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Le Jeu de l’amour et du hasard au Théâtre National de Nice (Colline du château)

Le Jeu de l’amour et du hasard au Théâtre National de Nice (Colline du château)

vendredi 28 août 2020
En haut et à gauche entourant Gerard Holtz, Frédéric de Goldfiem, Augustin Bouchacourt, Margot Mayette, Marial Bajma Riva, Jonathan Gensburger, Pauline Huriet

Crédit photo  : Léa Saboun

D’abord, à partir de la rue de Foresta, on prend le petit train blanc touristique pour emprunter l’étroit chemin sinueux qui serpente jusqu’au sommet de la colline du Château. Puis en débarquant sur le plan arboré, bordé du promontoire qui domine la ville de Nice, on découvre un grandiose panorama où s’imposent de majestueux pins parasols aux troncs massifs. Sur cette large esplanade en format «cinémascope», côté jardin, une allée conduit à un pavillon de toile blanche alors que côté cour, une épaisse partie boisée se révèle sans doute propice à l’échange de mystérieux secrets. Les rayons du somptueux soleil couchant qui irisent la Baie des Anges magnifient l’ensemble. Lorsque survient le crépuscule, la représentation commence et les lumières viennent étrangement parer d’irréalité ces lieux tandis qu’embaument des effluves et des senteurs subtiles de végétation maritime.

Les cœurs vont donc battre au rythme du Jeu de l’amour et du hasard de Marivaux. Surgissent Silvia et Lisette, toutes deux vêtues de tuniques blanches légères pareilles à de diaphanes sylphides. Tout semble s’inscrire dans une chorégraphie telle qu’on l’imagine dans un théâtre antique grec et l’on se plaît à penser que ce décor champêtre puisse confondre, en les unissant, les deux rivages de la Méditerranée et de la mer Egée. Au centre de la scène où un bassin a été installé les jeux de nos deux naïades insouciantes, empruntent aux peintures impressionnistes de Berthe Morisot ou aux jeunes filles en fleurs de Bilitis. Les fous rires se mêlent aux frôlements ingénus des corps qui s’effleurent et se lavent en un innocent prélude à une sensualité qui sera postérieurement dissimulée sous l’expression de sentiments pudiques ou exacerbés. Ce joyeux babillage est interrompu par Orgon lequel tient en ses mains les fils de l’intrigue : Dorante, qui doit épouser Silvia, fera sa cour sous le nom de Bourguignon et sous les habits de son valet Arlequin, tandis que Silvia est autorisée à revêtir la tenue de sa servante Lisette sans que chacun sache ce qu’il en est, suivant en cela le postulat posé par Marivaux dans la plupart de ses ouvrages : mettre à l’épreuve ses héros qui veulent s’enquérir s’ils sont aimés pour eux-mêmes et qui empruntent, pour tenter de s’en assurer, le subterfuge du déguisement et du masque. 

Muriel Mayette-Holtz, nouvelle directrice du Théâtre National de Nice, offre son expérience de comédienne, de metteuse en scène et d’administratrice de la Comédie Française à ce grand classique démontrant notamment avec quel brio elle maîtrise le vaste espace de ce plateau naturel sans trahir pour autant le caractère intimiste de la pièce. Elle saura habilement utiliser la plupart des arbres quand il s’agira de permettre à Silvia d’épier Lisette et Arlequin tout comme elle aidera son héroïne dans son altercation avec son frère lorsqu’elle fera monter Silvia sur une chaise pour qu’elle puisse faire jeu égal avec lui dans son insatiable désir d’affirmer son amour-propre et d’assumer son destin. La confrontation entre Silvia et Dorante à cheval (beau numéro de haute école équestre !) qui finit par s’enfuir au galop est aussi une séquence marquante sur le double plan dramatique et esthétique. Composant parfois des tableaux à la Watteau, utilisant les germes du préromantisme chez Marivaux pour rejoindre Musset dans la bouleversante séquence de la révélation de Dorante où les visages des « amants » sont nimbés par un seul rayon de lune (poursuite judicieusement utilisée), la direction d’acteurs de Muriel Mayette-Holtz est aussi précise qu’efficace, aussi raffinée que chaleureuse.

Elle parvient en outre à communiquer l’énergie nécessaire à une troupe en état de grâce et dont l’enthousiasme et le plaisir de jouer se devine à chaque réplique et à chaque geste. Fraîcheur et jeunesse sont ici les maîtres mots. Les comédiens ont l’âge de leurs rôles et les deux héroïnes paraissent sorties depuis peu de l’adolescence. Silvia est certes déterminée autant qu’émouvante mais Pauline Huriet sait aussi accorder à son personnage des parenthèses d’humour. Sa crise de nerfs -au second degré- à l’encontre de Lisette est fort bien rendue ainsi que sa colère vis à vis de son père et de son frère lorsqu’elle se sent prise à l’inéluctable piège de la contradiction de ses sentiments. Marial Bajma Riva dessine une Lisette pétillante au tempérament exceptionnel qui s’adonne avec Arlequin (Jonathan Gensburger) à un « duo » d’une drôlerie irrésistible au cours duquel la servante déploie tout un arsenal de séduction comique à la manière d’une cocotte de Feydeau. On savoure ce délicieux intermède comme une succulente friandise. Augustin Bouchacourt incarne un Dorante fougueux et passionné qui se dissimule avec habileté sous les hardes du faux Bourguignon. En Mario désinvolte et hâbleur on retrouve avec plaisir le toujours impeccable Frédéric de Goldfiem. Quant à Gérard Holtz (taraudé depuis l’enfance par le virus de la scène) il a été pour beaucoup (qui ne connaissait que le journaliste) l’excellente surprise de la soirée brossant, avec autant d’aplomb que d’esprit, un Géronte sarcastique et ironique mais somme toute débonnaire.

Margot Mayette et sa flûte traversière ont contribué à l’enchantement de ce spectacle par des interludes musicaux s’accordant à merveille au charme envoûtant de cette belle nuit d’été.

Il faut impérativement renouveler dans ce lieu magique cette expérience particulièrement réussie et ce, toutes les années, dans le cadre d’un festival d’été de théâtre qui ne pourrait que contribuer au régal des habitants de Nice et d’ailleurs et participer ainsi significativement au rayonnement culturel de la ville et de la région.

Christian Jarniat
 

 

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