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L’ANCÊTRE / PALAZZETTO BRU ZANE / KAZUKI YAMADA / ORCHESTRE PHILHARMONIQUE DE MONTE-CARLO

L’ANCÊTRE / PALAZZETTO BRU ZANE / KAZUKI YAMADA / ORCHESTRE PHILHARMONIQUE DE MONTE-CARLO

samedi 1 novembre 2025

© Bru-Zane

Un enregistrement en première mondiale

Avec l’Ancêtre le label Bru Zane poursuit son exploration des répertoires les moins exposés. Ce ne sont pas moins de six ouvrages de Camille Saint-Saëns (1835-1921) qui ont été redécouverts et enregistrés. Une façon de dire que le compositeur ne se résume pas à Samson et Dalila !

De même qu’ont été exhumés par le Palazzetto Cinq Mars ou le Tribut de Zamora de Gounod, Thérèse, le Mage, Ariane ou Grisélidis de Massenet. Quand Faust et Werther ont été captés, il s’agissait là aussi de versions alternatives.

Le second atout de ces enregistrements réside dans leur process, un original mixage du concert et du studio. Le live en public est suivi ou précédé par des reprises en studio, ce qui permet tout en gardant le côté vivant du spectacle d’apporter la touche musicologique exacte qu’appelle la restitution d’œuvres rarement programmées. C’est ainsi que l’Ancêtre a pu bénéficier de six jours d’enregistrement en octobre 2024 à l’Auditorium Rainier III à Monaco.

On a nous même assisté à ce type d’enregistrement pour d’autres ouvrages (la Princesse jaune et la Vie parisienne) et on a pu réaliser combien les détails de l’orchestre, les couleurs et les nuances expressives pouvaient en sortir gagnants.

L’Ancêtre, un drame lyrique en 3 actes sur un livret de Lucien Augé de Lassus, a été créé à Monte-Carlo le 24 févier 1906. Il est pratiquement, en dehors de la reprise modifiée de Déjanire en 1911, le dernier ouvrage lyrique composé par Saint-Saëns. Raoul Gunsbourg est depuis 1893 le directeur de l’Opéra et on sait les exigences de ce directeur hors-normes dans sa présentation des œuvres créées.

L’ouvrage aura du succès, sera repris, mais progressivement ne trouvera plus sa place dans les programmations ; sa dimension atypique (un peu moins d’une heure et demie) ne rendait pas facile sa représentation en diptyque avec un autre opéra.

On ne reviendra pas longuement ni sur la genèse, ni sur l’argument, ni même sur les voix entendues en direct, nous contentant de renvoyer à l’excellent article écrit dans notre média par Christian Jarniat lors du concert donné à Monaco en octobre 20241.

241006 OPMC LAncetre credit Alice Blangero 35
©Alice Blangero

Drame et tragédie

En Corse sous le premier Empire, l’ermite Raphaël tente de pacifier deux familles, les Piétra Néra et les Fabiani, au lourd passé antagoniste et sanguinaire. La rencontre se conclurait par la concorde si Nunciata, l’Ancêtre, ne mettait son veto. Elle parvient d’autant plus facilement à empêcher toute réconciliation qu’elle pourra s’appuyer sur les sentiments amoureux que sa petite-fille, Vanina, et sa sœur de lait, Margarita, entretiennent avec Tébaldo, un jeune soldat du clan opposé. Le meurtre par Tebaldo de Léandri, frère de Vanessa, fait de cette dernière, à la demande de Nunciata, celle qui devra venger le crime. Les paroles d’amour échangées par Margarita et Tebaldo décident Vanessa à passer à l’acte, avant qu’elle ne s’effondre à l’instant décisif. Nunciata, presque aveugle, qui s’est emparée du fusil ne peut viser juste : elle tue sa petite-fille au lieu de Tebaldo.

L’ouvrage est foncièrement dramatique par les pulsions que génère la vendetta. De ce point de vue les violents contrastes (la haine de Nunciata et les vains efforts pour aspirer à la paix voulus par Raphaël), tout comme les coups de théâtre, relèvent de l’inspiration romantique. On mesure combien les farouches affrontements du passé ont pu peser dans la psychologie des personnages. C’est d’ailleurs le passé qui une nouvelle fois l’emportera.

