En sortant de cette matinée du 16 octobre 2016 et après s’être plongé, pendant plus de quatre heures, dans les troublants délices de la partition du « chevalier au cygne », on ne pouvait se rendre qu’à l’évidence : à en juger par une salle pleine à craquer, même pour une version concertante, le retour d’un opéra intégral de Wagner était devenu une impérieuse nécessité pour le public lyricophile montpelliérain !
En effet, Lohengrin à l’Opéra de Montpellier, c’est tout de même une histoire qui remonte à 1892 mais qui s’était interrompu en 1993 – il y a 23 ans donc ! – date à laquelle le chef autrichien Friedemann Layer, alors directeur musical de la maison, en avait assuré la dernière exécution scénique. Certes, le goût du public montpelliérain pour le maître de Bayreuth avait encore eu l’occasion de se manifester dans les années quatre-vingt-dix, avec de mémorables éditions de Tristan et de Parsifal, mais, depuis lors, plus rien !
La crise, financière et morale, traversée par l’institution depuis maintenant plusieurs années, et dont un rapport publié en septembre dernier par la Chambre Régionale des Comptes constitue un énième épisode, nécessite de la part de la nouvelle équipe, animée par Valérie Chevalier, une rigueur budgétaire et une volonté de redressement que l’on ne peut qu’encourager dans ces lignes. De fait, Lohengrin constitue l’un de ces ouvrages idéaux pour fédérer autour de sa réalisation, les infrastructures orchestrales (93 musiciens) et chorales (31 choristes renforcés par le chœur Angers Nantes Opéra et un chœur de voix blanches) d’une maison d’opéra.
Désigné chef principal de l’orchestre national depuis la saison précédente, le danois Michael Schonwandt est l’homme de la situation : redonnant à un orchestre -dont on connait depuis longtemps les grandes qualités- toute la confiance indispensable pour affronter le défi du « continent » Wagner, c’est avant tout à lui que l’on doit la pleine réussite d’une matinée où il aura su varier l’infinie palette de nuances d’une
partition qui en regorge, faisant passer « son » orchestre de « l’éther vaporeux qui s’étend », pour reprendre ce que Liszt écrivait du prélude, au volet épique des sonneries rutilantes du troisième acte. Avec un tel chef au pupitre, le chœur- si sollicité dans l’ouvrage ! – nous entraîne aussi sur des sommets musicaux : on n’oubliera pas de si tôt le poignant crescendo final, au deuxième acte, parfaitement dosé, qui vient s’élever pour accompagner l’entrée dans la cathédrale du couple Elsa-Lohengrin.
Aussi, la version de concert n’est ici nullement handicapante, bien au contraire, pour qui veut se plonger dans les richesses de l’ouvrage. Il en est d’ailleurs de même pour les voix. Sans disposer d’une distribution de stature internationale, le plateau réuni pour cette représentation est des plus homogènes et mérite une écoute où l’œil ne sera nullement dérangé par la scénographie.
Dès le « lever de rideau », on est agréablement surpris d’entendre efficacement « sonner » la voix d’Alexandre Duhamel en héraut : un baryton français dans Wagner, cela mérite d’être d’emblée salué ! Le roi Henri l’Oiseleur, chanté par le hongrois Levante Páll, est également parfaitement en situation et, sans avoir une voix énorme, sait se montrer toujours vaillant dans les moments où la masse orchestrale-et les cuivres en particulier ! – le met à rude épreuve.
Pour réussir une grande représentation de Lohengrin, il est indispensable de disposer d’un « couple maudit », Telramund-Ortrud de pure extraction. C’est sans aucune réserve le cas ici puisque si Katrin Kapplusch, déjà familière de l’écriture wagnérienne, chante là sa première Ortrud avec une voix glorieuse- en particulier dans des imprécations au deuxième acte qui nous laissent « scotché » au fauteuil ! – le Telramund de Gerd Grochowski est un habitué du rôle, qu’il a gravé pour le dvd dans la production pour Milan de Patrice Chéreau et dont il connait les nombreux écueils, dans la déclamation et la partie aigue.
Distribuer les deux rôles principaux de l’opéra est aujourd’hui l’une des grandes difficultés des directeurs de théâtre dits de « province ». Elsa nécessite en effet un grand soprano lyrique qui soit à la fois capable de vaillance dans le sublime duo de la chambre (où la partie aigue est sollicitée) et à même d’alléger le matériau pour bien négocier les passages élégiaques nombreux de la partition – et ce, dès le célèbre « rêve » – tout en ne perdant jamais de vue que, psychologiquement, le personnage est complexe et évolutif tout au long des trois actes. Avec la jeune britannique Katherine Broderick, Montpellier marque un très grand coup! Bénéficiant d’une voix longue, aux inflexions infinies et sachant parfaitement s’élever et planer au dessus du chœur, cette Elsa rappelle irrésistiblement une certaine Margaret Price, comme Michael Schonwandt, visiblement conquis, nous le précise à l’issue de la représentation. Assurément, une interprète à suivre.
Enfin, le viennois Norbert Ernst était programmé en chevalier au cygne. Titulaire de la troupe de l’Opéra de Vienne, ce ténor a su gagner la partie, en tenant l’endurance d’un rôle écrasant dont il faut bien avouer qu’il demeure l’un des plus exigeants du répertoire de ténor lyrique. Disposant des moyens du rôle, à l’exception peut-être, par instants, d’un manque de volume, Norbert Ernst a la voix claire et souple que
l’on est en droit d’attendre pour délivrer le portrait musical mystérieux qu’il convient à l’envoyé du Graal. Bénéficiant, en outre, d’une excellente projection qui lui permet de conduire à bon port les trois actes de l’ouvrage, ce ténor emporte l’adhésion malgré un incident de parcours lors du « récit du Graal » … pécher véniel vu la densité de sa partie chantée !
Au final, applaudissements nourris et nombreux rappels pour un retour triomphal de Wagner sur ses terres montpelliéraines ! A poursuivre donc… même en version concert !
Hervé Casini
16 octobre 2016