Fraîcheur d’un matin, blancheur de l’aube, rire d’une fleur, pirouette d’une enfant… Sentiments qui s’opposent, s’entrechoquent, s’enlacent. Est-ce le son d’une voix lyrique ou d’une pierre volcanique que l’on entend au loin ? … Au loin ? D’où vient donc cette onde dont l’origine reste muette ? Du ruisseau des montagnes ou du gosier d’un oiseau ?
Ce son, ce don, c’est celui d’Amina, (Sara Blanch) Blanche Neige vocale, à qui le public-miroir renvoie la réplique par les applaudissements bruyants des souliers de la foule, à la chair de poule et à l’œil ému. Les plus connaisseurs comme les profanes s’enflamment, vacillent. Amina, ils sont fans de ce petit bout de femme-soprano, engagée et légère à l’instar des elfes diaphanes qui l’enveloppent et l’entraînent dans leurs danses (chorégraphie de Philippe Giraudeau).
Elle fait le vœu de se marier. Elle fait le vœu d’aimer. Elle aime. La cérémonie d’union avec Elvino (Edgardo Rocha, ténor au timbre soyeux) a lieu ce soir. Son sacrement demain, à quatre mains.
Elle l’aime, oui. Sa bouche le dit. Son éducation le crie. Sa culture le hurle ! Elle l’aime envers et contre tous ! ….Tous ? Contre le Comte Rodolfo (Adrian Sâmpetrean, allure altière et voix de bronze), oui, tout contre…. Ainsi en va son destin, plus fort que les conventions en costumes gris et noirs. Plus fort que la conscience. Plus fort que l’évidence.
Et cette fois, c’est son corps qui le dit ; la nuit, en cachette, lorsque la raison dort et que son âme dicte à ses jambes de la conduire vers l’amour, le vrai, le pur. L’amour hors normes, celui des sommets qui hissent la scène vers les cieux vierges des glaciers (décors Johannes Leiacker).
Ainsi la blanche somnambule est-elle portée, transportée malgré elle vers l’amour invisible, imprévisible, le seul qui vaille vraiment la peine d’être vécu. Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point !
Sous nos yeux, vêtue de sa chemise de nuit couleur de jour, Amina chante sa vie, la prononce, l’articule. Que de doux messages suggérés aux différents protagonistes : Teresa (Annunziata Vestri), Lisa (Cristina Giannelli), Alessio (Timothée Varon). Ainsi neige sous nos yeux l’enchevêtrement de rêves éveillés et de réalité somnolente. Clairs-obscurs, les costumes (Brigitte Reiffentsuel) et les lumières (Davy Cunningham) donnent le ton du contraste.
Les sommets sombres des montagnes se dressent sur les têtes grises du peuple villageois. Comme un destin qui les chapeaute. Chœurs unis dans une seule voix, une seule couleur (directeur du choeur Giulio Magnanini). Enthousiasme lumineux de l’héroïne en robe noire. Oui, on peut donner de la couleur à un costume gris-souris par un sourire étincelant ! Oui, on peut accrocher son cœur aux sommets des notes, à califourchon sur ce son qui remue le plexus solaire en pleine lune théâtrale dans les cieux où brille un orchestre transcendé par la baguette romantique du belcantiste Giuliano Carella.
Mais combien de temps la pureté de la roche, incarnée par Amina, peut-elle alimenter son arc-en-ciel sous le poids des bonnets affligés des attentes sociales, des par cœur sans cœur des chœurs ?
La contagion n’existe pas. C’est ce que veut montrer le metteur en scène (Rolando Villazón) dans son coup de théâtre final, en tentant de sauver l’héroïne qui s’enfuit. Si le somnambulisme est un délire ou un délit, si la vérité inconsciente écorche : retourner à la source, sur la voix du ruisseau, limpide et joyeux.
La Sonnambula, ainsi ré-sonne cette leçon d’amour et de liberté, l’un n’allant pas sans l’autre. L’on repart somnambule, hanté à tout jamais par l’écho de ce joyau musical de Vicenzo Bellini, incarné par la voix de cristal éthérée de Sara Blanch dans ce décor de neige.
Nathalie Audin
6 novembre 2022
