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Les Pêcheurs de Perles à l’Opéra de Saint-Étienne

Les Pêcheurs de Perles à l’Opéra de Saint-Étienne

dimanche 4 février 2024
© Cyrille Cauvet

Dès le soir de sa création l’ensemble de la critique avait mis le doigt sur le gros point faible de cet ouvrage d’un jeune compositeur de 25 ans, nommé Georges Bizet, revenu depuis peu de la Villa Médicis : le livret. Le temps a passé mais le constat demeure le même. Michel Carré et Eugène Cormon ont fourgué au jeune Bizet un texte intordable tant sur le fond que sur la forme et dont Aimé Maillart n’avait pas voulu, pour cause. C’est un ramassis de poncifs tant dramatiques que « poétiques », vague resucée de la Vestale, à la sauce exotique (Ceylan, mais c’était au départ le Mexique!), croisée avec l’archi-poussiéreuse « croix de ma mère », ici un collier (de perles sans doute). Quant au texte lui-même il est fait de bric et de broc : tantôt on s’y exprime en alexandrins ronflants : « D’un noir pressentiment ton cœur est agité/Eh bien, fuis ce rivage où le sort nous rassemble/Reprends ta liberté ! », tantôt on s’y abandonne à un style troubadour qui ne recule devant aucune image « De mon amie/ Fleur endormie/Au fond du lac silencieux/J’ai vu dans l’onde/ Claire et profonde/Étinceler le front joyeux/Et les doux yeux ». Et que dire de la digne et chaste vestale qui conclut son duo amoureux sur les mots d’une bourgeoise volage entendant les pas du mari dans l’escalier : « Partez ! Partez vite, je tremble ! ». On y fait rimer dans une audace répétée « voilée avec étoilée », « voile » avec « étoile » et « ombre » avec « sombre ». Tout est à l’avenant.

On est attendri par le travail considérable du jeune compositeur qui ne sait pas trop par quel bout prendre cette chose dont dépend pourtant la suite de sa carrière. En fait il montre tout ce qu’il sait faire, tout ce qu’il peut faire, faute de trouver de quoi alimenter une inspiration continue. Fort de sa culture musicale il cherche des modèles dans ce qui s’est fait avant lui. On y reconnaît aussi bien la manière de Donizetti dans le bel air de Leïla où les cors à l’orchestre évoquent plus les brumes écossaises ou les sombres forêts germaniques que les rivages de Ceylan, on y retrouve des échos de Meyerbeer, de ses pompes et de ses œuvres, dans les ensembles du dernier acte, les récitatifs ne sont pas sans rappeler Gounod. On pourrait poursuivre le jeu qui n’offre en soi guère d’intérêt. Heureusement parfois l’inspiration mélodique émerge brillamment. C’est banalité que rappeler le succès durable et justifié du duo Zurga-Nadir ou de la « romance » de Nadir au premier acte. Le reste pris séparément ne manque pas de charme ni de force, mais ne trouve jamais d’unité et se présente comme une suite de numéros cousus bout à bout dans un décousu général.

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© Cyrille Cauvet

Pourquoi ce long préambule avant d’en venir à la production des Pêcheurs de perles à Saint-Étienne ? C’est que seule la mise en scène peut sauver cet ouvrage de la ringardise, en dépit de ses belles pages. Maintenir le fourbi exotique est aujourd’hui impossible sans sombrer dans le ridicule. Ce qui frappe immédiatement dans le travail de Laurent Fréchuret c’est qu’il a été dicté d’un bout à l’autre par la musique. Très intelligemment le décousu pénible des Pêcheurs de perles est récupéré comme fil d’Ariane d’une forme de collage de numéros de « scènes à faire » . Qu’importe l’anecdote générale puisqu’elle est sans aucun intérêt ? Elle demeure en palimpseste, rien de plus. La cohérence est ailleurs, dans une forme d’inspiration d’images en acte qui – hors contexte anecdotique – accompagnent un cheminement de l’obscurité vers la couleur, du métallique rigide vers la libération plastique et presque aléatoire des formes. Le côté couleur locale est expédié d’emblée par la projection, pendant le prélude, de très belles images d’authentiques pêcheurs de perles qui, au lever du rideau, se réduisent à la projection sur un bout de drap blanc du travail de ces vrais damnés de la mer devant un public de damnés de la terre.

On a quelque crainte devant cette salle métallique, salle « des pendus » (le public stéphanois sait de quoi il s’agit). On redoute de se trouver devant un nième emploi de ce style industriel revisité cher aux décorateurs d’intérieurs gentrifiés voués à une chromophobie de bon goût, heureusement désormais moribonde. En fait une étroite échappée peu à peu élargie ouvre sur une immense toile peinte qui finira par occuper tout le fond de scène. Cela se fera peu à peu, grâce à l’intervention de l’artiste peintre Franck Chalendard qui sans fracas, mais obstinément, fait naître des formes colorées de plus en plus luxuriantes sur toute la hauteur des parois noires. C’est comme un bourgeonnement inexorable qui prend des allures de libération.

