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L’Enchanteresse de Tchaïkovski à Francfort, un opéra plus qu’enchanteur ! Oper Frankfurt, le 7 février 2025

L’Enchanteresse de Tchaïkovski à Francfort, un opéra plus qu’enchanteur ! Oper Frankfurt, le 7 février 2025

vendredi 7 février 2025

©Barbara Aumüller

L’Enchanteresse de Tchaïkovski est une vraie rareté, bien moins connue que les deux titres auxquels on associe immédiatement la production lyrique du compositeur, soit Eugène Onéguine et La Dame de pique. Et pourtant, quel chef-d’œuvre, quelle musique enivrante ! Il ne s’agit d’ailleurs absolument pas d’un opéra de jeunesse, opus en quatre actes créé en 1887, entre les productions des deux évoqués plus haut Eugène Onéguine (1878) et La Dame de pique (1890). Gloire donc à l’Opéra de Lyon qui proposait en 2019 la première française de l’œuvre en représentation scénique ! Et gloire également à l’Opéra de Francfort qui montait une nouvelle production fin 2022, spectacle repris au cours de la présente saison !

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©Barbara Aumüller

La mise en scène de Vasily Barkhatov, confiée aux soins d’Alan Barnes pour cette reprise, foisonne d’idées, de clins d’œil, de mouvements, avec une grande générosité par moments, mais elle nous séduit beaucoup dans sa globalité. Des images sont projetées en avant-scène pendant l’ouverture : restaurant, night-club, mariage, une femme est enceinte mais perd apparemment le bébé, puis le mari se montre auteur de violence conjugale, mais meurt l’instant suivant. On prend cette séquence comme un rapide flash-back de la vie de Nastassia, appelée Kouma, soit la veuve du livret de L’Enchanteresse. Le rideau se lève sur l’auberge de Nastassia / Kouma, celle-ci accusée de sorcellerie dans l’intrigue. Ce n’est pas vraiment une auberge dans la tradition russe de l’époque qu’on imagine, un petit praticable au centre surmonté d’un squelette de maisonnette, un frigo à boissons, plus précisément de cannettes de bière que l’on consomme allègrement pendant la représentation, et à l’arrière un loup reproduit à grande échelle. Une foule bigarrée boit et s’amuse dans cette sorte de bar interlope, on porte cuir, fourrure, lunettes de soleil, casquettes et quelques hommes sont habillés de vêtements féminins. Le Prince Nikita et le sombre clerc Mamyrov débarquent, ce dernier accusant la tenancière de sorcellerie. Mais le vieux Prince se laisse convaincre par Kouma de son innocence et en représailles fait boire et danser Mamyrov, dont la vengeance sera terrible. La chorégraphie des cinq danseurs à jupe noire, masque à tête de loup et slip rouge frappé de la faucille et du marteau, est réjouissante.

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©Barbara Aumüller

On passe au II dans les appartements du vieux Prince, grande hauteur sous plafond, colonnes néoclassiques, luxueux canapé et fauteuils, des icônes orthodoxes dans la vitrine. La Princesse pratique la gymnastique avec sa fille et son frère le jeune Prince Youri est un champion de boxe qui s’alimente avec des compléments protéinés et s’entraîne sur un punching-ball en forme de buste. La transition entre ces deux décors se fait à l’aide du plateau tournant et le metteur en scène use à l’envi de ce procédé, à rideau baissé ou bien à vue. On découvre alors une espèce d’espace technique entre ces deux décors logés dans deux caissons géants, l’action se déroulant bientôt dans ces trois espaces dont l’étanchéité devient relative. Au III, Kouma repose sur un lit, matelas posés sur palettes, à côté de l’omniprésent frigo à boissons. C’est là que Youri, convaincu par sa mère de la culpabilité de Kouma, arrive pour l’assassiner, sans y parvenir toutefois, en tombant soudain amoureux de la belle, amour payé de retour. Mais la Princesse d’une jalousie assassine élimine plus tard Kouma au moyen d’un poison, les éléments scéniques passant alors d’un décor à l’autre, le mobilier princier se retrouvant par exemple chez Kouma. Le vieux Prince, lui aussi amoureux de Nastassia, et pris finalement de folie, tue sa femme et son fils, puis ramène les trois protagonistes dans ses appartements, en les installant, tout sanguinolents, sur les canapé et fauteuils. L’accès de folie du vieux Prince l’amène au suicide, mais le pistolet ne fonctionne pas… et le rideau se baisse.

