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Le Bourgeois Gentilhomme à Anthéa-Antipolis Théâtre Antibes

Le Bourgeois Gentilhomme à Anthéa-Antipolis Théâtre Antibes

mardi 10 mai 2022
Guillaume Geoffroy ©Alchy

Dire que Molière – dont on fête cette année le 400e anniversaire de la naissance – était (et demeure) un génie, est enfoncer une porte ouverte !… Écrire que chacune de ses pièces constitue un « mythe en soi » est une évidence !… Ainsi Harpagon, Dom Juan, Tartuffe et Alceste sont des « archétypes » parfaits (au demeurant passés dans le langage courant) pour évoquer respectivement l’avarice, la débauche, l’hypocrisie et l’insociabilité.

De la bourgeoisie à la noblesse : l’inaccessible quête pour accéder au Graal.
Le Bourgeois gentilhomme ne déroge pas au constat des « archétypes » ci-dessus visés. En effet qui ne connaît dans son entourage une personne qui, par vanité, tente le tout pour le tout afin d’apparaître dans sa structure familiale, dans son entreprise ou encore en tout autre lieu comme étant parvenu à échapper à une condition sociale qu’il n’estime plus ? Sauf que les capacités intellectuelles limitées (souvent corollaires d’un orgueil mal placé) constituent généralement des obstacles insurmontables pour accéder à un niveau que le quidam en question ne peut ou ne sait atteindre. Monsieur Jourdain est assurément un bourgeois riche mais tout l’argent qu’il possède ne saurait lui permettre d’accéder au rang de la noblesse. Toutes ses tentatives pour y parvenir demeurent vaines, échouent lamentablement et, de surcroît, le rendent ridicule. Il y a du pathétique et même de la noirceur chez Jean-Baptiste Poquelin – qui jouait le rôle-titre à la création – à dépeindre pareille situation. Et Molière n’hésite pas à pousser le bouchon très loin au cours de la caricaturale leçon de grammaire élémentaire où le Maître de philosophie (!) (grassement payé en tant que tel) tente d’enseigner doctement à Monsieur Jourdain…les clés élémentaires du langage en lui faisant distinguer le « a » d’un « e » et le « o » d’un « u » ! La richesse de ce bourgeois qui dispose des moyens de débourser sans compter, ne pourra néanmoins jamais lui permettre de trouver les clés pour accomplir sa quête du Graal parce qu’il lui est inaccessible.

Contemporanéité et symbolisme traités avec talent et efficacité.
La compagnie « Collectif La Machine » a décidé de procéder (comme le font aujourd’hui nombre de théâtres et en particulier le plus illustre d’entre eux : La Comédie-Française) à une transposition à notre époque. Pour autant ce processus de contemporanéité habituel aux metteurs en scène actuels ne se manie pas sans talent ni savoir-faire même s’il a le mérite de mettre les œuvres au goût du jour et en adéquation avec la sensibilité du public actuel. Mais cette compagnie a du talent à revendre et son metteur en scène comme ses comédiens ont une maîtrise du théâtre qui forcent l’admiration. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien qu’ils sont affichés pour douze représentations à Anthéa avec, en sus, neuf séquences complémentaires réservées aux scolaires.

Le prologue vient tout d’abord nous rappeler que cette comédie a été écrite, répétée et enfin jouée en moins de quinze jours à la demande du Roi. Puis le rideau qui se lève, découvre au fond, côté cour, un salon assez classique et à l’avant scène, côté jardin, une cabine technique vitrée avec des instruments d’enregistrement ainsi qu’une sorte de fil d’étendage sur lequel sont épinglées les photos de Monsieur Jourdain assorties d’un slogan de type « Élection présidentielle ». Cette cabine est pourvue de stores qui peuvent, au gré des scènes, se fermer ou s’ouvrir. Bref, sans doute une opposition entre l’univers d’hier et le monde d’aujourd’hui. Entre ces deux pôles est installé un énorme escalier qui aboutit à une sorte de trône vraisemblablement symbole de l’accession à de hautes fonctions et que Monsieur Jourdain gravira au fur et à mesure du déroulement de la pièce. D’ailleurs n’est-il pas par moments affublé d’un immense manteau rouge, emblème d’un pouvoir (royal ou impérial) qui est consacré par une couronne qu’il porte en guise de couvre-chef ? Tous ceux qui l’entourent sont des « courtisans » (au sens « générique » du terme) et ceux-ci sont de tous les temps (aussi bien au 17ème siècle que de nos jours). Ce sont des flatteurs parasites qui savent trouver la proie susceptible de les rémunérer pour tout et n’importe quoi et surtout pour la moindre flatterie. 

