Et voici une nouvelle baguette notoire dans le monde de la direction d’orchestre. Nous l’avons découverte dimanche à Monaco à la tête du Philharmonique. C’est celle d’un chef letton, Andris Poga. On vous assure, ce letton étonne, ce letton est bon ! Ce letton donne le ton. Il dirigea splendidement dimanche, la symphonie monumentale et délirante Manfred de Tchaïkovsky.
Tchaïkovsky s’y abandonne aux excès du romantisme. Il raconte avec force roulement de timbales et coups de cymbales l’histoire du héros de Byron qui a tué sa fiancée, sollicite les forces du mal, rencontre une fée et finit par être apaisé par le fantôme de sa bien aimée. Tchaïkovsky a prévu un orgue, à la fin. Mais nous n’y avons pas eu droit, la partie finale ayant été remplacée par une reprise de la coda du premier mouvement–et cela sans que le public ne soit prévenu de cette amputation de la partition. Il n’empêche, ce fut un concert magnifique. Au delà du talent du chef, il y avait la qualité de l’orchestre. Et de ses solistes. Impressionnant pupitre des cors avec, au premier rang, son soliste Patrick Peignier !
Même chose pour le bataillon des bois. Là haut, au sommet de l’orchestre, au milieu des tonnerres, trônait celui qui fait notre admiration concert après concert : le percussionniste Julien Bourgeois. Il faut l’observer sélectionner ses mailloches pour trouver celle qui conviendra le mieux à chaque intervention. Il prépare son coup avec minutie, l’anticipe avec soin. Rien n’est laissé au hasard. Il accompagne sa frappe d’un geste élégant ou violent qu’il poursuit jusque dans le rebond. Il peut nous produire tout l’éventail des intensités, depuis la douceur feutrée jusqu’au fracas tonitruant. C’est un plaisir de le voir – et de l’entendre.
Le violon solo était Liza Kérob. Elle ne se contente d’être le chef de file que l’on suit avec confiance. Elle s’engage au-delà des notes. Elle « vit » sa musique : on l’imagine tour à tour dans le rôle de la fée qui fascine Manfred ou de la femme aimée qui lui apporte la sérénité. Elle se plonge dans l’histoire que raconte Tchaïkovsky et, derrière elle, tout l’orchestre s’engage dans la magie de la musique.
En première partie du concert, on entendit dans le 5ème Concerto de Mozart la belle Arabella Steinbacher, apparue dans une robe-bustier écarlate qui dénudait ses épaules et ses bras et qui se terminait, derrière, par une traîne en tulle. On fut ébloui par le jeu ailé de la violoniste. Ces ailes étaient des ailes d’anges.
Ce n’est pas pour rien que le titre du concert était « Enfer et paradis ». Ici, il s’agissait du paradis.
André PEYREGNE