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Le Conte du Tsar Saltane à La Monnaie de Bruxelles : Dmitri Tcherniakov à son meilleur

Le Conte du Tsar Saltane à La Monnaie de Bruxelles : Dmitri Tcherniakov à son meilleur

dimanche 17 décembre 2023

Ensemble © Forster

Si le metteur en scène Dmitri Tcherniakov divise régulièrement le public à propos de ses réalisations revisitées ou transposées – entre jeu de rôle pour Carmen et échangisme pour Così fan tutte –, son traitement du Conte du Tsar Saltane semble faire une unanimité enthousiaste. Depuis sa création à La Monnaie en 2019, le spectacle devait être accueilli au Teatro Real de Madrid, son coproducteur, mais l’escale madrilène a été décalée de quelques années, vraisemblablement en raison de la crise sanitaire Covid. Il a été en revanche montré à l’Opéra du Rhin la saison dernière, où il a également suscité un ravissement général.

Tsar Saltan S.Aksenova Militrisa B.Volkov Gvidon 2 © Forster 1
S.Aksenova & B.Volkov © Forster

La représentation commence sans musique avec deux personnages sur le plateau qui entrent devant le rideau métallique doré : il s’agit de la tsarine Militrissa et de son fils, le tsarévitch Gvidon. La mère explique d’abord, en russe avec traductions en diverses langues projetées sur le rideau, que son fils n’a jamais vu son père, qu’il ne parle pas – « … enfin qu’à moi… » – et qu’il est autiste. La mère raconte alors l’histoire, « comme un conte de fées », ce traitement personnel du réalisateur russe, en surimpression de l’intrigue originale, ajoutant indéniablement à l’émotion. On peut d’ailleurs rappeler brièvement l’histoire : le Tsar Saltane choisit pour épouse la cadette Militrissa, tandis que la jalousie s’empare des deux autres sœurs Tkatchikha et Povarikha, aiguisée par la vieille mère Babarikha. Quand Militrissa met au monde Gvidon, alors que Saltane est parti à la guerre, les trois méchantes lui font parvenir un message indiquant que la tsarine a enfanté un monstre. Le tsar condamne sa femme et son fils à la mort, enfermés dans un tonneau jeté à la mer, mais les deux débarquent sur une île qui dévoilera des trésors : l’écureuil et ses noisettes d’or et d’émeraude, les trente-trois chevaliers sortis de la mer, ainsi que la Princesse Cygne, sauvée des griffes du vautour par une flèche décochée par Gvidon. Reconnaissances et réjouissances générales à la conclusion, tout le monde est pardonné et Gvidon peut être uni à la Princesse Cygne.

Tsar Saltan S.Aksenova Militrisa Ensemble1 © Forster 1
Ensemble ©Forster

Après donc le discours liminaire de Militrissa, les personnages montent ce soir sur scène depuis les deux côtés du parterre, vêtus de costumes et coiffes naïfs, des caricatures comme dessinés grossièrement aux crayons de couleurs. Ce graphisme est aussi utilisé en projections vidéos sur le tulle en avant-scène, des dessins comme griffonnés en noir et blanc qui produisent régulièrement un effet effrayant lorsqu’ils s’animent, comme par exemple les trois cruelles qui se transforment en horribles monstres marins quand la sentence du tonneau jeté à la mer tombe. Au III également, pendant « le vol du bourdon », soit le passage musical le plus connu de l’ouvrage, l’insecte menaçant (en fait Gvidon qui espionne au palais du tsar) qui pique à trois reprises les méchantes à la paupière forme une séquence vidéo amusante et impressionnante. Avant cela au deuxième acte, la Princesse Cygne dans une magnifique robe blanche à plumes est allongée, derrière le rideau transparent, dans une sorte de grande alcôve, ce volume recevant aussi des images projetées, en couleur cette fois. Mais l’issue n’est pas ici aussi heureuse que dans l’original : tous les personnages sont à présent en tenue de ville au quatrième et dernier acte, Saltane est revenu, pour la bonne santé mentale de son fils, mais celui-ci reste malheureusement enfermé dans sa maladie, frappant le rideau de scène et se roulant à terre.

