Le chef finlandais et l’Orchestre de Paris enchantent le très exigeant public de la Philharmonie de Berlin avec des œuvres de Berio, Salonen et Sibelius, surnommé « le branquignol » par Adorno. Commence ainsi la Fête de la Musique se déroulant chaque année parmi la capitale allemande. Elle durera jusqu’au 23 septembre. La venue de Salonen, un Finlandais adulé, aura suscité une somptuosité sonore portée par des instrumentistes parisiens rompus à toutes sortes de difficultés. Au cours d’un bis consacré à Ravel, le raffinement des cordes en matière de traitement harmonique de leurs voix intermédiaires aura confiné à la magie.
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Avant l’Orchestre philharmonique de Radio France, l’Orchestre des Champs-Élysées et les Siècles, l’Orchestre de Paris aura été – par ordre chronologique – la premières des formations françaises à se faire entendre en ce tout début de saison dans les murs de la glorieuse Philharmonie de Berlin. Ces concerts s’intègrent à une programmation de très haut niveau, caractérisant les Fêtes de la Musique se déroulant toujours en septembre. Elles ont la précieuse qualité de mêler des œuvres du répertoire avec des partitions du 20ème siècle et des créations. Cette ligne de conduite aura permis, sous la direction d’Esa-Pekka Salonen, de marquer notamment le centenaire de naissance du compositeur italien Luciano Berio. La soirée se sera ouverture sur Requies, œuvre pour orchestre de chambre d’une quinzaine de minutes. Elle date de 1984, a été conçue comme un hommage à la soprano et ex-épouse de Berio – l’Américaine Cathy Berberian (1925-1983) – et se distingue par un impressionnisme fragile à l’extrême finesse. Il tombe sous le sens qu’elle faisait contraste avec les deux pics de la musique finlandaise inscrits au reste du programme.
Suivait la création allemande du Concerto pour cor et orchestre d’Esa-Pekka Salonen, donné en création mondiale au Festival de Lucerne le 30 août dernier. Écrit en l’espace de dix-huit mois, ce bijou absolu confine au chef-d’œuvre. Il est le résultat d’une commande collective, passée à Salonen par sept institutions majeures d’Allemagne, de Finlande, des États-Unis, de Suisse et de Hong Kong. Comme à Lucerne, le corniste Stefan Dohr – dédicataire de l’œuvre – et l’Orchestre de Paris ont été les interprètes inspirés de ce parcours hors du commun. Premier cor de l’Orchestre philharmonique de Berlin, le jovial Dohr compte Salonen parmi les huit compositeurs ayant écrit pour lui. Mais les deux hommes ont un autre dénominateur commun. La vedette finlandaise de la direction d’orchestre a d’abord étudié le cor. Dès lors, Salonen effectue des clins d’œil à des partitions de référence, tout en demandant à l’instrument soliste des prouesses timbriques pouvant le transformer en une espèce de voix humaine. Deux de ces clins d’œil s’adresse au 2ème Concerto pour cor en mi bémol majeur KV. 417 de Mozart et au tout début de la 4ème Symphonie de Bruckner, là où la poésie romantique salue un instrument auquel Weber, Wagner ou Richard Strauss paient leur tribut. Contrairement à toute expectative, le concerto de Salonen ne comporte pas de cadences. Dohr déploie son savoir-faire royal sur un tapis orchestral somptueux et polymorphe. On n’est plus chez Berio, pas plus que chez Boulez. La planète baltique apparaît avec force. Elle se mêle à des fragments de musiques d’Amérique latine.
Ce programme festif s’est terminé sur l’icône finlandaise, nationale Jean Sibelius, dont la 5ème Symphonie opus 82 appartient aux tours de force parmi les interprétations d’Esa-Pekka Salonen. Objet de trois versions différentes élaborées entre 1915 et 1919, ce très haut chef-d’œuvre a valorisé tous les pupitres d’un Orchestre de Paris parfaitement à même de maîtriser la production granitique de Sibelius, même si nombre d’oreilles françaises s’y montrent toujours rétives. Les sept symphonies du géant finlandais peinent encore à s’imposer réellement dans notre pays. Tel n’est pas le cas en Allemagne, où elle a trouvé jadis des ambassadeurs nommés Furtwängler, Celibidache ou Karajan. Plus récemment, Sir Simon Rattle s’est fait le défenseur d’un créateur poursuivi de sarcasmes – en 1938 – par le redoutable Theodor W. Adorno (1903-1969). Il l’avait alors nommé « le branquignol ». Regardé avec méfiance en RFA et en RDA à partir de 1949, le Finlandais entra alors dans un sombre purgatoire. Non sans raison. Il en est sorti depuis.
Sibelius se laissa courtiser par le régime nazi. Durant l’hiver 1941/1942, Goebbels ordonna la création d’une société savante allemande vouée au célèbre auteur du poème symphonique Tapiola. Comme il existe plusieurs autres types de beauté, Salonen et la formation parisienne auront donné en bis Le Jardin féerique de Maurice Ravel, lui-même accablé par les Hitlériens pour cause de philosémitisme. Ses œuvres furent proscrites outre Rhin entre 1933 et 1945. La page fameuse de Ravel, exécutée sur un tempo fort lent par des pupitres aux couleurs magiques, aura conclu de manière enchanteresse une soirée vouée à d’autres jardins féeriques à la manière de Salonen.
Dr. Philippe Olivier