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© Cyrille Cauvet

Au milieu des costumes sombres et pauvres l’apparition d’une Leïla telle que le voudrait une illustration de l’exotisme de pacotille, robe moulante rouge sous un tulle candide, est aussi une échappée vers autre chose. Si le terme n’était pas aussi galvaudé on parlerait d’onirisme. C’est pourtant sans doute le mot juste. Il ne s’agit pas là de chercher quelque lecture particulière, si ce n’est le rapprochement du départ entre plongée sous mer et plongée sous terre. Le reste est fait d’images qui collent à la musique dans son expression dramatique. On pourrait en citer plusieurs, on retiendra celle de Leïla, haut perchée au sommet d’une structure métallique faites de poutres tandis que Nadir couché sur un pauvre lit de repos semble la voir dans sa rêverie. Il finira par la rejoindre au sommet de cette tour tandis que l’ensemble se met à tourbillonner lentement et que couleurs et formes explosent autour d’eux. On est bien loin des rivages d’opérette du livret. C’est la musique qui mène le jeu. À rebours c’est quasiment devant le rideau que Zurga et Leïla jouent leur scène dramatique comme pour une version de concert car, au fond, rien d’autre n’importe que la confrontation mélo-dramatique.

Ajoutons à cela une direction d’acteurs soignée et qui ne laisse rien au hasard.

Cela a un impact fort sur l’interprétation vocale. Disons-le tout de suite le trio constitué par Catherine Trauttmann, Kévin Amiel (Nadir) et Philipe-Nicolas Martin (Zurga) emporte la conviction. Frédéric Caton assume avec rigueur le rôle peu gratifiant de Nourabad. L’adéquation des voix aux rôles est parfaite, l’unité stylistique est remarquable. La Leïla de Catherine Trauttmann déploie une voix riche de grandes potentialités (on aimerait l’entendre dans Strauss). En sacrifiant un peu parfois l’articulation, elle passe sans mal d’un style très mélodique tout en nuances avec quelques délectables sons filés à la Bellini, à un chant à vocalises brillant avant d’affronter, le moment venu, un chant hautement dramatique dans sa confrontation avec Zurga. Kevin Amiel est capable d’allier une émission toute en clartés avec un souci constant de ciseler les états d’âme contrastés de son personnage. Ceci donne une remarquable interprétation de sa romance, dont le texte, pour une fois, présente quelques délicatesses même si elles demeurent de manière. Il faut un beau sens de la force poétique d’un mot tout simple sublimé par la mélodie pour chanter un « Ô nuit » comme il l’a fait. Le Zurga de Philippe-Nicolas Martin est le type-même de baryton à la française, capable de beau chant émaillé de quelques obstacles perfides solidement affrontés. Il faut souligner sa maîtrise de l’art moins spectaculaire mais tout aussi difficile de la déclamation lyrique. Il parvient ainsi à insuffler quelque puissance dramatique à des récitatifs musicalement beaux et textuellement à la limite de l’indigence. Ce n’est pas un mince exploit. Ce souci de maintenir une déclamation lyrique bien conduite est assez impressionnante dans la façon dont est mené le récit sur lequel débute « au fond du temple saint ». Bizet y a trouvé une réelle inspiration souvent négligée au profit du plus spectaculaire « Oui, c’est elle… » sur lequel elle débouche.

Ceci nous permet de faire la liaison avec la direction de Guillaume Tourniaire à la tête de l’Orchestre de Saint-Étienne. C’est, dans ce dernier exemple, un dosage méticuleux, très maîtrisé, d’abord fait d’une grande retenue, pour conduire peu à peu à une montée irrésistible en puissance et en couleur. Leïla, créature musicale est déjà là. Cette belle direction entre en symbiose avec les choix de mise en scène et de direction d’acteurs. Guillaume Tourniaire entre dans le jeu en adoptant pour chaque volet de cette forme de collage la lecture qui correspond au patchwork de styles auquel le jeune Bizet s’est accroché. Ainsi alors que l’accompagnement de la romance de Nadir est conduit par le chef avec une délicatesse, un ciselé, d’une grande poésie rendant justice à la finesse de la partition, il n’hésite pas à déchaîner des flots de décibels à l’orchestre sans reculer, lorsque cela s’impose, devant le côté tout de même un peu clinquant de ce qui prend des allures de Grand Opéra à la française. L’efficacité passe au premier plan et l’auditeur y trouve son compte.

Comme d’habitude les chœurs de Saint-Étienne font preuve d’un bel engagement. Grâces soient rendues à Laurent Touche qui les cornaque.

Gérard Loubinoux

4 février 2024

Direction Musicale : Guillaume Tourniaire

Mise en scène : Laurent Fréchuret

Scénographie décors : Bruno de Lavenère

Lumières : Laurent Castaing

Création maquillage et coiffure : Corinne Tasso

Assistante mise en scène : Sophie Jacquet

Régisseur de production : Jean-Christophe Mast

Distribution : 

Leïla : Catherine Trauttmann

Nadir : Kévin Amiel

Zurga : Philippe-Nicolas Martin

Nourabad : Frédéric Caton

Avec le présence du peintre Franck Chalendard

Figurants : Vincent Chappet, Nitya Peterschmitt, Édith Saulnier

Orchestre symphonique Saint-Étienne Loire

Chœur lyrique Saint-Étienne Loire Direction Laurent Touche

Nouvelle production Opéra de Saint-Étienne

Costumes et décors réalisés par les ateliers de l’Opéra de Saint-Étienne

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