La cave voûtée de ce mythique théâtre des Grands Boulevards sert d’écrin à ce spectacle musical, signé Frédéric Lepage, qui célèbre la rencontre de deux génies de la fin du 19ème siècle : Marcel Proust et Reynaldo Hahn.
Le décor se compose d’un dispositif scénique simplifié : d’un côté le piano sur lequel le musicien et compositeur s’accompagnera et chantera ; de l’autre côté une banquette de fiacre sur laquelle le second personnage (cocher de son état, témoin et narrateur de l’intrigue) nous fera revivre la passion entre ces deux hommes. Nous sommes en 1894 rue Monceau chez Madame Lemaire ; elle reçoit, et parmi ses invités se trouve Reynaldo Hahn, coqueluche des salons parisiens. Trois ans séparent les deux jeunes hommes, c’est le coup de foudre instantané entre Marcel et Reynaldo.
Leur relation amoureuse se concrétisera lors d’un séjour au château de Réveillon chez la même hôtesse, qui favorise alors leur idylle.
Ils partagent la même passion pour l’art, la musique, la poésie et la littérature.
Notre musicien se fait connaître en mettant Hugo, Verlaine ou Baudelaire dans de délicieuses mélodies, tandis que Marcel écrit Les Plaisirs et les Jours.
Le volumineux courrier adressé à Marcel demeure hélas introuvable, à l’inverse de celui de l’écrivain dont les précieux écrits furent conservés et publiés.
L’homosexualité restant un sujet tabou à la fin du 19ème siècle, leurs virées diverses (cf. le voyage en Bretagne à Belle-Ile chez Sarah Bernhardt) devaient se dérouler dans la plus grande discrétion.
Une passion de deux ans, parsemée de disputes et de tromperies, fait alors place à une indéfectible amitié qui durera jusqu’au départ de Marcel en 1922.
Cette invitation théâtrale et musicale offre avec une émotion – non dénuée d’humour – une reconstitution fidèle de ce que nos deux grands hommes sont censés avoir vécu.
La réussite de l’entreprise repose évidemment sur l’écriture ciselée, que nous avons appréciée, ainsi que sur l’interprétation du narrateur témoin de ces tranches de vie (Jean-Christophe Brétignière).
Notre coup de cœur revient au jeune Thomas Marfoglia, fin musicien, comédien sensible que nous découvrons dans un registre assez inattendu.
Il nous avait beaucoup divertis dans de nombreux rôles de fantaisiste d’opérettes, tels que Célestin (L’Auberge du Cheval Blanc), Bastien (Ta bouche) ou plus récemment Toinet (Un de la Canebière). Aujourd’hui un artiste complet émerge qui nous surprend par sa profondeur de jeu.
La musique et les mots de Marcel et Reynaldo ont brillement résonné ce soir-là devant un public conquis. Ces deux génies de la musique et de la littérature nous apparaissent sous un nouveau jour, plus intime.
Saluons enfin la discrète et cependant efficace mise en scène d’Emmanuel Marfoglia.
Philippe POCIDALO
04/05/2023.
http://theatredugymnase.paris/marcel-et-reynaldo/