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La Villa Richard Strauss à Garmisch-Partenkirchen

La Villa Richard Strauss à Garmisch-Partenkirchen

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Lorsqu’en 1983, votre serviteur put connaître l’immense privilège de rencontrer Sir Georg Solti, il demanda au fougueux et irremplaçable Maestro quel évènement lié à l’art musical – NB : hormis les concerts et représentations d’opéras – lui laissa la plus forte impression ? Sans aucune hésitation, il affirma : « Ma rencontre avec Richard Strauss, en sa villa de Garmisch-Partenkirchen ! ».

Or, parmi les nombreuses maisons préservées ayant appartenu à des compositeurs en Europe, celle-ci manquait encore à notre palmarès. Non que nous ne l’ayons pas déjà localisée : lors d’un de nos précédents voyages bavarois, nous l’aperçûmes en 1995, depuis son portail. Mais, à l’époque, aucun “sésame” ne permit d’entrer en ce lieu, qu’on nous déclara « rigoureusement impossible à visiter ». Trente ans plus tard, à la faveur d’un nouveau déplacement – autant qu’à la perspective d’un article pour Résonances Lyriques.org – le rêve inapprochable devient réalité tangible.

Toutefois, précisons qu’aujourd’hui encore, l’intérieur de la villa reste inaccessible au grand public. Les conditions d’entrée demeurent restrictives, limitées aux professionnels et chercheurs, moyennant une demande préalable, à formuler – dûment motivée – auprès du Richard Strauss Institut.

Cette magnifique villa fut édifiée de 1907 à 1908 pour devenir la résidence estivale du compositeur munichois. Ce dernier se montra très pointilleux vis-à-vis d’un contemporain du peintre Franz von Stuck : Emanuel von Seidl (1856-1919), architecte bavarois représentant du courant historiciste mais perméable aux influences Jugendstil [Art Nouveau]. À maintes reprises, Strauss intervint dans l’élaboration des plans, énonçant précisément ses exigences. La plus manifeste concerne la tour d’angle, permettant d’identifier sans coup férir cette élégante demeure à trois niveaux située au N°42 Zoeppritzstraße.

Précisons que la création de Salome, puis sa diffusion internationale, autorisèrent l’édification d’une habitation d’agrément à l’échelle d’une réussite sociale induite par les triomphes artistiques, à l’opéra comme dans les poèmes symphoniques, soit les deux piliers majeurs d’une œuvre incomparable.

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Sous la conduite du Doktor Dominik Šedivý, en la compagnie de deux consœurs autrichiennes et d’un collègue australien, la captivante visite dure 2H30’ sans que l’on sente le temps s’écouler.

Le grand hall d’entrée surprend par la présence d’abondants trophées et massacres1. Cependant, précisons que Richard Strauss n’appréciait guère la chasse – en revanche abondamment pratiquée par son fils Franz (1898-1980) – activité qu’il considérait tel « un carnage organisé des animaux ».

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Commence alors la visite, qui se poursuit par une pièce-clef : la salle à manger2. Conservant invariablement la même place à table, le Maître privilégiait le rituel des repas.

Profondément monarchiste, homme ancré dans le XIXème siècle, il maintenait fermement les traditions, non par routine mais parce qu’elles étayaient la pérennité d’une civilisation européenne à laquelle il demeurait viscéralement attaché. Tout cet espace respire sa présence ou celle d’une muse – derrière un grand homme, cherchez toujours la femme ! – son épouse Pauline3. Musicienne d’un haut niveau technique, elle influença l’évolution du style straussien après leur mariage. Quand il travaillait, Richard aimait à la sentir à proximité autant qu’il appréciait les allées et venues voire l’agitation des enfants et la joie qu’ils communiquaient par leurs jeux ou leurs rires. Tout cela l’inspirait, composition et vie familiale chaleureuse restaient pour lui profondément imbriquées.

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Aux murs, sur les meubles et étagères, pullulent les œuvres d’art ou souvenirs d’une autre nature, tels les cadres sous-verre contenant des papillons géants exotiques, essentiellement ramenés d’Amérique du Sud. Par ailleurs, nombre d’objets relevant d’un artisanat populaire sacré constituent l’apport principal de Pauline à ces collections étonnantes. Agnostique et plutôt anticlérical pour sa part, Richard Strauss n’en demeurait pas moins un fervent amateur d’arts cultuels.

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Nous passons ensuite dans la vaste pièce de travail, élaborée par l’architecte selon ses directives minutieuses, y compris pour le mobilier. Elle renferme une confortable bibliothèque, que la famille préserva après la mort du Maître, à l’image du domicile dans son ensemble. Tous les livres qu’elle renferme comportent ses annotations manuscrites éparses. Ils forment un immense catalogue, reflet de sa vaste culture, allant des auteurs antiques à ses contemporains4.

