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La Tosca historique triomphe à l’Opéra de Rome

La Tosca historique triomphe à l’Opéra de Rome

vendredi 9 mai 2025

©Opera de Rome/Ricordi

2025 est une année Tosca au Teatro Costanzi de Rome, qui fête le 125ème anniversaire de cet opéra dont la première mondiale eut lieu à Rome le 14 janvier 1900. Depuis lors, le chef-d’œuvre de Giacomo est bien vite entré au Panthéon des chefs-d’œuvre absolus du répertoire lyrique. À Rome, il est devenu un élément fondateur de l’identité artistique du Teatro dell’Opera, consolidant un lien profond avec la ville et son public.

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©Opera de Rome/Ricordi

En mars 2015, le Teatro dell’Opera di Roma avait présenté une nouvelle production de Tosca, basée sur les esquisses originales de la première mondiale du 14 janvier 1900, une opération qui visait à valoriser la mémoire du théâtre et à réactiver un patrimoine archivistique inestimable, celui des Archives historiques Ricordi, en faisant revivre, avec rigueur mais sans prétentions philologiques rendues impossibles par les temps et les espaces nouveaux, un spectacle qui a marqué l’histoire.

Pour célébrer le cent vingt-cinquième anniversaire, le Teatro dell’Opera multiplie les représentations de Tosca. Il a également procédé à une restauration de la production et inauguré Tosca 125, une exposition studio présentée dans le petit musée installé dans une salle du troisième étage, rénovée pour l’occasion.

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©Opera de Rome/Ricordi

Le 14 janvier 2025, la représentation, honorée de la présence de Sergio Matarella, Président de la République, fut dirigée par Michele Mariotti, le directeur musical de l’Opéra de Rome, et interprétée par Saioa Hernández (Tosca), Gregory Kunde (Caravadossi) et Igor Golovatenko (baron Scarpia). Depuis les représentations se succèdent comme autant de joyeuses salves avec des directions d’orchestre et des distributions prestigieuses : Ivan Ciampa, Anastasia Bartoli, Vincenzo Costanzo et Gevorg Hakobyan / Daniel Oren, Anna Netrebko, Yusif Eyvazov et Amartuvshin Enkbath / Daniel Oren, Yolanda Auyanet, Luciano Ganci et Gabriele Viviani / James Conlon, Anna Pirozzi, Luciano Ganci et Claudio Sgura. Chacune des représentations se joue à guichets fermés et aux entractes, on entend que de nombreux spectateurs romains ont tenu à revenir au Teatro dell’Opera pour apprécier une nouvelle distribution.

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©Opera de Rome/Ricordi

Tableaux d’une exposition

Le choix du Théâtre Costanzi comme lieu de la première de Tosca n’avait pas été l’effet du hasard. Tosca n’aurait pas pu être créée ailleurs, se déroulant dans des lieux symboliques de Rome tels que la basilique Sant’Andrea della Valle, le Palais Farnèse et le Château Saint-Ange. De plus, le Théâtre Costanzi, malgré sa brève histoire, —  il fut inauguré en 1880, — avait déjà accueilli des premières mondiales mémorables, dont la Cavalleria rusticana de Pietro Mascagni en 1890. Pour Puccini et son éditeur Ricordi, le théâtre romain représentait donc le contexte idéal pour le lancement d’une œuvre nouvelle et ambitieuse.

Dans le souci de préserver et de renouveler le lien entre la mémoire historique et le présent, l’exposition s’est attachée à évoquer la genèse de la Tosca de Puccini et sa première production, signée Adolf Hohenstein, fidèlement reconstituée depuis 2015 à travers des partitions manuscrites, des partitions, des croquis, des figurines, des lettres, des photographies et des accessoires de scène provenant de l’Archivio Storico Ricordi et des propres collections du Teatro dell’Opera di Roma.  

