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La Traviata / Angers Nantes Opéra (Nantes, théâtre Graslin)

La Traviata / Angers Nantes Opéra (Nantes, théâtre Graslin)

vendredi 17 janvier 2025

@Delphine Perrin

C’est sur une importante coproduction que s’est positionné Angers Nantes Opéra : cinq maisons d’opéra (Nantes, Angers, Rennes, Montpellier et Nice) pour 27 représentations présentent La Traviata dans une mise en scène de Silvia Paoli. L’ouvrage de Verdi est l’un des plus joués au monde ; chaque reprise n’en est pas moins attendu avec intérêt. Notons que son Brindisi « Libiamo » de l’acte I est devenu, à l’égal du « Va, pensiero » de Nabucco, mais pour d’autres raisons, un morceau musical emblématique de l’Italie.

Survol de l’ouvrage

La Traviata de Giuseppe Verdi sur un livret de Francesco Maria Piave a été créée à Venise au théâtre de la Fenice le 6 mars 1853. Elle arrive en France à Paris au théâtre des Italiens le 6 décembre 1856. C’est au théâtre Lyrique du Châtelet, qu’elle est donnée pour la première fois en français le 27 octobre 1864 dans la traduction d’Édouard Duprez. Courte étape au théâtre du Château d’Eau à partir du 14 juin 1881, avant l’entrée au répertoire de l’Opéra-Comique le 12 juin 1886. L’ouvrage passe ensuite au Palais Garnier le 24 décembre 1926, avec Georges Thill dans Rodolphe, l’Alfredo en français. Dans les années 60 plusieurs interprètes connus illustrent une école de chant française qu’on a trop tendance à passer sous silence, quand Janine Micheau, Andrée Esposito, Jacqueline Brumaire, Christiane Castelli ou Monique de Pondeau étaient affichées dans Violetta, Alain Vanzo, Paul Finel, Michel Cadiou ou Henri Legay dans Rodolphe et Ernest Blanc, Robert Massard et Gabriel Bacquier, trois de nos plus grands barytons de l’après-guerre, dans d’Orbel.

L’action de la Traviata à la création se déroule dans un XVIIIe siècle exigé par la censure vénitienne. C’est bien sûr à leur temps que se réfèrent les librettistes et le musicien. Dans la conception du livret de l’opéra est reprise la thèse morale de Dumas fils présente dans La Dame aux camélias, aussi bien dans le roman (1848) que dans la pièce qui en est tirée (1852). Le contexte est celui du réalisme (celui de Flaubert) et le problème soulevé reste celui de l’idéalisation de la demi-mondaine et de la sanction que réserve la société à son désir de rachat. L’opéra a souvent été mis en relation avec la biographie du compositeur, Verdi ayant vécu plusieurs années avec Giuseppina Strepponi sans être marié.

TRAVIATA Darija Augustan DPERRIN
@Delphine Perrin

La frivolité des salons, les mœurs dissolues, l’emprise sociale contenue dans les discours moralisateurs (ceux de Giorgio Germont) ne vont pas à l’encontre d’une forme de renoncement de Violetta à son amour pour Alfredo dépourvue de toute dimension héroïque, même si l’absence de surinvestissement ne diminue en rien le drame qui envahit la courtisane. Emma Bovary ne meurt pas avec plus d’éclat. Les réactions de Violetta sont dictées par les événements de la vie, comme ils se présentent (la musique s’efforce d’en épouser le temps réel), qu’il s’agisse de son consentement au sacrifice face au père d’Alfredo, de sa fuite à bas bruit à la fin du premier tableau du deuxième acte, de son retour à la vie mondaine ou de sa réaction face à la mort, cette dernière rendue presque impressionniste par la musique. Violetta est emportée par la phtisie. Aucune action violente n’interfère avec les derniers moments. On comprend qu’en 2004 à Aix-en-Provence le metteur en scène Peter Mussbach ait pu imaginer une mise en scène où la mort sur l’autoroute relève de la même immanence et devienne un simple catalyseur du drame.

La mise en scène au théâtre Graslin

Dans sa mise en scène Silvia Paoli fait de Violetta une actrice de la fin du XIXe siècle afin de faire coïncider le temps de l’opéra avec celui des monstres sacrés du théâtre (comme Sarah Bernhardt) et de rapprocher le statut social de la demi-mondaine de celui d’une artiste vouée à la solitude une fois le rideau tombé.

