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Le Nozze di Figaro en clôture de saison au Teater-am-Gärtnerplatz de Munich

Le Nozze di Figaro en clôture de saison au Teater-am-Gärtnerplatz de Munich

dimanche 2 juillet 2023
Crédit photographique @ Markus Tordik

Le metteur en scène Josef E. Köpplinger fait se dérouler l’action de l’opéra dans l’Espagne des années 1960. Il considère que la période de la fin du franquisme peut aisément être mise en parallèle avec l’atmosphère de la France prérévolutionnaire, au moment où Beaumarchais écrivit sa pièce dont s’inspira le librettiste de Mozart, Lorenzo da Ponte. La noblesse de la fin du 18ème siècle tentait de s’accrocher à ses privilèges. L’Espagne de Franco, extrêmement patriarcale et machiste, affichait des mœurs strictes. Almaviva comme Louis XVI avaient dû faire des concessions. Louis XVI avait qualifié la pièce de Beaumarchais « d’exécrable, qui se joue de tout ce qui est respectable » et dont « la représentation ne pourrait qu’être une inconséquence fâcheuse, sauf si la Bastille était détruite ». Mais la censure qui avait d’abord frappé la pièce fut levée en 1784 et la pièce connut alors un triomphe. Dans les années 1960, le régime dictatorial franquiste connut des assouplissements progressifs, ainsi en mars 1966 une loi sur la presse fut promulguée, qui abolissait la censure a priori, mais en rendant les journalistes et rédacteurs de presse responsables de ce qu’ils écrivaient. Le metteur en scène rappelle que la dictature s’affaiblissait et s’effritait peu à peu : il en donne pour exemple l’ouverture du premier bar gay à Torremolinos en 1962. L’opéra de Mozart n’est cependant pas politique, il réaccorde plutôt les violons en matière de mœurs : le comte n’est pas  simplement présenté comme un méchant et Figaro n’est pas tout blanc lui non plus. En Autriche, l’empereur comprit bien que l’opéra ne tendait pas à bouleverser les institutions et donna l’autorisation de le jouer.
La thématique centrale du Mariage de Figaro s’intéresse aux relations humaines, amoureuses ou sexuelles, et à leur évolution : le comte trompe ouvertement Rosina dont il fut éperdument épris, la comtesse flirte volontiers avec Cherubino tout en espérant sauver son mariage. Au cœur de la mise en scène se trouvent des questions telles que : Qu’arrive-t-il à l’amour ? Qu’est-ce que l’amour en général ? L’amour existe-t-il sans lubricité ? L’excitation peut-elle remplacer l’amour ? Cette dimension humaine rend l’opéra intemporel.
Symboles de la transformation, les décors de Johannes Leiacker nous montrent un palais appauvri et en ruine : carreaux cassés non réparés, dessus des murs écroulés, plâtras troués, fresques en mauvais état… Visiblement le comte est trop occupé à courir le guilledou et s’intéresse peu à ses finances et à l’entretien de son château. Au centre de la chambre nuptiale où doivent s’installer Figaro et Susana se trouve un lit fait de palettes superposées sur lesquelles est jeté un matelas. Au lever de rideau on y voit le couple allongé qui vient de s’envoyer en l’air. La chambre de la comtesse, tout aussi délabrée, est décorée d’une fresque représentant une femme nue offerte ou faisant l’amour dans la tradition de la peinture érotique libertine française du 18ème siècle de François Boucher ou de Fragonard. Les scènes finales se déroulent dans la salle de théâtre du château. L’encadrement de la scène est surmonté d’un A majuscule (pour Almaviva) placé sous une couronne comtale dorée. C’est la scène qui figurera le jardin dans lequel Susanna a donné rendez-vous au Comte.
Josef E. Köpplinger est un spécialiste de l’opérette viennoise qui maîtrise parfaitement bien les placements et les déplacements des personnages. Tout cela est mené de main de maître et se déroule avec vivacité et souplesse. Les rebondissements bien connus de cet opéra où les personnages passent leur temps à se cacher sont fort bien menés.