Les principes qui avaient présidé à la création des costumes de la première Tosca avaient combiné la fidélité historique et les exigences théâtrales. L’impresario Guglielmo Canori, mandaté par Giulio Ricordi, s’était consacré à la recherche de matériaux iconographiques sur les vêtements en usage à Rome au début du XIXe siècle, identifiant auprès d’un collectionneur une série de gravures sur cuivre de Giuseppe Capparoni représentant les costumes de la cour papale sous Léon XII. Ces gravures avaient  servi de base à la conception de nombreux costumes conçus par Adolf Hohenstein.

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©Opera de Rome/Ricordi

 

L’exposition présente le costume de Hohenstein pour les gardes suisses du premier acte de l’opéra. En le comparant avec l’estampe de Capparoni, on peut y voir une parenté évidente, mais aussi une certaine liberté d’interprétation. Une liberté que Ricordi n’avait pas acceptée. Pour la version finale du costume, une proposition plus proche de l’image de Capparoni a été choisie. Le costume de l’exposition reproduit fidèlement le costume utilisé lors de la première mondiale.

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©Opera de Rome/Ricordi

Pour Ricordi, il était donc essentiel de maintenir la plus grande adhésion possible aux données historiques, selon une esthétique du réalisme qui a informé toute l’opération. Mais pour les protagonistes, et notamment pour Floria Tosca, le modèle offert par la mise en scène du drame de Victorien Sardou fut également déterminant. Les costumes de Floria Tosca, par exemple, reprennent des éléments des robes conçues pour Sarah Bernhardt, assurant ainsi une interprétation visuellement ancrée dans l’univers théâtral.

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©Opera de Rome/Ricordi

Les accessoires de Tosca, conservés aux Archives historiques Ricordi de Milan, documentent des accessoires de scène, petits et grands, ainsi que des accessoires de personnages tels que des armes, des chapeaux et des armures. Ces matériaux témoignent de l’esthétique réaliste qui a caractérisé la première mondiale de l’opéra.

Un exemple significatif de ce souci du détail ressort d’une lettre de Tito Ricordi à Puccini, dans laquelle il fait référence aux fusils du troisième acte. Tito Ricordi écrit : « Il y a quelques jours, j’ai essayé le modèle de fusil de Tosca aux Arènes. Le résultat était excellent. Le fusil est absolument inoffensif, il produit un bel éclair, accompagné de fumée et d’une détonation très forte. » Ricordi lui-même était chargé de rechercher et de tester les armes de scène, afin que celles-ci, bien que factices, produisent l’effet visuel et sonore de véritables armes. Dans la même lettre, Tito souligne également l’importance de l’authenticité des autres accessoires de scène, tels que la vaisselle et le mobilier, précisant qu’ils devaient être réels et non fabriqués avec des matériaux de scène traditionnels. Il écrit : « Nous achèterons de la vraie vaisselle, des serviettes, de la vaisselle, etc., pas de papier mâché, pas de feutre. »

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©Opera de Rome/Ricordi

L’exposition présente le manuscrit original de Tosca ouvert à sa dernière page. Ayant repris le projet de Tosca, Puccini s’y consacra intensivement à partir de 1898, en étroite collaboration avec les librettistes Luigi Illica et Giuseppe Giacosa, et sous la supervision attentive de Giulio Ricordi. La dernière page de la partition autographe porte l’annotation : « Torre del Lago, 29 7mbre 99 ore 4.15 di mattino » (Torre del Lago, 29 septembre 1899, à 4heures et quart du matin). Puccini enregistrait ainsi la conclusion de l’œuvre, bien qu’il lui restât à achever le prélude du troisième acte.

Certains passages de la partition autographe révèlent comment Puccini concevait simultanément la musique et l’action scénique. Par exemple, dans les pages contenant l’iconique « scène des chandeliers », qui clôt l’acte II (acte IV, dans Sardou) et scelle la mise à mort de Scarpia par Tosca, on peut lire « Tosca allume deux cierges », « prend le Christ et le place sur la poitrine de Scarpia et les deux chandeliers de part et d’autre du cadavre », « en marchant lentement ». La fusion de la dimension sonore et visuelle lui était essentielle.

