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Le Vaisseau Fantôme / Capitole de Toulouse / Michel Fau / Frank Beermann

Le Vaisseau Fantôme / Capitole de Toulouse / Michel Fau / Frank Beermann

dimanche 25 mai 2025

© Mirco Magliocca

Le Capitole de Toulouse a toujours fait dans sa programmation une place particulière à Wagner. Depuis la fin du XIXe siècle, Lohengrin, La Walkyrie (décorrélée de la Tétralogie) ou Parsifal ont fait l’objet de nombreuses productions le plus souvent encensées. On retiendra aussi la production du rarissime Rienzi donné en 2012. Le Vaisseau fantôme, que reprend cette saison le théâtre, monté pour la dernière fois en 1993 – on va y revenir – n’a pas été si souvent joué. Il était intéressant, vue la collaboration qu’il entretient depuis quelques années avec le Capitole, de proposer à Michel Fau, au regard de ses options théâtrales, une nouvelle mise en scène de l’ouvrage. L’associer à Frank Beermann pour la direction musicale était également une idée prometteuse.

Genèse et création d’un ouvrage à part

Le Vaisseau fantôme de Richard Wagner (1813-1883) a été composé à Paris, à Meudon exactement, entre juillet et novembre 1841. L’ouvrage est tiré de Der Salon de Henri Heine où figure la nouvelle « Mémoires de M. de Schnabelewopsky », à l’origine de l’argument du livret.

Wagner, qui n’avait pas renouvelé son contrat de directeur musical au théâtre de Riga, avait gagné la capitale française à l’automne 1839 après une traversée maritime très agitée (que rappelle la tempête du Vaisseau) et un court séjour en Angleterre. Il ne rencontre pas les meilleures opportunités de poursuivre sa carrière dans la capitale où, désargenté, il connaît plusieurs déconvenues. S’il obtient un accord avec Heine pour composer la partition du Vaisseau fantôme, Léon Pillet, le directeur de l’Opéra, signe un contrat avec lui, mais uniquement sur le synopsis de l’opéra.

Avant de rentrer en Saxe, Wagner a essuyé plusieurs refus (Munich, Leipzig, Berlin). À Dresde, au Théâtre Royal, Rienzi venait de recevoir un accueil chaleureux. Le Vaisseau fantôme est crée sur la même scène le 2 janvier 1843 (le compositeur a trente ans).

Si le Vaisseau fantôme sombre au bout de quatre représentations, Wagner n’en est pas affecté outre mesure. La distribution ne plaidait pas pour lui et il allait être nommé maître de chapelle de la cour royale de Saxe.

Le Vaisseau fantôme sera créé en France dans les diverses salles de l’Opéra-Comique en 1897. Il n’arrivera au Palais Garnier qu’en 1937. C’est la version française de Charles Nuitter qui est alors donnée.

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© Mirco Magliocca

Une œuvre charnière

Dans la Communication à mes amis Richard Wagner écrit en 1851 : « Avec le Vaisseau fantôme commence ma carrière de poète, pour laquelle je quittai celle de fabricant de textes d’opéra. » Le Vaisseau fantôme est en effet une étape charnière dans la carrière du compositeur. Ce qu’il fait avec le Vaisseau fantôme n’a que peu à voir avec la composition de Rienzi qui l’a précédé de peu. Rompant avec Rossini et Meyerbeer, il se dit « absolument opposé » aux intrigues historiques, au pathos avéré, aux effets tonitruants de l’opéra traditionnel.

Le sujet tiré de Heine (fictif puisque issu d’un récit de pièce de théâtre) est réécrit, inventé en partie. L’histoire légendaire du Hollandais rappelle celle du voyageur qui ne voit pas la fin de ses périples et aspire au repos. La biographie de Wagner n’est pas sans éclairer ce choix : la traversée maritime agitée de Wagner et de Minna en 1839 pour rejoindre une France qui en plus le décevra et la nostalgie du compositeur pour sa patrie.

Le Vaisseau fantôme est un drame musical de conception symphonique. Le poète et le compositeur ne font plus qu’un. La musique n’illustre pas un texte, elle est consubstantielle à lui. Les leitmotivs (la malédiction, le salut, l’errance…) ne sont pourtant pas, par leur fonction dans l’opéra, du type de ceux qu’on trouvera plus tard chez le compositeur. Ils assurent des rappels, tout de même unificateurs, plus qu’un langage à part entière.

La mise en scène de Michel Fau

Il est intéressant de revenir sur la production de 1993 au Capitole du metteur en scène roumain Pet Halmen à propos de laquelle P. Cadars évoque une série « d’images fortes qui se succèdent au gré des rêves érotico-fantastiques d’une jeune femme en mal d’absolu. Nous sommes loin de la religiosité compassée de certaines représentations wagnériennes », ajoutant qu’« on est frappé par la cohérence de cette approche, et plus encore, par sa constante exigence artistique. »1 Si on est aux antipodes de cette relecture avec la proposition de Michel Fau, ce n’est évidemment pas pour établir une hiérarchie mais pour remarquer combien le répertoire lyrique et plus particulièrement wagnérien peut offrir aux metteurs en scène des possibilités multiples. En 1993 rôle du Hollandais était tenu par José Van Dam. Notons qu’à Bayreuth les mises ont eu un historique souvent moderniste : celles de 1959 (Wieland Wagner) ou surtout de 1978 (Harry Kupfer) sont loin d’être au premier degré.

La mise en scène de Michel Fau, plébiscitée par le public, est classique, mais non dépourvue d’imagination et de théâtralité. L’idée était de prendre en compte la rupture que représente le Vaisseau fantôme, Wagner se détournant des intrigues historiques pour leur préférer la légende mieux adaptée au drame musical dont il posait alors les principes. Les décors d’Antoine Fontaine faits de toiles et d’éléments durs, comme leur mobilité mécanique, correspondent à ce tournant. Les peintures romantiques de David Friedrich trouvent leur équivalent dans l’agencement des matériaux, des couleurs et du grain.