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©Barbara Aumüller

Certaines voix se détachent parmi les protagonistes, à commencer par celle de Nombulelo Yende dans le rôle-titre de Nastassia / Kouma. Petite sœur de Pretty Yende et en troupe à l’Opéra de Francfort depuis la saison actuelle, la soprano sud-africaine charme d’emblée par un instrument lumineux et égal en qualité sur toute la tessiture. Son arioso du premier acte « Contempler la Volga des hauteurs de Nijni » est mélancolique à souhait et d’une rare beauté.

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©Barbara Aumüller

Dans le rôle de son amoureux Youri, le ténor Gerard Schneider assure sa partie, mais manque sans doute d’une certaine épaisseur, d’un peu de métal, pour emporter une totale adhésion. Iain MacNeil en vieux Prince impressionne en revanche tout du long, voix saine de baryton vigoureusement projetée, conduite avec élégance. Son grand air du II où il paraît complètement accablé et se confie à son chien installé sur le canapé, vaut sans problème les plus belles pages interprétées par Onéguine.

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©Barbara Aumüller

En Princesse, la mezzo Elena Manistina est par instants un véritable ouragan vocal, voix slave de grand caractère, aux intonations masculines dans l’extrême grave. Plusieurs notes sont enflées avec enthousiasme pendant ses crises de colère ou de jalousie, par exemple au cours de son face-à-face avec son mari de vieux Prince, l’un des climax de la soirée.

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©Barbara Aumüller

Quant à la basse Mikhail Biryukov, qui cumule les deux rôles du clerc Mamyrov, puis du sorcier Kudma qui pourvoit le poison au quatrième et dernier acte, c’est un chanteur à la voix sombre et d’une couleur qui colle à ses deux personnages, mais qui manque cependant de puissance pour terroriser. Le reste de la distribution est très bien pourvu, y compris pour le rôle de Païssi où le titulaire malade se fait remplacer sur le côté de la scène par le ténor Ilja Aksionov. Parmi les nombreux rôles, l’oreille se délecte par exemple de la voix solidement timbrée du baryton-basse Serhii Moskalchuk en Kitchiga.

Aux commandes des impeccables musiciens du Frankfurter Opern-und Museumsorchester, la direction de Valentin Uryupin est un régal permanent. Le chef restitue la magnificence de la partition et maintient tout du long la tension dramatique de cette intrigue à la funeste conclusion. Les choristes de l’Opéra de Francfort font aussi un sans-faute, émettant un chant vaillant et superbement coordonné, tout en jouant de manière intense sur le plateau.

L’Enchanteresse, un bien bel opéra de Tchaïkovski… quand et où aurons-nous le plaisir de l’entendre à nouveau ?

Irma FOLETTI
7 février 2025

Direction musicale : Valentin Uryupin
Mise en scène : Vasily Barkhatov
Direction scénique de la reprise : Alan Barnes
Décors : Christian Schmidt
Costumes : Kirsten Dephoff
Lumières : Olaf Winter
Vidéo : Christian Borchers
Chorégraphie : Gal Fefferman
Etudes chorégraphiques : Rouven Pabst
Dramaturgie : Zsolt Horpácsy

Nastassia : Nombulelo Yende
Le Prince Nikita : Iain MacNeil
La Princesse : Elena Manistina
Le Prince Youri : Gerard Schneider
Mamyrov / Kudma : Mikhail Biryukov
Nenila : Cláudia Ribas
Ivan Juran : Morgan-Andrew King
Foka : Dietrich Volle
Polia : Madina Albidina
Balakine : Jonathan Abernethy
Potap : Pilgoo Kang
Lukach : Kudaibergen Abildin
Païssi : Ilja Aksionov (chanté) & Michael McCown (joué)
Artiste : Aslan Diasamidze

Chor der Oper Frankfurt
Chef des chœurs : Álvaro Corral Matute
Frankfurter Opern- und Museumsorchester

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