Pour Ricordi aussi, l’efficacité scénique était centrale. Les documents des Archives historiques témoignent de l’attention portée à la gestion des masses. « L’ordre de marche » du grandiose et complexe Te Deum qui conclut le premier acte, par exemple, est le résultat d’une recherche minutieuse sur les processions religieuses du XIXe siècle et sur l’efficacité de leur rendu théâtral vraisemblable, quoique non philologique.

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©Opera de Rome/Ricordi

Dans Tosca, Rome assume le rôle de co-protagoniste, créant un lien indissociable entre l’action et le contexte. Ricordi et ses collaborateurs ont consacré une grande attention à restituer avec rigueur et force évocatrice le caractère romain du drame, un aspect considéré comme crucial en vue de la première mondiale au Teatro Costanzi. L’élaboration de la scénographie s’est appuyée sur une étude scrupuleuse des sources iconographiques, notamment des photographies de vues et d’intérieurs romains ici exposée.

Tosca Luciano Ganci Cavaradossi ph Fabrizio Sansoni Teatro dell Opera di Roma 2025 5802
©Fabrizio Sansoni-Teatro dell_Opera di Roma

La relation entre ces documents et les premiers croquis est claire. Ce fut Adolf Hohenstein, — collaborateur de l’éditeur depuis 1889, devenu plus tard directeur artistique de la Casa Ricordi,  — qui créa les trois esquisses définitives : Sant’Andrea della Valle, dynamisée par un point de fuite décentralisé ; la chambre de Scarpia au Palais Farnèse, qui apparaît extrêmement profonde grâce à un jeu de perspective magistral et la terrasse du Château Saint-Ange, avec Saint-Pierre dominant le décor et la structure imposante du mausolée s’étendant idéalement au-delà des limites de la scène.

Tosca Il te deum ph Fabrizio Sansoni Teatro dell Opera di Roma 2025 0312
©Fabrizio Sansoni-Teatro dell_Opera di Roma

Représentation du 9 mai 2025

La reconstruction de la scénographie historique de 1900 est une réussite admirable, elle redonne parfaitement vie à l’opéra tel que Puccini le vit pour la première fois : on entend le son des matines que Giacomo Puccini venait entendre à l’aube pour noter l’intonation correcte à insérer dans la partition, on admire les intérieurs dorés de la basilique baroque Sant’Andrea della Valle, on s’émerveille devant les fastes et les rutilements de la grande procession qui clôture le premier acte ; au troisième acte, on admire les vues de Saint-Pierre dans l’aube romaine depuis la terrasse du Château Saint-Ange.

Si on ne l’a déjà faite, la reconstitution de la Tosca originale invite à faire une balade musicale sur les lieux de la Tosca:  de Sant’Andrea della Valle, en marchant en direction du Campo de´ Fiori, on arrive sur la Piazza Farnese, dominée par le palais du même nom datant du XVIe siècle, théâtre du second acte ; derrière le Palais Farnèse, on atteint la promenade fluviale, d’où on arrive au Pont Saint-Ange, suggestif accès à l’imposant Château Saint-Ange, de l’autre côté du Tibre.

Tosca Ariunbaatar Ganbaatar Scarpia Anna Pirozzi Tosca ph Fabrizio Sansoni Teatro dell Opera di Roma 2025 0304
©Fabrizio Sansoni-Teatro dell_Opera di Roma

