elles maintenant presque toujours pour un redécoupage des opéras avec la suppression des entractes prévus par les librettistes et les compositeurs, ce qui impose aux spectateurs des blocs d’une durée invraisemblable (la première partie de ce Mitridate égale ainsi le premier acte de Parsifal ou le dernier acte des Maîtres chanteurs !) ? Comble de l’aberration, pourquoi choisir d’arrêter la première partie de la représentation dont il est question ici juste avant le duo conclusif de l’acte II (alors que ce même duo, exécuté en conclusion d’une partie, aurait soulevé l’enthousiasme) ? Pourquoi enfin Christophe Rousset a-t-il choisi de ne faire chanter la cadence finale de ce même duo que par Aspasia (choix pour le moins étrange, et qui enlève de toute évidence la fusion opérée par le compositeur dans ce seul ensemble de la partition) ? Mystères…

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©Jean-Yves GRANDIN

Une fois passé ce triple questionnement chagrin, avouons que la représentation à laquelle nous avons assisté au Théâtre des Champs-Élysées fut merveilleuse en bien des points, et constitue, à nos yeux, le sommet de l’interprétation de cet opéra par Christophe Rousset et ses Talens lyriques en comparaison avec quatre autres exécutions de ce bijou par ce chef auxquelles nous avions eu la chance d’assister : à Lyon en version concert en 1998, au Châtelet en 2000, avec deux distributions différentes, et à Londres, en 2017.

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©Jean-Yves GRANDIN

À tout seigneur, tout honneur, commençons par le maestro. À Lyon, et en partie au Châtelet, la vision de cet opéra par Rousset, très nerveuse et vrombissante, avec des sonorités souvent acides, voire stridentes, n’avait pas vraiment convaincu. À Lyon, surtout, un rendu quelque peu hystérique avait même pu fatiguer l’auditoire – à la manière très univoque adoptée aujourd’hui par Minkowski. À Londres, avec un orchestre moderne, le soyeux, la tendresse, les jeux harmoniques avaient repris leur juste place. Au théâtre des Champs-Élysées, l’équilibre nous a semblé juste parfait. Les airs de fureur, de panique, de passion demeurent chargés d’électricité. Mais dès l’ouverture, et même dans les passages agités, un legato nouveau se fait jour, des coloris jaillissent des bois et des vents, les cordes jouent autant sur l’alacrité que sur la souplesse. Dans les moments de grande profondeur, comme “Pallid’ombre”, “Tu che fedel mi sei” ou “Lungi da te” l’orchestre se charge d’un pathos incomparable. À ce propos, le cor cacophonique de Lyon et du Châtelet qui alignait une ribambelle de couacs a laissé place à un solo juste magnifique. Grâce aussi soit rendue au maestro de démontrer que des opéras aussi exigeants vocalement (presque chaque air propose ici des folies vocales proches des airs de concert les plus démentiels du compositeur) appelle de grandes voix, rompues à des répertoires larges, capable de couleurs fauves et intenses, et qui emplissent la salle. Sur ce plan, la distribution proposée au théâtre des Champs-Élysées possède un niveau général qui surclasse toutes les distributions précédemment évoquées.

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©Jean-Yves GRANDIN

Dès son d’entrée, Jessica Pratt met la salle à ses genoux : aigus dardés avec insolence, abattage de la colorature, appui dans le registre grave du plus bel effet, implication émotionnelle constante. Si l’on ajoute des variations parfaitement exécutées, des suraigus interpolés stupéfiants, nous tenons là une Aspasia de référence. Avec une voix plus dense que Dessay ou que Ciofi (la cantatrice australienne aborde des rôles comme Lucrezia Borgia, complètement hors de portée pour ses consœurs), la Pratt éblouit dans les airs brillants (” Nel grave tormento ” crucifiant !), mais elle donne aussi tout son poids aux moments plus dramatiques dans lesquels sa science belcantiste alliée à son timbre font passer le grand frisson. N’oublions pas que la Bernasconi, créatrice du rôle, avait triomphé dans Alceste : voilà une indication forte sur la typologie vocale du rôle, que Christophe Rousset a parfaitement intégrée dans le choix de la cantatrice australienne.