Burlesque, humour, musique et clin d’œil à la Comedia dell’arte. 
La pièce démarre sur une musique électroacoustique avec des lumières stroboscopiques qui sont censées être commandées depuis la cabine de régie sur scène de laquelle est tirée une table assortie d’instruments électroniques diffusant une bande sonore laquelle permet à Monsieur Jourdain de faire une imitation d’un rocker dont on peut imaginer qu’il pourrait être le clone de Johnny Hallyday. C’est là, pour lui, son apprentissage du chant avec le Maître de musique.
Suit l’intervention du Maître d’armes et il ne s’agit pas ici d’escrime avec des fleurets mais plutôt de bâtons que l’on peut voir (en modèles réduits) dans une représentation d’un théâtre Guignol pour enfants. Bien entendu, Monsieur Jourdain se fait à maintes reprises rouler au sol comme il se fait, pour le reste, rouler… dans la farine ! Énorme clin d’œil, au passage, à la Comedia dell’ arte et à ses bastonnades  
Et puis, il y a dans cette proposition loufoque d’autres clins d’œil comme celui aux ventriloques. En effet lorsque Monsieur Jourdain dialogue avec sa fille, c’est en fait un léopard en peluche assis sur ses genoux qui répond pour lui.  Comme on l’imagine, nous sommes dans un absolu burlesque qui n’est pas sans rappeler celui des Deschiens qui faisaient, il y un certain nombre d’années, la joie des téléspectateurs dans leur apparition quotidienne sur le petit écran (hommage à Jérôme Deschamps et Macha Makeïeff). Il y a d’ailleurs une séquence où la servante Nicole mouvemente un portant sur lequel est suspendue la garde-robe de la maisonnée et celui-ci part de manière incontrôlée dans les coulisses, avec à son aboutissement un énorme fracas.
Par ailleurs, Monsieur Jourdain est amoureux d’une marquise, Dorimène, bien entendu inaccessible. Dorimène est la maîtresse de l’imposteur Dorante lequel, naturellement sans le moindre scrupule, soutire de Monsieur Jourdain l’argent nécessaire pour l’entretenir en contrepartie d’une mensongère promesse faite au bourgeois dupé d’une (improbable) félicité amoureuse. Le moins que l’on puisse dire, dans cette mise en scène, c’est que Dorimène n’est pas spécialement futée ce qui nous vaut une scène d’approche amoureuse qui se prolonge par des avances sexuelles explicites, le tout constituant l’un des moments les plus hilarants de la comédie. 
 
Interprétation haut de gamme par un collectif survolté.
Félicien Chauveau – qui nous propose une mise en scène aussi inventive qu’exubérante – se glisse, en outre, dans le rôle de Madame Jourdain avec une coiffure apprêtée et une tenue tirée à quatre épingles. Cette épouse réaliste autant que sarcastique porte, comme il se doit, la culotte dans le ménage car elle a conscience des folies de son époux et essaie en vain de le raisonner. L’interprétation saisissante autant que réjouissante de Félicien Chauveau brûle les planches et nous fait, par moments, dans cette sorte de « comique distingué », penser à Albin que Michel Serrault jouait avec délectation dans La Cage aux Folles.
D’ailleurs tous les comédiens sont unanimement à louanger et interprètent plusieurs personnages : il y a la technicienne qui rit pour un oui ou pour un non en minaudant à tout propos et qui se transforme en délicieuse Lucile (Nikita Cornuault), le Maître de philosophie (Louis-Aubry Longeray) qui parvient à ne jamais se départir de son sérieux (en témoigne la scène de l’apprentissage des voyelles qui se termine par une sorte de « sollicitation d’un baiser » entre lui et Monsieur Jourdain). Il incarne aussi Cléante le militaire fiévreux et inquiet fiancé de Lucile. Irène Reva excelle à la fois dans le Maître à danser, la servante Nicole et la marquise Dorimène. Laurent Grappe troque sa tenue de Maître d’armes pour celle de Dorante aussi intriguant que désargenté, tandis qu’après avoir endossé l’habit du Maître de musique Kevin Ferdjani tire en Covielle les ficelles de toute cette histoire, se dissimulant, sous le masque de la Comedia dell’arte pour un final de la cérémonie du Mamamouchi aussi brillant que déjanté.
Bien sûr et dans la mesure où Le Bourgeois gentilhomme s’intitule « comédie-ballet », il y a de la musique mais ce n’est pas celle de Lully qui avait été spécialement commandée pour la création en 1670. Ici, on a plutôt un accompagnement pop-rock et ceci nous offre le plaisir de séquences jubilatoires dignes d’une comédie musicale où tout le monde chante, danse tandis que le public particulièrement enthousiaste accompagne cette joyeuse troupe en tapant dans les mains.
Une mention tout à fait particulière pour Guillaume Geoffroy qui dessine un exceptionnel Monsieur Jourdain gonflé de vanité et corrélativement boursouflé physiquement (énorme ventre et immense postérieur) dans une tenue absolument improbable laquelle vient souligner le côté grotesque de cette énorme farce – ô combien réjouissante ! – où tout va au rythme échevelé d’une chorégraphie parfaitement réglée et huilée. Entre la farce en question et par moment le cauchemar de Monsieur Jourdain qui est pris de visions oniriques quelque peu inquiétantes, tout baigne dans une effervescente énergie de tous les instants. 
Une incontestable réussite pour une compagnie déjà largement plébiscitée pour la qualité de ses précédents spectacles. 

Christian JARNIAT
Le 10 mai 2022

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