Tsar Saltan S.Aksenova Militrisa B.Volkov Gvidon O.Kulchynska Swan Bird © Forster 1 1
B.Volkov, S.Aksenova & O.Kulchynska © Forster

Il faut en premier lieu saluer la performance exceptionnelle du ténor Bogdan Volkov distribué en Gvidon, non seulement doté d’une voix ferme, séduisante, capable de jolie mezza voce, mais qui assure aussi une performance théâtrale d’exception. Présent absolument en permanence en scène, il souffre d’autisme avec un réalisme qui fait mal à l’âme du spectateur, depuis les premiers instants lorsqu’il joue avec son écureuil en jouet et sa poupée de Princesse Cygne, ou bien quand il aligne avec maniaquerie ses soldats miniatures. Puis c’est presqu’en permanence que l’acteur agite ses bras et mains, cligne des yeux, hoche la tête, balance du tronc, jusqu’à gesticuler comme un insecte en battant des bras pendant le vol du bourdon. Militrissa est également à ses côtés tout du long, le veillant, l’aidant, l’encourageant, omniprésente et toujours prête à intervenir. La soprano Svetlana Aksenova interprète cette maman courage avec une forte charge émotionnelle, exprimant par le chant ses lourds sentiments, entre cri rauque poussé à l’énoncé de la sentence du tonneau et air de lamentation à tirer les larmes.

Les autres rôles sont moins développés, à commencer par le titre distribué à Ante Jerkunica, basse imposante et au grave profond qui interprète un autoritaire Tsar Saltane, même si le registre aigu se révèle plus fragile. Les interventions successives de la soprano Olga Kulchynska en Princesse Cygne enchantent nos oreilles, timbre séduisant et musicalité sans faille, très agile et souple dans l’aigu. Son duo d’amour avec Gvidon en fin de troisième acte est un très beau passage lyrique, Militrissa restant toutefois sur le qui-vive en cas de problème. Parmi les trois femmes cruelles, c’est la voix sombre du personnage de la vieille mère Babarikha, sans doute caricaturale, qui impressionne le plus, tenu par Carole Wilson. Les deux affreuses sœurs, qui trouveraient aisément leur place chez la Cendrillon de Charles Perrault, sont également bien en place vocalement : Stine Marie Fischer (Tkatchikha) et Bernarda Bobro (Povarikha). Les autres rôles masculins complètent idéalement : Alexander Vassiliev qui a fort à faire en Bouffon Skomorokh (il faut chanter, danser et jouer en même temps du tambourin), Nicky Spence en Messager, ainsi que l’autre ténor en Vieil Homme, le vétéran Alexander Kravets.

Tsar Saltan S.Aksenova Militrisa Ensemble © Forster 1
S.Aksenova & Ensemble © Forster

Le chef Timur Zangiev succède à Alain Altinoglu, présent au pupitre à la création de 2019. Sa direction est régulièrement généreuse, faisant sonner l’orchestre avec éclat, on pense aux cuivres en particulier, qui laissent quand même échapper de petites imperfections sur de rares notes (cors et trompettes). Mais le chef sait également ménager la phalange pour ne pas mettre en difficulté les solistes sur le plateau. On peut ainsi goûter à cette merveilleuse partition dans une acoustique à la définition très précise, chaque pupitre, chaque instrument pouvant être distingué individuellement. Très bien préparés par Emmanuel Trenque, ancien chef des chœurs de l’Opéra de Marseille et en poste à La Monnaie depuis cette saison, les choristes concourent au succès de l’entreprise, placés selon diverses configurations : sur scène, en coulisses ou encore répartis au dernier étage du théâtre en fin d’acte II.

En conclusion, une partition enchanteresse et l’un des meilleurs spectacles de Tcherniakov, avec aussi par exemple La Fille de neige du même Rimski-Korsakov (production donnée une fois à l’Opéra Bastille et jamais reprise depuis… quel dommage !). La réalisation fera donc escale prochainement à Madrid (2025 a priori)… si jamais vous y passez …

Irma FOLETTI

17 décembre 2023

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Direction musicale : Timur Zangiev

Mise en scène & décors : Dmitri Tcherniakov

Costumes : Elena Zaytseva

Direction artistique de la vidéo & éclairages : Gleb Filshtinsky

Chef des chœurs : Emmanuel Trenque

Le Tsar Saltane : Ante Jerkunica

La Tsarine Militrissa : Svetlana Aksenova

Le Tsarévitch Gvidone : Bogdan Volkov

La Tisserande Tkatchikha : Stine Marie Fischer

La Cuisinière Povarikha : Bernarda Bobro

Babarikha : Carole Wilson

La Princesse-Cygne : Olga Kulchynska

Le Vieil Homme, Marin : Alexander Kravets

Le Messager, Marin : Nicky Spence

Le Bouffon, Marin : Alexander Vassiliev

Orchestre symphonique et chœurs de la Monnaie

Production : La Monnaie

Coproduction : Teatro Real (Madrid)

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