Par exemple, l’on nous rapporte qu’il dévora l’intégrale du legs littéraire goethéen rien moins que trois fois dans sa vie. Toute sa création bénéficia largement des lectures ou des passions qu’il entretint constamment pour les arts plastiques, la mythologie, l’histoire, la géographie ou la psychanalyse (soit l’absolue antithèse d’une majorité des metteurs en scène d’opéra actuels, qui osent élever l’ignorance, la médiocrité et la crasse au niveau d’un des beaux-arts).

Petite anecdote que nous livre au passage notre hôte : aux antipodes d’une culture aussi encyclopédique, l’auteur d’Elektra raffolait des friandises, bonbons ou confiseries suivant l’humeur du jour. Sur le tard, pour préserver sa santé chancelante, Pauline lui concédait… entre trois et cinq chocolats au maximum… par jour…

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Tandis qu’aux murs resplendissent les œuvres picturales d’auteurs fameux (Greco, Crivelli, Rubens…), notre œil se trouve immédiatement attiré par l’ample toile montrant le profil d’un Strauss très concentré dirigeant Così fan tutte au Wiener Staatsoper. La voir enfin in situ, autrement que dans ses (rares) reproductions, nous bouleverse.

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Mais l’on s’extasie davantage en baissant les yeux vers le bureau de l’auteur du Rosenkavalier. Travailleur infatigable, il l’utilisait des heures durant. Le revêtement en cuir porte même l’empreinte d’une pression constante de sa main qui demeurait libre mais immobile, lorsqu’il traçait notes ou mots de l’autre.

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À cet endroit précis, Metamorphosen et le Concerto pour hautbois furent les ultimes partitions conçues par l’immense génie au crépuscule d’une existence bien remplie. À proximité, l’on découvre un piano à queue Ibach, fabriqué sur mesure et somptueusement marqueté.

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La pièce attenante maintient l’euphorie qui s’empare du visiteur, avec quantité de lettres d’autres compositeurs collectées : Mozart, Verdi, Wagner… (entre autres !), pieusement rassemblées sous l’œil d’une statuette grecque de divinité féminine ou d’une noble représentation équestre d’Auguste la Fort en porcelaine de Meißen.

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Passons dans le grand salon, ajouté en 1924, où plusieurs superbes portraits officiels rarement reproduits du compositeur d’Arabella – le plus somptueux s’avérant, à nos yeux, un de ceux peints par Max Liebermann – côtoient des photographies plus intimes, dont une montrant Pauline à l’époque de leur mariage. Tout aussi touchante s’avère la contemplation des vitrines rassemblant des cristaux, parmi lesquels, plusieurs splendides réalisations des verreries de Murano.

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Au 1er étage, l’émotion s’inscrit à son zénith dans la chambre où Strauss rendit l’âme5. Elle tient lieu de mémorial, avec son masque mortuaire posé sur un piano marqueté d’esprit Jugendstil. Alité dès juillet 1949, son esprit resta pourtant clair jusqu’à ce qu’il expirât, le jeudi 8 septembre suivant (NB : date figée sur le calendrier perpétuel du bureau).

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En passant ensuite dans la charmante pièce réservée aux petits déjeuners, l’on parvient dans une vaste salle d’étude, d’aménagement relativement récent, riche d’une foison de documents originaux, avant d’accéder à la bibliothèque musicale, regorgeant d’ouvrages biographiques variés et partitions.

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L’endroit rappelle opportunément la vocation majeure des lieux : s’imposer en référence comme centre de recherches. Parmi les trésors offerts à notre contemplation, l’on retient les carnets personnels de poésies du Maître ainsi que plusieurs baguettes de direction, dont une utilisée dans les années 1890, suivie d’une précieuse “baguette d’honneur” en ébène et ivoire reçue en 1944.

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Depuis les fenêtres, l’on aperçoit la maison du jardinier, où habite aujourd’hui Constantin Strauss, celui qui, parmi les cinq arrière-petits-enfants, réside au plus près du souvenir d’un aïeul magicien des sons, dont la présence nous a semblé constante au cours d’un inoubliable voyage dans le temps.
Nous en remercions vivement Herr Doktor Dominik Šedivý, notre cicérone érudit autant que d’une courtoisie princière, pour ces moments d’exception, confinant au merveilleux.

Patrick Favre-Tissot-Bonvoisin

1 Au sens cynégétique du terme.

2 Précisons que pour la création d’Intermezzo – opéra foncièrement autobiographique – à Dresde en 1924, la scénographie reproduisit cette salle à manger quasi à l’identique.

3 Née Pauline De Ahna, cantatrice professionnelle fille d’un officier général de l’armée royale bavaroise.

4 Polyglotte, il lisait aussi grec et latin dans le texte, avec une prédilection pour l’Iliade…Ce nonobstant, il tenta de transmettre cette passion pour Homère à son petit-fils Christian, qui lui affirma… préférer Jules Verne.

5 Nous apprenons, à cette occasion, que Pauline et Richard faisaient chambre à part, « dans un souci d’hygiène de vie ».

 

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