L’ouvrage voit le jour au Théâtre du Châtelet en décembre 1951. Il totalisera en trois années successives (à guichet fermé) pas moins de 905 représentations : record absolu pour le Châtelet !
Ni Francis Lopez (le compositeur), ni Luis Mariano (l’interprète principal) ne sont alors des inconnus auprès du public.
Quelques années auparavant, le succès de La Belle de Cadix (1945) les avait révélés tous deux, déclenchant un triomphe inattendu dans le monde de l’opérette d’après-guerre, suivi par le non moins phénoménal Andalousie en 1947.
L’opérette cherchait un nouveau souffle, sur le même scénario qu’en 1918 lorsque Phi-Phi – ouvrage « nouveau genre » – symbolisa à l’aube des années folles une véritable révolution musicale.
Le public voulait s’évader, en rêvant de voyages lointains et d’aventures extraordinaires !
L’intrigue originale a pris un sérieux coup de jeune et nous ne nous en plaindrons nullement. Paul-Émile Fourny a souhaité se rapprocher de la version proposée au Théâtre du Châtelet en 2006, qui situait l’action dans le cadre d’un tournage de film.
Voilà une bonne initiative en vérité : le dépoussiérage a gommé des personnages secondaires (pas vraiment indispensables) pour se concentrer sur les caractères centraux de l’histoire.
On peut y voir aussi un regard assez acide (et lucide) sur le milieu impitoyable du cinéma.
En revanche, pas de sacrifice concernant ” le grand spectacle”, dignement représenté par un orchestre de 55 musiciens, des artistes du chœur et du corps de ballet au complet qui font la fierté de l’Opéra-Théâtre de Metz.
Du grand spectacle visuel également : un décor en 3D offrant d’astucieux changements à vue, des toiles peintes flamboyantes, ainsi que 200 costumes traditionnels colorés (inspirés de l’univers de Frida Kahlo) apportent le faste et le dépaysement voulus.
La distribution s’avère principalement lyrique, car le genre de l’opérette (hélas en voie de disparition !) ne forme plus d’artistes pour ce répertoire.
Qu’importe, ces chanteurs-ses à voix prennent un évident plaisir à endosser des rôles légers. De plus, la partie comédie reste primordiale pour donner une crédibilité à des situations parfois tirées par les cheveux !
Chant, danse et comédie les rapprochent furieusement des comédies musicales actuelles, qui fleurissent enfin dans l’hexagone avec succès.
On retrouve ainsi le ténor franco-tunisien Amadi Lagha (interprète de Verdi ou de Puccini), qui endosse avec conviction le rôle de Vincent.
Face à lui, la splendide Perrine Madoeuf délaisse Mozart et les grands emplois de tragédienne lyrique pour incarner à la fois Eva Marchal et Tornada.
Sa nature explosive, doublée d’un physique de rêve (on pense à Marilyn Monroe dans son fourreau rose fuchsia) fait des étincelles.
Elle est la Star incontestée du spectacle. On se souvient de sa composition hilarante d’Eurydice dans la production récente à l’Opéra de Nice d’Orphée aux enfers.
Régis Mengus, baryton, se glisse dans la peau de Bilou. Nous avons aimé son jeu en demi-teinte qui demeure parfaitement complémentaire de celui de son acolyte Vincent.
Sa prise de rôle dans La Veuve joyeuse (Danilo) à l’Opéra de Marseille avait été plus que remarquée la saison passée. L’opérette peut sans conteste compter sur lui pour de futurs emplois !
Apolline Hachler campe une agréable Cricri, à qui il manque peut-être un brin de folie ; toutefois le Cartoni de Gilles Vajou – comédien chanteur – est épatant et nous amuse beaucoup.
Le reste de la distribution se révèle d’un bon niveau, le burlesque des situations fonctionne parfaitement, comme dans toute bonne comédie – avec cependant quelques effets un peu trop répétitifs.
Le très jeune et talentueux chef Victor Rouanet emporte avec lui l’orchestre, visiblement pris par les rythmes endiablés de la partition d’un Lopez très inspiré dans son début de carrière.
Redisons le plus grand bien du travail chorégraphique de Graham Erhardt-Kotowich, qui nous offre de très jolis intermèdes.
Nous rêvons de voir d’autres productions aussi soignées que celle-ci, pour affirmer que l’opérette reste toujours à la mode lorsqu’elle est traitée comme un art majeur !
Philippe Pocidalo
26 décembre 2024.
Direction musicale : Victor Rouanet
Mise en scène : Paul-Émile Fourny
Chorégraphie : Graham Erhardt-Kotowich
Distribution :
Vincent : Amadi Lagha
Eva/Tornada : Perrine Madoeuf
Bilou : Régis Mengus
Cricri : Apolline Hachler
Cartoni: Gilles Vajou