Logo-Resonances-Lyriques
Menu
Le Prince de Madrid à l’Odéon de Marseille

Le Prince de Madrid à l’Odéon de Marseille

samedi 19 octobre 2019
Grégory Juppin et Julie Morgane, Fréderic Cornille et Laurence Janot, Juan Carlos Echeverry Bernal et Amélie Robins, Claude Deschamps et Carole Clin, Fabrice Todaro – Photo Christian Dresse

En 1959 le Châtelet affiche Le Secret de Marco Polo une grandiose odyssée du navigateur vénitien signée Raymond Vincy et Francis Lopez. Au cours d’une répétition un incident oppose Luis Mariano à Maurice Lehmann l’emblématique directeur de ce théâtre. Le ténor n’y reviendra donc que 8 ans plus tard lorsque Marcel Lamy assurera, à son tour, la direction de ce temple de l’opérette. Luis Mariano rêvait d’incarner à la scène le peintre espagnol Francisco Goya dont il était un fervent admirateur. Il avait évoqué plusieurs fois ce projet avec son compositeur fétiche, Francis Lopez. On fit appel au vieux compagnon de toujours, l’inépuisable et talentueux Raymond Vincy pour le livret et celui-ci accepta de reprendre la plume pour une dernière fois.

Les 30 musiciens de l’orchestre étaient dirigés, pour la circonstance, par Jean-Claude Casadesus qui fit l’exceptionnelle carrière de chef d’orchestre que tous les amateurs d’art lyrique connaissent parfaitement. Le succès fut au rendez-vous avec 553 représentations successives. L’histoire relate la rencontre de Francisco Goya avec la duchesse d’Albe et leur liaison au cours de laquelle le célèbre peintre fit de sa maîtresse des tableaux qui connurent une célébrité mondiale : la « Maja vestida » et la « Maja desnuda » après avoir toutefois valu de sérieux déboires à son auteur auprès de la toute puissante inquisition. Il est aussi question des combats de Goya dans les arènes comme torero dans la cuadrilla du matador Costillares et, pour rester dans le ton pastel de l’opérette, il est prêté à Goya une relation amoureuse avec une sage jeune fille du nom de Florecita. Dans Le Prince de Madrid les auteurs ont choisi une période de la vie de Goya où celui-ci va sur ses 40 ans. L’œuvre n’est pas à proprement parler une biographie, le librettiste ayant pris beaucoup de libertés avec la vérité historique, mais quelques uns des faits relatés se sont réellement passés et les personnages principaux ont existé. A l’époque de la création en 1967 Marcel Lamy avait engagé 200 millions de francs de budget avec 28 décors et 1200 costumes signés par Emilio Burgos.

Au Théâtre de l’Odéon la partition originale est restituée dans sa quasi-intégralité. On y trouve notamment la fameuse entrée de Goya « España », la grande valse : « C’est en vous que j’ai choisi » lors de la réception chez la duchesse d’Albe, l’entraînante féria qui conclut le final de l’acte I et de l’acte II ainsi que le « Torero » qui, quoique sur un mode beaucoup plus lent, paraît néanmoins une réminiscence de celui d’« Andalousie ». Dans la partition révisée ne figure plus le duo de « La carriole » entre Goya et Florecita. Mais a été rétabli le duo « Je n’y comprends rien » qui existait initialement entre Goya et Horatio ainsi qu’un air en espagnol chanté à la guitare par ce dernier. Il n’est évidemment pas envisageable de reconstituer à l’identique, sur une scène comme celle de l’Odéon, le faste d’antan du Châtelet qui, de toutes manières, n’a plus cours aujourd’hui et Carole Clin a eu parfaitement raison d’épurer la scénographie en un processus simple mais efficace composé essentiellement d’un cyclorama, de quelques arcades et de grandes toiles qui rendent hommage à l’Espagne de Francisco Goya. Ce processus permet ainsi de passer rapidement d’un tableau à l’autre avec une extrême fluidité et d’insérer, avec bonheur, la chorégraphie de Felipe Calvarro très « couleur locale » empruntée au flamenco.

Pour Le Prince de Madrid il faut une importante distribution et tous les rôles sont ici très judicieusement choisis avec, en Goya, le ténor Juan Carlos Echeverry Bernal qui use de son charme vocal et interprétatif en conférant en outre la crédibilité requise au protagoniste par son physique avenant. Le baryton Frédéric Cornille a lui aussi tout d’un fier hidalgo se glissant avantageusement dans le costume du matador Costillares faisant de surcroît valoir toutes les harmoniques de sa belle voix de baryton aigu. Grégory Juppin et Fabrice Todaro rivalisent de fantaisie dans des personnages aux tempéraments pourtant opposés, l’exubérant Paquito et l’introverti Horatio. Côté dames, on est aussi parfaitement servis avec la tendre Florecita d’Amélie Robins laquelle détaille, avec un goût exquis et des vocalises cristallines, ses couplets du « Prince charmant », tandis que, comme il fallait s’y attendre, Laurence Janot impose une duchesse d’Albe grandiose avec deux airs admirablement écrits par Francis Lopez : celui du « bijou » à l’acte I et, à l’acte II, l’émouvant « Pour sauver mon amour ». Quant à Julie Morgane, elle ne fait évidemment qu’une bouchée de Paquita, brûlant la scène par son tempérament hors pair. N’oublions pas aussi l’amusante Léocadia de Priscilla Beyrand et, bien entendu, le formidable Esteban auquel Claude Deschamps apporte toute l’expérience d’un comédien accompli qui sait déchaîner, comme personne, les rires du public avec, à sa hauteur, une partenaire qui ne s’en laisse pas pour autant compter : Carole Clin toute aussi réjouissante dans une Donna Inez acidulée et explosive à souhait. Philippe Béranger est un inquiétant et cauteleux Godoy qui tire les fils d’une intrigue destinée à perdre Goya tandis qu’en marquis et en marquise le couple formé par Antoine Bonelli et Simone Burles est, comme à son habitude, inénarrable. Direction vive et colorée de Bruno Conti à la tête de l’orchestre de l’Odéon avec la participation de l’excellent chœur phocéen.

Catherine Pellegrin
 

19 octobre 2019

 

Imprimer
Cookies
Nous utilisons des cookies. Vous pouvez configurer ou refuser les cookies dans votre navigateur. Vous pouvez aussi accepter tous les cookies en cliquant sur le bouton « Accepter tous les cookies ». Pour plus d’informations, vous pouvez consulter notre Politique de confidentialité et des cookies.