Logo-Resonances-Lyriques
Menu
La trilogie Wings of Memory consacre l’excellence du Ballet d’État de Bavière

La trilogie Wings of Memory consacre l’excellence du Ballet d’État de Bavière

jeudi 17 avril 2025

©S. Gherciu

La Semaine festive 2025 du Ballet d’État de Bavière innove cette année en proposant une nouvelle production intitulée Wings of Memory (Les Ailes de la Mémoire), une trilogie qui réunit trois chefs-d’œuvre chorégraphiques qui font tous référence à des étapes importantes de l’histoire de la danse et de la musique. La mémoire donne des ailes ! La mémoire du passé peut constituer une source d’inspiration pour la création chorégraphique contemporaine.

Bella Figura de Jiří Kylián, créée à La Haye par le Nederland Dans Theater en octobre 1995, est considérée comme l’une des œuvres les plus réussies de la période de création intermédiaire du chorégraphe tchèque. Elle entraîne neuf danseurs dans un « voyage à travers le temps, l’espace et la lumière », selon les termes du chorégraphe.

Le Faune de Sidi Larbi Cherkaoui, qui connut sa première en 2009 au Sadler’s Wells Theatre, ne peut être envisagé sans faire référence au spectacle de danse-théâtre chorégraphiée par Vaslav Nijinsky en 1912 sur le Prélude à l’après-midi d’un faune de Debussy.

Enfin, la chorégraphie de Pina Bausch, Le Sacre du Printemps, créé en 1975, est basée sur la musique éponyme du ballet de Stravinsky, un jalon de l’histoire du ballet qui avait fait scandale lors de sa création, ses détracteurs avaient qualifié l’œuvre de “massacre du printemps.”

Wings of Memory BellaFigura c Katja Lotter 1
©Katja Lotter

Bella Figura

Bella Figura, la pièce emblématique de Jiří Kylián, s’impose comme une réflexion troublante sur la beauté, l’illusion et la vulnérabilité. Entre ombre et lumière, nudité et artifice, les corps se dévoilent dans une danse qui oscille entre maîtrise et abandon. Plus qu’une performance, c’est une interrogation : où commence réellement le spectacle? Sur scène, dans les coulisses, ou dans la vie elle-même? Bella Figura devient une expérience totale, un voyage où la danse révèle ce que les mots ne peuvent exprimer. Jiří Kylián présentait sa création en ces termes :

Un voyage dans le temps, la lumière et l’espace, dirigeant l’ambiguïté de l’esthétique, des spectacles et des rêves. Trouver la beauté dans une grimace — dans un repli de l’esprit — ou dans une contorsion physique entre le prétendu art et l’artificiel — entre la réalité de la vie ou la fantaisie — cette zone médiane crée une tension qui m’intéresse. C’est comme se tenir au bord d’un rêve. Se tenir dans le noir ou fixer une lumière éblouissante les yeux fermés — doublant chaque parcelle de notre soi-disant réalité. Le moment dans lequel le rêve se mêle à nos vies et la vie à nos rêves – voilà l’objet de ma curiosité. Simplement — une sensation de tomber dans un rêve et de se réveiller avec une côte cassée “. 

En italien, l’expression ” Bella Figura ” ne se réfère pas seulement à la beauté du corps, à sa belle apparence, mais elle a aussi un sens psychologique : il s’agit aussi de la capacité de résistance des personnes confrontées à une situation difficile – par conséquent, elle signifie aussi “faire bonne impression” Pour rendre compte de cela, Jiří Kylián crée une syntaxe chorégraphique surprenante dont les règles se dévoilent progressivement et dont le sens devient de plus en plus perceptible au cours du spectacle. Le chorégraphe donne une analyse étonnante du monde comme espace de représentation du soi sur des musiques de Vivaldi, Torelli ou le Stabat Mater de Pergolèse, qui conviennent parfaitement bien au projet : la vie des cours de l’époque baroque était marquée par une esthétique théâtralisée des expressions émotionnelles, avec une gestuelle très étudiée, une tension de tout le corps vers plus de beauté, vers plus de perfection. Le paraître l’emporte sur l’être ou veut le constituer, et cette vie légère et superficielle est poussée jusqu’à la caricature par le chorégraphe. L’humour, le comique et le ridicule sont souvent présents, on sourit et l’on rit beaucoup. On reste stupéfaits par l’extrême qualité de la performance des danseurs, car la chorégraphie est d’une exigence minutieuse, chaque geste doit rendre compte du code grammatical, ce sont des jeux de doigts et de mains, des inclinations d’épaules, des déhanchements. La technique des danseurs du ballet bavarois atteint ici des niveaux stratosphériques. Ce, transformant même des trilles baroques en une inclinaison d’épaule ou une rotation de main. Les corps des danseurs agissent comme des instruments de musique capables d’exprimer tout le spectre et toutes les nuances des émotions qui sous-tendent une recherche constante de beauté et de perfection. 