Le maestro argentin Rubén Dubrovsky, pourtant spécialiste reconnu des opéras de Haendel et de Mozart, n’arrive pas tout à fait à faire rendre à l’orchestre tout l’entrain envoûtant que permet la musique de cet opéra : l’ouverture menée au grand galop n’est pas parvenue à soulever l’enthousiasme du public. Dubrovsky sera le chef d’orchestre principal du Staatstheater am Gärtnerplatz à partir de la saison 2023/2024. Il faut sans doute laisser le temps au temps pour que la collaboration avec l’orchestre s’avère fructueuse.

L’enchantement de la soirée est surtout venu de la troupe du théâtre qui a fait à nouveau planer sur la scène le fameux esprit d’équipe du théâtre populaire de Munich. Excellent dans le rôle, Levente Páll met sa basse brillante, puissante et enflammée, d’une belle étendue, au service de son Figaro qui brûle les planches. La soprano roumaine Ana Maria Labin, une mozartienne de réputation internationale, fait ses débuts au Theater am Gärtnerplatz dans une merveilleuse comtesse qu’elle interprète tout en nuances et avec une délicatesse exquise, un rôle qu’elle maîtrise pour l’avoir souvent chanté et dont elle rend avec beaucoup d’émotion le caractère psychologiquement complexe. La Susanna incisive et vocalement très sûre de Sophie Mitterhuber a été très acclamée, elle donne un caractère très affirmé au rôle de cette jeune femme sûre d’elle-même et prête à tout pour défendre son bon droit. La Marcellina d’Anna Agathonos est une merveille de composition d’un personnage burlesque qui reprend apparence humaine lorsqu’elle reconnaît en Figaro le fils qu’elle croyait avoir perdu. Le double travestissement de la mezzo Anna-Katharina Tonauer en Cherubino est théâtralement très réussi, même si on aurait aimé un chant plus déchaîné, plus débordant de sève juvénile.
Très convaincant en comte, Ludwig Mittelhammer gagne en puissance tout au long de l’opéra. Les personnages secondaires, le Basilio de Juan Carlos Falcón, l’exquise Barbarina de Julia Sturzlbaum et l’Antonio de Alexander Grassauer rendent tous trois honneur à la réputation de la troupe, alors que le Dottore Bartolo de Reinhard Mayr nous a semblé trop en retrait, notamment dans son “sillabato” peu percutant. La qualité du chœur, préparé par Dovile Siupenyte, est extrêmement réjouissante, il ne rend cependant que médiocrement la fougue sévillane dans sa danse andalouse.

Comme lors de la première, la troupe fut acclamée par une standing ovation bien méritée.

Luc-Henri ROGER

Le Nozze di Figaro 
Distribution de la représentation du 2 juillet 2023

Opera buffa en quatre actes
Musique de Wolfgang Amadeus Mozart
Livret de Lorenzo Da Ponte
D’après “La folle journée ou Le mariage de Figaro” (1778) de Pierre Augustin Caron de Beaumarchais
Première représentation le 1er mai 1786 au Altes Burgtheater, Vienne
Première le 29 juin 2023
Direction musicale Rubén Dubrovsky
Mise en scène Josef E. Köpplinger
Scène Johannes Leiacker
Costumes Thomas Kaiser
Lumières Josef E. Köpplinger, Peter Hörtner
Chorégraphie Karl Alfred Schreiner
Réalisation du chœur Dovil? Šiup?nyt?
Dramaturgie Fedora Wesseler

Direction d’orchestre Rubén Dubrovsky
Mise en scène Josef E. Köpplinger
Chorégraphie Karl Alfred Schreiner
Décors Johannes Leiacker
Costumes Thomas Kaiser
Lumières Peter Hörtner
Vidéo Raphael Kurig
Dramaturgie Fedora Wesseler

Comte Almaviva Ludwig Mittelhammer
Comtesse Almaviva Ana Maria Labin
Susanna Sophie Mitterhuber
Figaro Levente Páll
Cherubino, page Anna-Katharina Tonauer
Marcellina Anna Agathonos
Don Bartolo, médecin Reinhard Mayr
Don Basilio, professeur de musique Juan Carlos Falcón
Don Curzio, juge Caspar Krieger
Barbarina, fille d’Antonio Julia Sturzlbaum
Antonio, jardinier Alexander Grassauer

Chœur, figurants et figurants enfants du Staatstheater am Gärtnerplatz
Orchestre du Staatstheater am Gärtnerplatz

Prochaines représentations le 7, 9, 13 et 16 juillet 2023
Reprise la saison prochaine en février et mars 2024

 

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