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@Delphine Perrin

La scénographie de Lisetta Buccelato prend en compte cet intéressant présupposé. Les décors sont théâtralisés à l’image du monde du spectacle auquel appartient Violetta. Une scène sur la scène, avatar du théâtre sur le théâtre, ne cessera de jouer ce rôle. Il a toute sa raison d’être à l’acte I et au 2ème tableau de l’acte II, c’est-à-dire aux moments festifs de l’opéra. La danse et les costumes concourent à l’effervescence de la fête, avec un cran supplémentaire de folie chez Flora. Les identités sont détournées. Au début de l’acte I on ne peut penser qu’à Manet quand un rang d’hommes en habits fait face aux corps plus ou moins vêtus. Mais la chorégraphie et la mise en scène rendent la monnaie de la pièce en évoquant l’esprit fin-de-siècle avide d’expériences nouvelles et de transferts en tout genre. Le tutu fait bon ménage avec le frac chez les hommes, les femmes arborent des moustaches, les costumes étant signés de Valeria Donata Bettella. À ce travestissement s’ajoute le rythme effréné de la danse dans la chorégraphie réglée par Emanuele Rosa.

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@Delphine Perrin

La mise en abyme ne se limite pas aux actes déchaînés, il figure aussi dans les autres formes de représentation du récit. La villégiature loin de la ville où se réfugient Violetta et Alfredo à l’acte II anticipe sur le temps dramaturgique en s’installant au cœur de la fête. Les domestiques dans les pièces de la maison qui s’enchaînent jouent sur les codes bourgeois non sans humour et en démasquent les conventions. À la fin du grand duo Violetta / Germont le prix à payer n’est pas seulement le sacrifice amoureux, mais aussi le déclassement social. La maison de campagne se déstructure. Le déménagement où on remarque les huissiers œuvrer laisse place à la scène originaire balayée par une bourrasque de neige et traversée par un immeuble cossu, soulignant l’échec de réhabilitation de la courtisane.

Cette théâtralisation se maintient au dernier acte où est oubliée la chambre dans laquelle s’éteint Violetta. Sur un plateau à peu près nu, face d’abord à Annina, puis seule, Violetta verse dans le délire fantasmant sur une dernière rencontre avec Alfredo et son père, les deux personnages manifestant leur absence en intervenant depuis la coulisse, l’entrée des masques ayant auparavant constitué une forme d’outrage. Le tragique est porté à son acmé.

En s’emparant des questions de la respectabilité et de l’argent, la mise en scène de Silvia Paoli aborde avec beaucoup de pertinence les scènes charnières de l’opéra. C’est ainsi que les transfigurations physiques de Violetta à l’acte I précèdent les va-et-vient Paris / campagne des deux protagonistes auxquels s’ajoute Annina à l’acte II (où le circuit de l’argent se met en place). Au deuxième tableau le faisceau de relations mondaines dans lesquelles Violetta se laisse prendre se termine sur le coup d’éclat d’Alfredo dont les billets de banque tapissent le sol avant d’être compulsivement récupérés par les invités (sans les traditionnelles tables de jeu auxquelles se substituent d’autres commerces). Le dernier acte dit le dénuement et la dévastation d’une Violetta gagnée par la folie.

Cast 1, une des deux distributions

Le nombre conséquent de représentations a conduit à faire alterner deux distributions pour les rôles de Violetta et Alfred.

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@Delphine Perrin

Le soir de notre venue, c’est Maria Novella Malfatti qui interprétait la première. Cette jeune soprano italienne est à l’orée d’une brillante carrière, récemment remarquée dans Musette à Gênes, la comtesse des Noces de Figaro à Bologne ou Norma au Concertgebouw d’Amsterdam. La voix est puissante, l’émission exemplaire sans afféterie, le registre étendu dans le grave. L’aria « È strano » est chanté sur le souffle, les demi-teintes sont subtilement réparties dans les airs (la lettre, puis « Addio del passato »…) qui font du 3ème acte un véritable récital pour la cantatrice ; la virtuosité des vocalises et l’art du staccato lui permettent de briller dans la cabalette (« Sempre libera »), le chant plus dramatique s’épanouissant dans le duo avec Germont et dans les stances « Alfredo, Alfredo, di questo core » qui culminent sur un sentiment poignant de résilience à la fin de l’acte II. Il difficile d’imaginer Violetta plus touchante, frémissante ou aliénée au finale.

