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Les Contes d’Hoffmann de Jacques Offenbach, Opéra Comique

Les Contes d’Hoffmann de Jacques Offenbach, Opéra Comique

vendredi 3 octobre 2025

©Stefan Brion

CETTE VOIX QUI ME TROUBLE L’ESPRIT

S’il existe une œuvre qui, par l’inachèvement de sa conception lié à la mort du compositeur, ouvre de multiples débats, c’est bien cet “opéra fantastique” ! Faut-il confier les trois rôles féminins à une seule et même cantatrice sur la seule foi de la formule “trois femmes dans la même femme” ? Quels airs retenir ? quels ensembles ? quelle formule dramaturgique adopter : récitatifs ou dialogues parlés ? Faut-il même confier les méchants à un seul homme ?

Les spectacles, les disques ont répondu chacun à leur manière à ces interrogations sans fin. Comme Jean-Christophe Keck le dit en conclusion de l’entretien contenu dans un programme de salle une fois encore remarquable et passionnant : “En un siècle et demi, Les Contes d’Hoffmann ont changé cent fois. Ils changeront encore. Toujours en quête, toujours en fuite.” Ce n’est donc pas ce compte-rendu qui pourra arbitrer les controverses !

L’Opéra Comique a choisi de coproduire avec le Volskoper de Vienne, l’Opéra de Reims et l’Opéra du Rhin ce spectacle. Que donne-t-il à voir et à entendre ?

Lotte de Beer opte pour un décor unique à transformations jouant sur des échelles variables pour les accessoires, avec moult précipités : une grosse boîte de magie, aux effets enfantins souvent amusants mais qui ne parviennent pas à capter l’attention toute la soirée par leur récurrence et du fait de l’exiguïté du dispositif. Ne poussons pas comme tant d’autres de cris d’orfraie pour les nouveaux textes proposés par Peter te Nuyl : didactiques ? certes oui. Mais ils posent par contre un vrai souci : là où Spyres parle et joue avec un naturel, une sincérité, une émotion qui ne tiennent qu’à lui, Héloïse Mas surjoue et nous fait basculer, par-delà l’opérette, vers un univers plus proche encore de la fête de collège du fait d’un texte dont le style n’est pas assez tenu sous contrôle. Ce déséquilibre compromet ainsi toute la soirée la réussite de ces ponts parlés – ce qui n’est pas un détail !

Pierre Dumoussaud, pour sa part, propose une lecture pleine de vitalité, enlevée et qui s’inscrit, de son propre aveu, dans la lignée des autres création offenbachiennes : voilà un parti pris choisi, clair, qui se transforme bien en un acte artistique. Les passages plus lunaires restent souples et rêveurs, mais la ligne directrice est celle de l’univers de l’opérette, tant dans la pâte orchestrale que dans les choix de tempi et les équilibres de pupitre. Cette démarche louable et intéressante aurait pu pleinement aboutir, mais ce soir, l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg a décidé de lui refuser la synchronicité (au sein même de la phalange comme avec le plateau), avec en prime des soli instrumentaux avares de poésie, quand n’apparaissent pas des écarts peu recommandables comme ce cuivre qui n’a rien trouvé de mieux que de sonner en aparté – ce qui, comble de misère, a bien fait rire, longuement, deux de ses collègues, là où un tel raté aurait mortifié son auteur dans des orchestres de renom. Quand une approche propose ainsi une belle originalité doublée d’un vrai soutien apporté aux chanteurs, la moindre des exigences serait de lui apporter discipline, concentration et beauté.

12 les Contes dHoffmann DR Stefan Brion
©Stefan Brion

Amina Edris s’attaque donc à un Everest que très peu de ses illustres consœurs ont réussi ! Là encore, merci aux Beckmesser habituels de ne pas mythonner sur la réalité de ces approches : inutile de dresser une liste de grands noms qui ont soi-disant “réussi” ce tour de force quand une écoute attentive fait apparaître bien souvent des écarts de style de très mauvais aloi, des errances vocales, de multiples difficultés dans l’affrontement à des tessitures pour le moins éloignées ! Edris, donc, tente le tout pour le tout. Transposée, Olympia n’évite pas de petits écarts ou contournements (surtout dans la fin du duo, gaillardement simplifiée). Toutefois, une voix ainsi plus mûre – qui, toute la soirée, fait d’ailleurs perdre leur jeunesse à ces héroïnes – permet d’entendre de nouvelles couleurs dans le bas de la tessiture. Le hiatus avec l’approche du chef se révèle malgré tout criant, le soprano colorature léger étant plus attendu dans le pétillement virevoltant proposé par Dumoussaud. Antonia commence bien mieux et la “tourterelle” s’avère phrasée avec soin et émotion. Mais les défis se multiplient progressivement, et, là encore, Edris s’efforce de jouer franc jeu et de donner toutes les notes écrites, y compris des suraigus redoutables. Là encore, restons aimables : combien de soprani glorieux ont bramé sans vergogne ces paroxysmes ? Rebelote avec Giulietta, dont le duo d’ouverture laisse glisser sa gondole sans l’ombre d’un souci. Hélas, la version choisie dresse un nouveau mur : “L’amour lui dit : la belle” n’est pas sans poser de problèmes, surtout en fin de parcours. Un peu de pragmatisme aurait peut-être pu faire réaliser des aménagements ou adopter un autre version de la partition en fonction des possibilités de l’artiste engagée… Du fait de ces pièges sans cesse tendus par ces positionnements vocaux incohérents, Amina Edris finit par laisser une impression défavorable, alors qu’elle se donne sans compter sur scène et n’est pas avare en dépense d’énergie.