Les costumes de Christian Lacroix collent exactement à la production, faisant alterner les tenues simili-historiques avec l’ethnologie folklorique la plus séduisante.

La scénographie est à elle seule signifiante. Ainsi les deux vaisseaux de Daland et du Hollandais accostent dès le début en parallèle, le second surgissant des fonds marins où règnent les forces obscures. De cette situation émanera l’ensemble du drame et s’imposeront les figures contrastés, reflets de leurs équipages, de Daland prosaïque et intéressé, et du Hollandais beaucoup plus troublant.

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© Mirco Magliocca

Au deuxième acte descend des cintres un cadre à la dimension de l’ouverture de la scène. Dans ce cadre subsistent le vaisseau et son capitaine qui jusque là étaient un rêve et un fantasme pour Senta, subjuguée par le tableau, et qui deviennent une réalité, mais sans doute fantasmée à son tour. Il faut noter la place centrale de Senta à ce moment de bascule de l’opéra. La conteuse face au tableau narre dans sa ballade ce qui est arrivé à l’acte I sans en avoir eu connaissance, la malédiction à laquelle est condamné le Hollandais et anticipe ce qui va advenir avec la rencontre et la chance donnée à la rédemption dans la mesure où elle accepterait de vivre avec le marin jusqu’à la mort. Le navire qui reste en fond va trouver une place symbolique soulignée par les éclairages subtils signés Joël Fabing. Les deux grand duos, Erich / Senta et Senta / le Hollandais sont en partie chantés en avant-scène. Le statisme peut avoir du sens notamment pour le second où le coup de foudre peut être appréhendé du point de vue de son intériorité.

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© Mirco Magliocca

La situation figée est un peu plus gênante à l’acte III où la fête de l’équipage de Daland n’est pas très exubérante. Mais cette réserve est rachetée par l’explosion du second chœur grimé et costumé de façon à produire une grande impression. Le chant reprend alors ses droits, avec les duo et trio finals particulièrement fougueux. Si le finale est cohérent dans sa dramaturgie, sa visualisation étonne un peu, le couple pouvant passer pour les figurines d’un gâteau de mariage un peu kitsch plutôt que pour l’incarnation d’une transcendance et la manifestation de l’apothéose attendue.

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© Mirco Magliocca

Une distribution brillante

Pour sa prise de rôle le jeune baryton russe Aleksei Isaev a conquis le public. Par-delà le personnage joué dans sa profondeur et sa dimension quasi-surnaturelle, la voix est éblouissante, par la richesse de son timbre, ses couleurs noires non opposables à un haut medium éclatant, un legato parfait, mis en valeur dès son entrée « Weit komm ich her » ou dans le duo de l’acte II.

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© Mirco Magliocca

Habituée du rôle de Senta, Ingela Brimberg en fait un personnage gagné par l’hallucination : les phrasés sont articulés sur des notes rondes, toutes chantées, des appuis graves non évités, sans que le chant perde pour autant de sa ligne ductile, de sa force et de son lyrisme échevelé. La ballade comme le duo annonçant celui de Tristan sont d’anthologie.

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© Mirco Magliocca

Airam Hernández dans Erich fait montre d’une puissance, d’un art de bien lier les sons, de couleurs. L’élocution claire et expressive fait vivre le texte, notamment dans l’exécution du rêve (« Auf hohem Felsen ») empreint d’émotion. On n’est pas moins impressionné par les qualités du chanteur au plan scénique.

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© Mirco Magliocca

On retrouve cette même ardeur chez Valentin Thill, pilote de luxe, à la voix remarquablement placée et bien projetée, mais capable aussi de demi-teintes dans une parfaite maîtrise du volume.

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© Mirco Magliocca

Jean Teitgen, familier de Bastille, fait partie de nos incontournables grandes basses françaises ; l’ampleur de la voix, la caractérisation, l’empathie du jeu en font un Daland idéal.

Même satisfaction pour la Mary d’Eugénie Joneau très en voix et bonne comédienne.

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© Mirco Magliocca

Le Vaisseau fantôme est un festival pour les chœurs présents dans les trois ouvertures d’acte. On sait que ceux de l’Opéra de Toulouse peuvent répondre à tous les défis scéniques et vocaux. La puissance, la modulation, une très belle distinction des timbres donnent du relief et une vocalité identifiable et de tempérament à leur prestation.

L’Orchestre national du Capitole n’en est pas à son premier Wagner. Il en connaît les codes. Sous la direction de Frank Beermann il su intégrer à la musicalité le sens des phrasés propres au théâtre, tout comme le romantisme des aspects italianisants qui résistent encore dans le Vaisseau au langage de la « mélodie infinie ».

Le spectacle a remporté un grand succès, Wagner faisant comme très souvent événement.

Didier Roumilhac
25 mai 2025

Note1 : Lucien Remplon, Gloire immortelle du Capitole… Empreintes, 2003, p. 479-480

Direction musicale : Frank Beermann
Mise en scène : Michel Fau
Décors : Antoine Fontaine
Costumes : Christian Lacroix
Lumières : Joël Fabing

Distribution : 

Le Hollandais : Aleksei Isaev
Senta : Ingela Brimberg
Erik : Airam Hernández
Daland : Jean Teitgen
Mary : Eugénie Joneau
Le pilote de Daland : Valentin Thill

Orchestre national du Capitole
Chœur de l’Opéra national du Capitole (chef du chœur : Gabriel Bourgoin)

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