Après la nouvelle production d’Adriana Lecouvreur au Grimaldi Forum à l’occasion de la fête nationale monégasque, voici la reprise des Contes d’Hoffmann que Jean-Louis Grinda avait déjà mis en scène il y a 8 ans en janvier 2010. Entouré par Laurent Castaingt pour les décors et les lumières et par David Belugou pour les costumes, le directeur de l’Opéra de Monte-Carlo nous propose une vision intelligente et dépouillée de l’œuvre d’Offenbach et parfaitement respectueuse de l’esprit de celle-ci, assortie d’une mise en scène dont la tension dramatique est constamment soutenue. La taverne de maître Luther est constituée d’un certain nombre de chaises alignées, à cour et jardin, laissant un espace central assez large pour donner à Hoffmann le loisir de narrer les histoires de ses « folles amours » et d’illustrer ses trois récits sans pour autant quitter la structure initiale, d’où une cohérence revendiquée, d’autant que le personnage du poète porte, tout au long de l’ouvrage, un costume identique. Mais nous sommes aussi dans le processus du théâtre dans le théâtre comme un miroir (la salle de l’Opéra de Monte-Carlo vue en fond de scène), deux des personnages ayant un lien avec les cantatrices lyriques : Antonia et Stella. Le choix entre les diverses éditions (Choudens/Bonynge/Oeser/Kaye/Keck) ou la combinaison entre celles-ci peut parfois devenir un casse-tête pour les concepteurs mais permet au spectateur de découvrir ou de comparer des facettes différentes de l’œuvre posthume d’Offenbach. D’Oeser/Keck on peut ici entendre Nicklausse chanter « Voyez la sous son éventail » et communier à l’impressionnante apothéose finale « Des cendres de ton cœur » mais à l’Opéra de Monte-Carlo difficile de faire l’impasse sur les initiatives de révision musicale de celui qui fut son mythique directeur Raoul Gunsbourg concernant l’air de Dapertutto « Scintille diamant » emprunté à l’ouverture du Monde de la lune ou encore du fameux septuor apocryphe de l’acte de Venise paraphrasant la si célèbre barcarolle.
La saison lyrique en principauté se traduit cette année par une succession de ténors d’envergure internationale. C’est ainsi qu’après Roberto Alagna et avant José Cura et Joseph Calleja c’est au tour de Juan Diego Florez de fouler les planches de l’Opéra de Monte-Carlo et d’endosser, pour la première fois de sa carrière, l’habit du poète Hoffmann. On sait qu’il s’est fait une spécialité des rôles belcantistes et que, depuis plus de 20 ans, son étoile brille au festival de Pesaro où il a chanté quasiment tout le répertoire rossinien, du Barbier de Séville au Comte Ory en passant par Semiramide, se révélant tout aussi remarquable chez Bellini (Les Puritains) ou Donizetti (La Fille du régiment) et ce, sur toutes les grandes scènes internationales. On se souvient notamment de son éblouissant Fernand de La Favorite dont il avait régalé le public azuréen en version de concert en 2013 à l’Auditorium Rainier III. A 45 ans se pose probablement, comme pour beaucoup d’interprètes, la décision de la « mutation vocale » pour passer d’une tessiture brillantissime de ténor belcantiste à des emplois plus lyriques, ce qui avait déjà été le cas avec sa prise de rôle du Duc de Mantoue dans Rigoletto. Hoffmann nécessite, pour nombre de passages, une voix relativement large lorsqu’on pense à des chanteurs qui l’ont incarné sur scène comme Nicolaï Gedda, Placido Domingo et Neil Shicoff ou Roberto Alagna qui l’a enregistré pour le CD. Maintes phrases de l’œuvre, comme la chanson de Kleinzach ou encore les couplets bachiques de l’acte de Venise, le démontrent. Il est donc logique que Juan Diego Florez aborde avec prudence cet emploi dans une salle aux dimensions modestes et en veillant, avec sagesse, tout au long de l’ouvrage, à ne jamais forcer ses moyens afin d’éviter de compromettre l’agilité et la légèreté d’une voix qui peut lui permettre de s’illustrer encore dans un répertoire qui a largement contribué à sa notoriété internationale (1). En son temps Alfredo Kraus fit de même avec le bonheur que l’on sait. Phrasé, élégance, poésie, clarté, diction, style, implication dramatique sont autant de qualificatifs qui s’imposent à l’écoute du ténor péruvien.
Lors de la création, les trois héroïnes féminines sont confiées à la seule Isabelle Isaac, bien que les tessitures aillent de la colorature à la soprano dramatique (voire mezzo-soprano) en passant par la soprano lyrique. Des cantatrices telles que Catherine Malfitano, Patrizia Cioffi, Annick Massis ou Mireille Delunsch ont relevé ce défi. Mais ce challenge n’est pas sans difficultés à moins de posséder les moyens d’une Joan Sutherland ! La soprano russe Olga Peretyatko (beau physique et tempérament certain) tire, dans ce pari, plutôt habilement son épingle du jeu, tandis que l’on peut saluer la solidité de Nicolas Courjal dans sa quadruple incarnation diabolique et un Nicklausse campé avec assurance par Sophie Marilley. Dans une distribution homogène on distinguera tout particulièrement l’excellent Rodolphe Briand dans les quatre valets et on décernera une mention au chœur admirable (sous la houlette de Stefano Visconti), notamment dans sa superbe intervention en conclusion de l’ouvrage. Habitué du pupitre monégasque, Jacques Lacombe, avec énergie et précision, mène à bon port ces Contes d’Hoffmann dont la retransmission télévisée en direct sur la chaîne Mezzo Live le 31 Janvier constituera en soi un événement.
(1) Cet été Juan Diego Florez sera encore l’invité du Festival Rossini de Pesaro pour y interpréter Ricciardo e Zoraide
Christian Jarniat
25 janvier 2018