Wings of Memory Faun Antonio Casalinho Margarita Fernandes c S. Gherciu 34 1
©S.Gherciu

Le Faune

Sidi Larbi Cherkaoui a présenté son spectacle Faune en 2009 à l’occasion des célébrations du centenaire des Ballets Russes auxquelles participait le Sadler’s Wells Theatre à Londres, qui avait invité des chorégraphes à travailler sur des pièces de leur répertoire ou à s’en inspirer. Cherkaoui a opté pour L’après-midi d’un faune, la chorégraphie de Nijinski autour du poème de Stéphane Mallarmé Le prélude à l’après-midi d’un faune, sur une composition impressionniste de Claude Debussy. Nijinski s’était inspiré de figures dessinées sur des vases de l’antiquité grecque pour donner un spectacle de facture classique, mais à la fois audacieux par ses connotations sexuelles, qui avait déclenché une fameuse controverse lors de sa création.

La scène se déroule dans une forêt profonde, éclairée par des faisceaux de lumière solaire qui se frayent un chemin au travers des frondaisons. Le faune solitaire est saisi à son réveil, on le voit s’extraire lentement de son sommeil, le corps endormi encore s’étire, vacille et titube. C’est un être sensuel, sauvage, insouciant et détendu, à la croisée de l’humain et de l’animal. La rencontre d’une jeune femme, qui suit la première scène, va entraîner un changement dans la gestuelle, le faune s’anime et entame une parade amoureuse trépidante. Les deux protagonistes ont au départ chacun une gestuelle qui lui est propre, mais l’attirance des corps va entraîner un mimétisme, opérer une synchronisation des mouvements qui s’harmonisent. Les énergies masculines et féminines se rencontrent et se complètent dans un monde onirique, elles nourrissent un jeu de séductions que le couple de danseurs, — ce soir Frederick Stuckwisch et Zhanna Gubanova, — rendent de manière admirable. L’apparence intemporelle, naturelle et organique des costumes conçus par Hussein Chalayan contribue à constituer les deux protagonistes en figures archétypales et mythiques. La musique de Debussy est entrecoupée d’extraits composés par Nitin Sawhney pour ce ballet, à la demande de Sidi Larbi Cherkaoui.

Wings of Memory Das Fruehlingsopfer Ensemble c S. Gherciu 70
©S.Gherciu

Le Sacre du Printemps

Créée en décembre 1975 à Wuppertal, un an avant la fondation de la troupe du Tanztheater Wuppertal, la chorégraphie légendaire du Sacre du Printemps de feue Pina Bausch (†2009) a fait le tour du monde. La semaine festive 2025 du Ballet d’État de Bavière offre enfin la chance de découvrir pour la première fois à Munich cette œuvre marquante. 

Le second entracte de la soirée a ceci de particulier qu’une fois n’est pas coutume, les spectateurs sont invités, si tel est leur souhait, à rester dans la salle. Ils peuvent ainsi assister à la mise en place d’un décor constitué d’un quadrilatère d’une terre sans doute finement tamisée que vont venir piétiner les danseurs. Six grandes bennes sont poussées sur la scène par une quinzaine de personnes de l’équipe technique tout de noir vêtues et équipées de pelles. Douze mètres cubes de terre sont déversées sur scène avant d’être lissées en une couche compacte. L’élément terre est l’alpha et l’oméga de la vie dont elle symbolise le début et la fin, elle alimente la vie par sa fertilité, elle fut utilisée par le divin Créateur pour façonner le premier homme, condamné à la mort dès sa naissance, elle accueille les cadavres qu’elle décompose après la mort, elle est aussi un élément de stabilité et d’ancrage. Dans la narration du Sacre du Printemps, elle est constitutive du divin qui exige une victime propitiatoire, le terme “sacre” devant s’entendre dans le sens d’un Sacrifice. « J‘entrevis dans mon imagination le spectacle d’un grand rite sacral païen : les vieux sages assis en cercle et observant la danse à la mort d’une jeune fille qu’ils sacrifient pour leur rendre propice le dieu du printemps », écrit Igor Stravinsky dans ses Chroniques de ma vie.