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©Jean-Yves GRANDIN

Le rôle de Sifare nous a toujours paru bien ingrat : des défis incroyables en termes d’ambitus, des phrases d’une longueur inhumaine, mais une écriture qui possède moins cette séduction immédiate que pour les airs accordés à Aspasia, et qui par-là même soulève moins la foule. En somme, le même sort trop souvent réservé à Elvira en comparaison de Donna Anna ! Pourtant, Vanessa Goikoetxea réussit, contrairement à la Bartoli à Lyon, à ne jamais crier dans ” Soffre il moi cor ” ou dans ” Se il rigor ” – un exploit ! Elle possède une palette de nuances vraiment magnifique, avec une capacité à chanter un vrai piano sostenuto – et non un petit miaulement retenu comme d’autres cantatrices illustres – mais aussi à remplir la salle avec voix charnue, à la projection presque violente qui lui permettra bientôt d’aborder à Florence rien de moins que le rôle de Lady Macbeth ! Et pourtant, quel sens du phrasé mozartien dans ” Lungi da te ” ! De son côté, Rose Naggar-Tremblay n’est de prime abord pas mise en valeur dans son air d’entrée : ” Venga pur ” exige vraiment le placement vocal d’un contralto – ce qu’elle n’est pas, en dépit d’une couleur ambrée immédiatement séduisante. Mais chaque aria met progressivement en valeur toutes ses qualités vocales, son sens du drame aussi, et l’aria ” Son reo ” – qui passe le plus souvent inaperçu – possède la force requise. L’interprète, enfin, se transcende le temps d’un ” Già dagli occhi ” inoubliable. Ismene n’est pas du tout un rôle de second plan. À trois reprises, Mozart lui réserve maintes difficultés que Maria Kokareva résout avec une voix dense, très loin des oies blanches ou des petits sopranos légers qu’on nous impose ici trop souvent. Capable de mélismes de toute beauté, comme dans ” Tu sai ” – même si le souvenir des effets hypnotiques engendrés dans cet air par Sandrine Piau, à Lyon et au Châtelet, ou même par Lucie Crowe à Londres, reste difficile à égaler – la cantatrice rend justice à ce rôle de femme forte, au caractère bien dessiné. Mais les joies de la distribution ne s’arrêtent pas là ! Pour cette représentation Arbate est chanté par Nina van Essen, dont le visage et la texture même de la voix évoquent la pulpe de la jeune Mireille Freni, rien de moins ! Quant à Marzio, il interprète bien son aria en forme de parcours du combattant. Alasdair Kent s’en acquitte avec de grands mérites et une belle implication, cadences dans le suraigu comprises !

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©Jean-Yves GRANDIN

Michael Spyres a définitivement marqué le rôle le titre de son empreinte indélébile. Physiquement, vocalement, il a atteint une forme d’idéal, dépassant même peut-être les rêves les plus fous du compositeur ! C’est dire la difficulté pour un ténor de relever le défi à l’heure actuelle. Levy Sekgapane a finalement été retenu, après l’annulation de Sergey Romanovsky puis de Siyabonga Maqungo. Sa typologie vocale, celle d’un contraltino rossinien à la manière d’un Florez, voix d’une facilité déconcertante dans le registre aigu et suraigu, ne correspond pas à celle du baryténor attendu ici. Inutile de gloser de manière interminable sur les graves étouffés de l’air d’entrée ou carrément hors de portée dans ” Tu che fedel mi sei “, l’interprète, parfaitement conscient de cette limite, réussit à la transcender ; en effet il fait le choix de garder une émission naturelle, claire, haute, lumineuse. Avec une sensibilité constante, la volonté de faire de la musique, d’incarner un personnage, avec une énergie jamais prise en défaut, une générosité vocale qui lui fait oser toutes les cadences les plus folles, l’interprète finit par relever un sacré défi et par pleinement convaincre. Voilà comment, presque en magicien, ce chanteur peut remporter une magnifique victoire, à la force de sa volonté d’artiste, en pleine possession d’une technique aguerrie, et avec la capacité à faire entendre les battements de son cœur à travers les notes qu’il chante. Bravo !

Une représentation de très haut vol, que nous placerons en tête de nos multiples expériences en salle pour cet opéra. Une soirée qui fera Mitridate.

Laurent Arpison

25 mai 2025.

Direction : Christophe Rousset
Les Talens Lyriques

Mitridate : Levy Sekgapane 
Aspasia : Jessica Pratt 
Sifare : Vanessa Golkoetxa 
Farnace : Rose Naggar-Tremblay 
Ismene : Maria Kokareva 
Marzio : Alasdair Kent
Arbate : Nina van Essen 

 

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