Mais le spectacle se déroule comme une tragédie antique, sans doute un peu statique, où la fatalité transcende les réactions des personnages. Les scènes sont courtes, ce qui renforce l’inéluctable. Nul doute que le Vérisme est passé par là. Les chœurs presque en retrait répondent aux propos pacifistes de Raphaël, mais ponctuent aussi à l’acte II de manière gnomique et répétitive (« Ils l’ont tué », « Guerre aux Piétra Néra »…) les accents de déploration et d’imprécation de Nunciata. L’incarnation du tragique passe par l’ancêtre que l’aveuglement physique conduira à immoler par erreur sa propre fille en place de l’ennemi héréditaire.

On imagine la place laissée aux mots dont les techniques musicales de l’arioso et d’un discours déclamatoire ample et puissant tirent tout le parti voulu, traduisant l’onction de Raphaël ou la passion identitaire de l’ancêtre. La mélodie continue est ainsi assurée, mais aussi la fibre concertante qui nous semble culminer dans le trio à l’acte II où l’ermite bénit dans l’adversité l’amour de Margarita et Tébaldo (un topos de l’opéra renouvelé ici !) et dans le superbe quatuor de l’acte III.

La distribution

Les trois voix féminines sont intrinsèquement belles mais aussi bien différenciées pour coller à leurs emplois respectifs.

Jennifer Holloway dans Nunciata a la carrure vocale du rôle ; la cantatrice américaine habituée aux rôles wagnériens et straussiens a dans la voix ce qu’il faut d’âpreté et de noirceur dans les couleurs, de force dramatique dans les accents et de projection pour faire émerger une figure tutélaire et farouche, notamment dans ses longs ariosos de l’acte II que ponctuent les répliques glaçantes du chœur.

Gaëlle Arquez est une Vanina lyrique et surplombante ; sa scène de l’acte II, son air avec revirement (« Non mon cœur se soulève » / « Ah ! J’ai bien entendu ») et ses ultimes répliques révèlent la richesse et l’expressivité du matériau, la longueur et la chaleur d’une voix de mezzo toute dédiée à la caractérisation du personnage.

Hélène Carpentier chante une Margarita chez laquelle la pureté des sons et la clarté du timbre s’ajoutent à une articulation et à une diction qui leur donnent un réel impact dramatique. Son air monosyllabique « Ah ! » est raffiné, ses duos avec Tébaldo empreints de sensibilité et de rayonnement.

Dira-t-on que la voix de Julien Henric se trouve presque à l’étroit dans un Tébaldo qu’il domine par la sûreté de la ligne de chant et une densité musicale aux harmoniques riches et contrastées. Ténor très en vue, il sera dans les semaines à venir distribué aussi bien dans Vaudémont de Iolanta à Bordeaux que dans le rôle titre de Zampa à Munich.

Michael Arivony fait de Raphaël un ermite qui marque son emprise sur le destin, par un art déclamatoire aguerri et un legato intense.

Mathieu Lécroart brosse un portrait de Bursica tout en sous-entendus ; l’élocution sert la justesse d’interventions qui ne passent pas inaperçues.

Kazuki Yamada fait ressortir l’intérêt de la partition qu’il regarde sans a priori en chef qui analyse une musique pour lui moins néo-classique que novatrice, théâtrale et moderne. Il est suivi dans cette recherche par un Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo somptueux, où on remarque tout particulièrement les pupitres de cordes, et par le Philharmonic Chorus de Tokyo à l’écoute d’un ouvrage qui n’est sans doute pas son quotidien mais qu’il sait faire sien.

Un livre-disque à se procurer d’urgence.

Didier Roumilhac

Direction : Kazuki Yamada
Nunciata : Jennifer Holloway
Vanina : Gaëlle Arquez
Margarita : Hélène Carpentier
Tébaldo : Julien Henric
Raphaël : Michael Arivony
Bursica : Mathieu Lécroart
Une femme : Yui Yoshino

Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo
The Philharmonic Chorus of Tokyo

Camille Saint-Saëns, L’Ancêtre, « Opéra français », Bru Zane, livre-disque, 2 CD, autour de 28 euros

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