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Le miracle de Lafrançaise (Tarn-et-Garonne)

Le miracle de Lafrançaise (Tarn-et-Garonne)

dimanche 23 juin 2024

L’Orchestre symphonique Olympe à Lafrançaise, sous la direction de Jérôme Lézian, le 21 juin 2024. (c) Dr. Philippe Olivier

Pour la la Fête de la Musique 2024, une bourgade proche de Montauban a élargi son étonnante offre culturelle en passant des récitals de chant et/ou de piano au répertoire symphonique. Découverte d’une aventure emblématique de conquête d’un public et d’animation intelligente du monde rural. Un parcours exemplaire et libre, aux antipodes des tintamarres se prétendant dignes de la journée nationale de réjouissances de juin, initiée en 1982 par Maurice Fleuret sous la bannière de Jack Lang.

Prenez une paisible localité du Tarn-et-Garonne nommée Lafrançaise, située sur une colline et dotée de certaines références. Quelques-uns de ses deux mille habitants se sont rendus – depuis des décennies – au Festival de Bayreuth. L’un d’eux, Thierry Kerébel, y est allé au milieu des années 2010. Il a ensuite installé à Lafrançaise le mystérieux Pavillon Siegfried. Ce petit Graal architectural ne peut être visité que par les personnes à même de prouver qu’elles ont assisté au moins une fois aux solennités wagnériennes de Haute-Franconie. En revanche, Thierry Kerébel a su ouvrir toutes grandes les vannes de concerts publics destinés à ses concitoyens. Il a, en 2014, fondé avec plusieurs passionnés les Scènes musicales de Lafrançaise. Une aventure hors du commun, faisant contraste avec la désertification culturelle des campagnes françaises, devenue aujourd’hui un prétexte – au ministère de la Culture – pour tenter, de manière infructueuse, de se donner bonne conscience.

En l’espace d’une décennie, les lieux anciens et autres châteaux des environs – dont celui possédé par le neveu du penseur Michel Serres (1930-2019) – ont commencé à accueillir des concerts de musique de chambre et de jazz. On y a vu et entendu Béatrice Uria-Monzon, le Trio Al Dabaràn, les pianistes Simon Ghraichy, Iddo Bar Shai et Wilhem Latchoumia ou encore le sentencieux Philippe Cassard. D’ores et déjà, une soixantaine de concerts se sont déployés pour le bonheur des populations locales et avoisinantes. Elles ont aussi fêté le guitariste Thibault Cauvin et s’apprêtent à voir Julie Depardieu en chair et en os. Tous ces événements se sont toujours déroulés dans la bonne humeur. Les Lafrançaisins aiment le contact et le bon vin. Ils ont aussi conscience de la chance dont ils disposent. Thierry Kerébel prospecte sans cesse. Il entretient un qui-vive permanent dans la recherche d’interprètes de haute qualité. Désormais, le sérail fermé des virtuoses connaît le nom de Lafrançaise.

Le 21 juin 2024, la Fête de la Musique et le 10ème anniversaire des Scènes musicales ont été célébrés par un événement à la fois exceptionnel et luxueux pour une bourgade : la tenue d’un concert symphonique à entrée gratuite. Celui-ci avait été programmé pour se dérouler en plein air, sur la place centrale de Lafrançaise. Mais les aléas d’une météorologie capricieuse ont suscité – trois heures avant le début de la manifestation – un redéploiement des moyens artistiques et humains. On a vu les bénévoles des Scènes musicales et des habitants translater de toute urgence instruments de musique, chaises et matériel nécessaire vers la Salle des Fêtes, jadis marché couvert. Puis, six cents personnes en liesse se sont installées pour ouïr ce que je qualifie – sans ironie – de premières auditions à Lafrançaise.

Il s’agissait notamment d’un fragment du Roméo et Juliette de Prokofiev, du Prélude symphonique de Puccini, d’une Danse hongroise de Brahms ou de La Moldau, célébrissime poème symphonique de Smetana. Des extraits du Lac des Cygnes de Tchaïkovski, partition trop anecdotique ayant encrassé les oreilles de l’univers entier depuis cent quarante-sept ans, étaient aussi au menu. Cette soirée aura été un événement majeur dans la mesure où elle aura prouvé que des acteurs culturels déterminés ne se seront pas pollué l’esprit à chercher tous les prétextes possibles et imaginables afin d’empêcher des ruraux d’accéder aux plaisirs du répertoire orchestral. Voici qui m’a rappelé, en quelque sorte, la venue de Jean-Claude Casadesus et de l’Orchestre national de Lille à Fourmies, une localité du Nord huit fois plus étendue que Lafrançaise, au milieu des années 1980 pour la Cinquième Symphonie de Mahler.

Bien qu’ayant été accoutumé, en l’espace d’un demi-siècle, à entendre in situ les plus grandes phalanges de la planète, je n’ai aucune raison de me montrer cruel à l’égard de l’Orchestre symphonique Olympe, invité à se produire à Lafrançaise. Né l’année dernière, il est constitué par une cinquantaine d’instrumentistes professionnels et amateurs domiciliés surtout en Tarn-et-Garonne. Cette forme de mixité est satisfaisante. Elle soutient, dans la rencontre du répertoire symphonique, une véritable épreuve de force. Comme l’indique la présidente de l’orchestre, l’infirmière Anne-Flore Willer, la formation se distingue par « un système de cooptation. Les nouveaux venus y sont intégrés selon des critères à la fois musicaux et extramusicaux. Il faut aimer notre ambiance. » Non sans raison. Une bonne humeur communicative distingue les Olympe. Ils sont enchantés de jouer ensemble. Leur esprit joyeux fait plaisir à voir. Il se distingue ainsi de la sinistrose sociale ambiante. Cette caractéristique imprègne les week-ends studieux au cours desquels l’orchestre travaille son répertoire.

L’étape de Lafrançaise, plébiscitée par un auditoire dont 95% des membres n’avait jamais écouté une formation symphonique en présentiel, a marqué le quatrième concert de l’Orchestre symphonique Olympe, porté sur les fonts baptismaux en janvier dernier à Moissac. On trouve dans ses rangs un praticien du cor anglais lié à l’Orchestre national de Lille. Il est probable que, durant les années à venir, la formation développera sa cohérence et sa recherche de l’intonation fiable parmi les cordes et la petite harmonie. Le concert du 21 juin aura déjà permis de découvrir un pupitre de cors, des cuivres, un claviériste, une harpiste et des percussionnistes d’une réelle sûreté. On créditera de ces recrutements le tromboniste Jérôme Lézian, par ailleurs chef de l’Orchestre symphonique Olympe. Il aura présenté, depuis son pupitre, les œuvres retenues pour la soirée.

Il importe d’indiquer, au moment de conclure, que Thierry Delbreil – le maire de Lafrançaise – accordera dorénavant un toit aux Olympe. Ceux-ci en étaient dépourvus. Le premier magistrat municipal et Thierry Kerébel sont dans le concret. Une pareille détermination – hors du commun – mérite un absolu respect. Elle est inhabituelle parmi une France en proie à des tourments n’ayant rien de culturel.

Dr. Philippe Olivier

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