LES « TRUCS » DU TURC
On ne s’est pas ennuyé une seule seconde à la salle Garnier pour les représentations du Turc en Italie de Gioacchino Rossini. L’ouvrage créé en 1814 à La Scala de Milan reçut un accueil glacial, le public reprochait au compositeur un auto plagiat avec l’Italienne à Alger qui avait été créée l’année précédente… Mais le Turc va vite conquérir la planète grâce notamment à l’inoubliable Maria Callas. En principauté ce Turc s’avère rempli de « trucs », Jean Louis Grinda jongle avec le théâtre dans le théâtre, ou plutôt avec le cinéma muet dans le théâtre ! Ainsi pendant l’ouverture voit-on le ventripotent Don Geronio s’offusquer des qualités culinaires de son épouse. Elle lui sert en effet, avec un plaisir non dissimulé, trois petits pois en guise de dîner…La scène est filmée en noir et blanc et l’effet comique visuel accompagné par le crescendo accelerando mollissant puis vigoureux de l’ouverture s’avère très efficace. Autres « trucs » bien venus, les « arrêts sur image » réalisés grâce à des praticables coulissants qui permettent de figer les attitudes des personnages, ou encore la mise en place d’une passerelle qui ceinture la fosse d’orchestre pour accueillir les chanteurs au contact du public…Jean Louis Grinda ose même quelques effets cinématographiques palermitains forts bien venus, comme l’accostage de la barque du Turc et la belle image de la baie de Naples face au Vésuve cracheur de feu !! Carton plein donc pour cette mise en scène qui réussit à concilier classicisme et invention et place tous les chanteurs dans des conditions d’interprétation idéales.
Le petit bémol de cette production résonne dans la fosse d’orchestre. La formation des Musiciens du Prince dirigée par Gianluca Capuano joue sur des instruments anciens dont certaines sonorités peuvent déconcerter. Or l’ouverture recèle un redoutable solo de cor enchassé dans les pulsions syncopées des cordes et cet exercice fut quelque peu laborieux. Fort heureusement tout revint dans l’ordre après que les pupitres se soient opportunément échauffés. Vocalement le spectacle est tout simplement étourdissant. Quel plaisir, grâce au dispositif précité, de se retrouver au plus près de Cécilia Bartoli et de lire sur ses lèvres le staccato inimitable des ornementations rossiniennes, les vocalises envahissent la salle Garnier, bondissantes, merveilleusement articulées et pyrotechniques, la signature vocale est reconnaissable entre toutes, c’est celle d’une diva…Ses partenaires ne sont pas en reste, coté masculin, Nicola Alaimo habille son Don Geronio des plus beaux atours rossiniens, souffle, style, clarté du timbre et agilité. L’acteur aussi est magnifique, tour à tour mari cocu, mari révolté, puis mari généreux et amoureux. L’amant dessiné par Barry Banks ressemble furieusement à une caricature de Tintin, son Don Narciso arbore une houppe agressive, et des aigus incisifs superbement projetés. Le dernier protagoniste du triangle amoureux n’est pas le moins efficace. Adrian Sampetrean est un familier de l’emploi. Il investit le personnage du pacha Selim avec aisance, bien aidé par sa prestance physique, une voix de basse solide, une projection pleine de panache et un ton assurément altier. Les autres comparses de ces turqueries réjouissent l’auditoire, du poète percutant et parfois rugueux de Giovanni Roméo, à l’Albazar finement vernissé de David Astorga, en passant par la Zaida joliment colorée de José Maria Lo Monaco.
Au final les péripéties sous le Vésuve se terminent bien, la morale est sauve, l’intrus repart avec une tzigane, le mari récupère sa femme, l’amant affiche sa contrition et la musique de Rossini étincelle sous les ors de la salle Garnier. Le prince applaudit à la moralité de la fable tandis qu’ à trois reprises le plateau entonne les quelques mesures du final… et une standing ovation submergera presque la diva…
Quel spectacle !!!
Yves Courmes.
Jeudi 27 janvier 2022