14 les Contes dHoffmann DR Stefan Brion
©Stefan Brion

Le cas de Jean-Sébastien Bou ne repose pas sur la même problématique. Il s’agit ici, pour être clair, d’une erreur de casting. En effet, si toute la partie supérieure du registre sonne avec la franchise d’émission habituelle chez le baryton français, aucun des quatre vilains ne correspond à sa typologie vocale et les deux tiers de la partition passent à la trappe, le grave se révélant hors de portée. Habile comédien, soucieux de mordre dans son texte et de caractériser ses personnages, Bou évite de justesse un naufrage qui fait bien mal, tant le malaise technique transparaît à chaque instant.

Raphaël Brémard réussit bien mieux son quadrinôme de serviteurs, surtout Frantz avec un “Jour et nuit” dont il ne fait qu’une bouchée. Nicolas Cavallier, Mathieu Justine, Matthieu Walendzik et Sylvie Brunet-Grupposo tiennent leur rôle (ou leurs rôles) et leur rang avec dignité.

2 les Contes dHoffmann DR Stefan Brion
©Stefan Brion

Héloïse Mas possède de l’allure en Muse/Nicklausse. Sa voix parlée possède même du chien, un ambre méritoire et séducteur. Le passage à la voix chantée interroge, malgré tout. La couverture des sons, excessive, nuit à la clarté de la diction comme à l’épanouissement de cette chair pourtant voluptueuse. Deux autres conséquences ne sont pas sans soulever des questions : le grave sonne sourd et l’aigu, inévitablement, fait entendre des tensions. Cette jeune interprète devra peut-être reprendre son approche technique car la belle matière dont elle dispose, si elle offre malgré tout des instants capiteux et roboratifs, ne semble pas s’épanouir comme elle le pourrait. Frustrant.

9 les Contes dHoffmann DR Stefan Brion
©Stefan Brion

Terminons par une véritable déclaration d’amour !

Monsieur Michael Spyres, vous êtes un ARTISTE à nul autre pareil et la galerie des personnages que vous avez recréés devant nos yeux éblouis et pour le plaisir insensé de nos oreilles, habités par votre personnalité, et poussés au-delà de nos rêves par une technique sidérante, hante notre panthéon : Idomeneo aixois halluciné, Pirro démentiel au TCE, Tito si émouvant à Garnier, Énée grandiose, épiquissime à Strasbourg et, plus encore, à Versailles, Faust de la Damnation rempli de l’ivresse berliozienne, Septimus dans sa nudité la plus belle et Jephtha encore plus bouleversant au TCE, Mitridate, enfin, au Covent Garden, qui, par-delà sa maîtrise vocale d’une dinguerie pure, avait su créer l’émotion la plus forte par une main tendue à Ismene. Car votre art ne se résume ni à une technique capable – comme pour un récital mémorable au TCE – de tous les défis, ni à une approche stylistique jamais prise en défaut, ni à cette capacité d’incarner au sens fort du mot. Vous savez conduire ceux qui vous écoutent vers un autre monde, un univers fait de poésie, de beauté pure, d’élévation spirituelle, d’intimité aussi, en donnant l’impression chaque soir de pénétrer au plus profond de l’âme des compositeurs et de nous faire complices d’un acte créateur comme il en est très peu. Ces composantes de votre maestria ne pouvaient faire de vous qu’un Hoffmann accompli, dans le geste, dans le corps, dans le visage, dans la ligne, dans les nuances, dans les colorations, dans la science du texte. Si ces Contes vivent ce soir, s’ils resteront comme un vrai souvenir de lyricophile, c’est à vous qu’ils le doivent. Chaque instant de votre art se déguste comme un vin suprêmement vieilli, qui réchauffe le cœur et qui rend la vie plus belle. Pour toutes ces merveilles passées, pour la merveille de ce soir enchanté, pour les merveilles à venir, merci, Monsieur.

Laurent ARPISON
3 octobre 2025

Direction musicale :  Pierre DUMOUSSAUD
Mise en scène :  Lotte DE BEER

Hoffmann : Michael SPYRES
Stella / Olympia / Antonia / Giulietta : Amina EDRIS
La muse / Nicklausse : Héloïse MAS
Lindorf / Coppélius / Miracle / Dapertutto : Jean-Sébastien BOU
Andrès / Cochenille / Frantz / Pitichinaccio : Raphaël BREMARD
Luther / Crespel : Nicolas CAVALLIER
Nathanaël / Spalanzani / Le Capitaine des sbires : Matthieu JUSTINE
Herrmann / Schlémil : Matthieu WALENDZIK
La voix de la mère : Sylvie BRUNET-GRUPPOSO

Orchestre Philharmonique de Strasbourg
Chœur Ensemble Aedes

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