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Les Fourberies de Scapin au Théâtre National de Nice dans la mise en scène de Muriel Mayette-Holtz

Les Fourberies de Scapin au Théâtre National de Nice dans la mise en scène de Muriel Mayette-Holtz

vendredi 6 janvier 2023
Félicien Juttner et Jonathan Gensburger ©TNN

Jean-Baptiste Poquelin Molière à la station essence, un scoop ! Alors qu’en 1670, lorsqu’il écrit Les Fourberies de Scapin, la charrue reste le seul moyen de transport et qu’il faut attendre encore plus d’un siècle pour que le train bourlingue sur les rails et deux siècles pour que l’automobile déboule !

« Et pourtant, elle tourne », la deux chevaux, autour de la pompe à essence, sur la grande scène (335m2) de la grande salle du Théâtre National de Nice : La Cuisine. Elle tourne la tête de fourberies, de fantaisies moliéresques, de bonne humeur, d’humour. La créativité est dans chaque recoin, dans la perceuse faisant office de pistolet, le téléphone de la station dont le fil s’étire au fur et à mesure de la conversation, le poste de radio où se suspend une brosse à dents…

Oui, Molière est bien là, plus vivant que jamais, dans sa quatre roues limitée à 90, dessus, dessous, autour… il est partout ! Au cœur de chaque acteur, incroyablement mis en scène par Muriel Mayette-Holtz dont le parcours laisse pantois. Comédienne, metteure en scène et directrice du Théâtre National de Nice et de la villa Ephrussi de Rothschild à St-Jean-Cap-Ferrat, elle est la première femme à avoir dirigé la Comédie-Française et l’Académie de France à Rome à la villa Médicis ! C’est du papier millimétré, l’agencement parfait d’extraordinaires numéros de virtuosité théâtrale. Une véritable partition où chaque geste, chaque souffle s’incarne en note de musique, en quart de soupir. Un opéra de rythmes diaboliques et divins qui nous emporte dans de nombreux excès de rires comme dans une certaine tendresse vis-à-vis des personnages du génie de notre belle langue. Car au-delà de la farce, il y a toujours l’humain plus que le dindon !

Scapin, ou Jonathan Gensburger, à l’œil provocateur, l’empêcheur de tourner en rond, diabolique, futé, espiègle à souhait, agile de corps et d’esprit, n’est-il pas celui qui renverse les classes sociales en s’attribuant la richesse intellectuelle à défaut d’abondance matérielle ? Scapin, captivant par la flamme qui éblouit son œil, éveille nos esprits, nos espoirs de nous sortir un jour d’une situation improbable. Impossible n’est pas Scapin ! Enfant, joueur, farceur, pantin, marionnettiste aux multiples ficelles, le rusé renard n’a pas de pétrole mais des idées ! On n’imagine plus autrement Scapin qu’en Jonathan, ni Jonathan qu’en Scapin!

Tout autour de lui, on se délecte de l’excellent jeu des comédiens, véritables doigts de la main d’une troupe tout aussi soudée qu’harmonieuse. On emporte la fraîcheur et la simplicité du personnage de Zerbinette (Eve Pereur) qui nous entraîne dans son fou-rire à se rouler par-terre. On se laisse surprendre par le jeu de voix d’Alexandre Diot-Tchéou en Léandre. On pétille lorsque Argante (Cyril Cotinaut) et Géronte (Félicien Juttner) déambulent en véritables Dupondt de Hergé, sous leurs chapeaux-melons et moustaches. On s’amuse des yeux ronds comme des billes d’Augustin Bouchacourt en Octave cherchant à s’affirmer, dont le valet, Silvestre, joué par Frédéric de Goldfiem, camoufle sa poltronnerie sous sa capuche. On s’étonne du contraste avec sa jeune épouse de trois jours, Hyacinte, qui se présente dans le jeu de Bénédicte Allard comme son opposé féminin. Enfin, on jubile aux répliques admirables et succulentes de Félicien Juttner, posant avec art un silence habité avant d’exclamer pas moins de six fois cette célèbre réponse interrogative devenu un adage : « que diable allait-il faire dans cette galère ? »*

On ne peut qu’être ému et fier de la langue de Molière et de son esprit, de son intemporalité et universalité, de ses intrigues riches en rebondissements et questionnements éthiques. « Oui, Molière existe, je l’ai rencontré » … ce soir ! Un vrai tour de force que cette farce !

Nathalie Audin
6 janvier 2023

*Réplique empruntée par l’auteur à Cyrano de Bergerac dans sa pièce du Pédant joué (Acte II, scène 4).

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