Le Sacre de Pina Bausch rencontre les intentions de la composition, répondant aux attentes d’Igor Stravinsky qui espérait que le ballet dansé sur son œuvre donne à voir ” une réalisation plastique, simple et naturelle, découlant des commandements de la musique.” C’est exactement l’effet que produit la chorégraphie tellurique de la Grande Dame de la danse contemporaine. Pendant 35 minutes, trente-deux danseurs et danseuses, divisés en deux groupes de seize qui parcourent la scène en grappes humaines, piétinent la terre avec une nervosité frénétique nourrie de peur et d’angoisse. Les danseurs sont vêtus de robes beiges, la couleur naturelle par excellence, ils évoluent en lignes diagonales comme des essaims affolés. Les corps, les visages, les mains et les robes sont rapidement salis par la tourbe brune. Un tissu rouge constitue le seul élément de couleur, c’est la robe que finira par revêtir la victime sacrificielle qui, une fois désignée, donnera un solo saisissant et douloureux qui la met en transe. Le piétinement incessant du tapis de terre et la rapidité des mouvements entraînent une dépense d’énergie considérable, la musique et la danse expriment une charge émotionnelle paroxystique qui culmine avec la désignation du bouc émissaire dont l’exécution doit apaiser la divinité printanière. C’est d’une beauté époustouflante.

Le succès de la soirée tient aussi à l’excellence de l’orchestre et du chef invité, Andrew Litton, qui dirige le New York City Ballet depuis neuf ans et qui apprécie particulièrement la musique de Stravinsky. Andrew Litton se montre très attentif au mariage harmonieux de la fosse et de la scène. Il s’entend parfaitement à rendre les images rythmiques et à générer les crescendos de sonorités voulus par le compositeur. Dans chacune des deux parties, au départ d’une musique lente, Andrew Litton fait monter la tension en soulignant les rythmes tantôt répétitifs, tantôt très dynamiques jusqu’à l’explosion finale. La symbiose entre le chef, l’orchestre et la scène est remarquablement construite.

Ces trois chorégraphies exécutées avec une rare perfection ont déchaîné des salves d’applaudissements d’un public enthousiaste sensible aux émotions, à l’enthousiasme et à la qualité véhiculés par des interprètes tous extraordinaires. Un parcours lumineux qui rend perceptible l’excellence du renouveau du Ballet d’État de Bavière dont les destinées sont depuis deux ans confiées à Laurent Hilaire, une direction qui favorise le dialogue avec les artistes. Rien que du bonheur !

Luc-Henri ROGER

Distribution

Direction musicale Andrew Litton

Bella Figura 

Chorégraphie Jiri Kylián
Musique Alessandro Marcello, Lukas Foss, Pergolesi, Torelli, Vivaldi
Décors et conception lumière Jiri Kylián
Costumes Joke Visser
Étude Lorraine Blouin
Danseurs Margaret Whyte, Madison Young, Osiel Gouneo, Elvina Ibraimova, Jinhao Zhang, Ksenia Shevtsova, Jakob Feyferlik, Carollina Bastos, António Casalinho

Faune

Chorégraphie Sidi Larbi Cherkaoui
Musique Nitin Sawhney, Claude Debussy
Décors et lumières Adam Carrée
Costumes Hussein Chalayan
Étude Daisy Phillips, James O’Hara
Danseurs Frederick Stuckwisch et Zhanna Gubanova

Le Sacre du Printemps

Mise en scène et chorégraphie Pina Bausch
Musique Igor Stravinsky
Décors et costumes Rolf Borzik


Ensemble du Bayerisches Staatsballett
Bayerisches Staatsorchester

Imprimer
Cookies
Nous utilisons des cookies. Vous pouvez configurer ou refuser les cookies dans votre navigateur. Vous pouvez aussi accepter tous les cookies en cliquant sur le bouton « Accepter tous les cookies ». Pour plus d’informations, vous pouvez consulter notre Politique de confidentialité et des cookies.