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@Delphine Perrin

Le ténor italien Giulio Pelligra est un familier des grandes scènes transalpines et internationales, spécialiste du bel canto et de Verdi. C’est avec les moyens vocaux attendus que, dans Alfredo, il peut défendre l’amour sincère pour son amante, comme le dépit et la colère lors de son retour chez Flora. Le timbre est riche, les harmoniques raffinés, les éclats bien projetés sans histrionisme, ce dont tirent parti aussi bien l’air « Un di, felice » que la cabalette qui suit ou encore les phrases tendues comme l’invective «Questa donna conoscete ».

Distribué dans son pays et à l’international le baryton grec Dionysios Sourbis est un Giorgio Germont convaincant. Il joue le rôle d’un personnage peu sympathique, visant une forme d’élimination sociale de Violetta, les arguments que mettent dans le texte du livret les librettistes ne laissant guère de place à l’indulgence. Son grand air « Di Provenza il mar, il suol » est dénoté par un beau legato et un chant chaleureux.

Pas de petits rôles !

Il y a d’autant moins de petits rôles dans La Traviata que plusieurs des personnages interprétés par ces prétendus derniers sont essentiels dans la marche de l’action. Annina porte les lettres et double quasiment Alfredo au dernier acte ; Marie-Bénédicte Souquet s’en acquitte en excellente comédienne et en interprète au chant bien articulé. Aurore Ugolin dans la Flora qui organise la seconde fête est remarquée pour son jeu (et son costume jaune qui contraste avec le noir et blanc du reste du plateau) et son mezzo cuivré. Carlos Natale dans Gaston présente Alfredo à Violetta, le timbre clair du ténor y pourvoyant sans problème. Le baron Duphol est central dans l’intrigue : Gagik Vardanyan y associe une voix percutante. Le Marquis d’Obigny de Stavros Mantis est lui aussi bien distribué, comme le docteur Grenvil de Jean-Vincent Blot au phrasé précis.

Le chœur est lui aussi impliqué dans les deux fêtes. Il réalise une performance vocale indiscutable ainsi qu’un jeu engagé qui ne manque pas de le mettre dans des situations excentriques.

Le ballet rejoint la chorégraphie d’ensemble du spectacle qui donne à voir des ballerines dégenrées et des identités croisées dans des propositions très inventives d’Emanuele Rosa.

Que n’a-t-on pas encore écrit de la sonorité et de la personnalité de l’excellent Orchestre des Pays de la Loire, comme du chef Laurent Campellone ? Ce dernier est attentif au plateau et insuffle à son orchestre des tempi, des textures et des couleurs qui rendent la partition intrinsèquement puissante, rythmiquement pensée à l’écoute de la mise en scène et émotionnellement bouleversante.

Le public ravi a longuement applaudit la production.

Didier Roumilhac

17 janvier 2025

Direction musicale : Laurent Campellone
Mise en scène : Silvia Paoli
Chorégraphie : Emanuele Rosa
Scénographie : Lisetta Buccellato
Costumes : Valeria Donata Bettella
Lumières : Fiammetta Baldisseri

Distribution :

Violetta Valéry : Maria Novella Malfatti
Flora Bervoix : Aurore Ugolin
Annina : Marie-Bénédicte Souquet
Alfredo Germont : Giulio Pelligra
Giorgio Germont : Dionysios Sourbis
Gaston, vicomte de Létorières : Carlos Natale
Baron Duphol : Gagik Vardanyan
Marquis d’Obigny : Stavros Mantis
Docteur Grenvil : Jean-Vincent Blot
Giuseppe : Sung Joo Hanµ
Un commissionnaire : Jean-François Laroussarie
Un domestique de Flora : Yann Quemener

Danseurs et danseuses : Paola Drera, Melissa Cosseta, Aura Calarco, Fabio Caputo, Nicola Manzoni, Paolo Pisarra
Chœur d’Angers Nantes Opéra (direction Xavier Ribes)
Orchestre National des Pays de la Loire

Prochaines représentations :

NANTES – THÉÂTRE GRASLIN

JANVIER

Théâtre Graslin
Mardi 21 – 20h

OPÉRA DE RENNES 

Du 25 février au 4 mars

ANGERS – GRAND THÉÂTRE

MARS

Dimanche 16 – 16 h (garderie gratuite à partir de 3 ans sur réservation)
Mardi 18 – 20 h

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