Si on ne le connaissait pas encore, on s’étonne aux salutations finales de la petite taille de James Conlon alors que sa direction d’orchestre lui donne une énorme stature musicale. Bien connu du public français, Conlon préside depuis 2006 aux destinées de l’opéra de Los Angeles. Colon connaît sa Tosca sur le bout des doigts ou si l’on veut de sa baguette pour l’avoir dirigée plus que tout autre opéra au cours de sa brillante carrière. Sa profonde connaissance de l’œuvre se perçoit à chaque moment, il sait en révéler la richesse symphonique, il souligne ces leitmotivs, — un art que Puccini est allé étudier Bayreuth, — notamment ceux qui définissent le chef de la police Scarpia, s’attache à caractériser les personnages et à cet effet se montre particulièrement attentif au rapport entre la fosse et la scène. James Conlon incite l’orchestre à nous faire participer aux émotions contrastées des personnages : c’est ici la sensualité du duo d’amour du premier acte souligné en son amorce par le pizzicato des cordes, là la caresse des violoncelles à l’entame du Te Deum, puis loin la douceur mélancolique du solo de violoncelle pendant le ” Vissi d’arte “, plus loin encore le moment musical bouleversant de la lettre d’adieu de Caravadossi à Tosca, qui d’une atmosphère dramatique et anxieuse passe à la douceur d’un thème amoureux précurseur de l’arrivée de Tosca.

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©Fabrizio Sansoni-Teatro dell_Opera di Roma

Anna Pirozzi donne une Tosca d’une maturité olympienne qu’elle dispense de son somptueux soprano dramatique doté d’une technique sans faille et qu’elle accompagne du talent théâtral d’une grande tragédienne. Elle joue la scène du meurtre et du pardon chrétien en suivant très exactement les indications de Puccini, les chandeliers de part et d’autre du corps, le crucifix déposé sur la poitrine du prédateur. Anna Pirozzi nous fait ressentir la puissance de la foi au moment même des pires ignominies, elle est puissante et magistrale, sa Tosca s’inscrit dans la lignée de celles de Maria Callas, de Raina Kabaivanska ou encore de Mirella Freni. Cette grande dame du chant d’opéra privilégie les mises en  scène classiques et son engagement total dans le rôle laisse penser qu’elle est ravie de la reconstruction de la première scénographie et des costumes d’époque.

Tosca Ariunbaatar Ganbaatar Scarpia Luciano Ganci Cavaradossi ph Fabrizio Sansoni Teatro dell Opera di Roma 2025 6019
©Fabrizio Sansoni-Teatro dell_Opera di Roma

Romain et très fier de l’être (on le comprend sans peine), Luciano Ganci est aussi vaticanesque puisqu’il a fait ses premiers pas musicaux en rejoignant le Chœur de la Chapelle Sixtine. Il se montre lui aussi enchanté de cet opéra dont toute l’action se déroule dans la Rome de 1800. Dans une interview accordée il y a trois ans au Messagero, il avançait « Cavaradossi et moi [nous sommes] unis par un esprit romain authentique et rêveur ».  Il se sent proche de son personnage, artiste comme lui, fidèle en amitié, fervent et spontané :  ” [Caravadossi] se lance dans une bataille perdue d’avance. Il sait qu’il va mourir, mais il cache la réalité à Tosca, un peu comme le faisait Benigni dans La vita è bella quand, pour ne pas effrayer son fils, il lui faisait croire qu’ils gagneraient avec un char d’assaut ». Son chant est à l’aune de la montée dramatique de l’œuvre, depuis la romance “Recondita armonia” du premier acte jusqu’au duo “Via pel mar!” avec Tosca du troisième acte. Luciano Ganci gagne en intensité au fil des scènes. En point d’orgue son “E lucevan le stelle” est des plus émouvants. Le mezzo voce d’une grande beauté et la puissance dans les aigus s’accompagnent d’une projection et d’un phrasé extrêmement soignés.

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©Fabrizio Sansoni-Teatro dell_Opera di Roma

Ariunbaatar Ganbaatar prête la prestance de sa haute stature et son baryton-Verdi doté de graves impressionnants et d’un phrasé remarquable au baron Scarpia, dont il dessine parfaitement le tartuffisme sacerdotal et judiciaire. En examinant ce Scarpia si bien défini en ces temps d’élection pontificale, on ne peut s’empêcher de penser qu’il a exactement le profil de ces soi-disant catholiques prêcheurs de vertu que le nouveau pape se prépare à affronter. Assurément un contre-rôle pour ce baryton originaire de Mongolie. Le seul regret à la fin du deuxième acte, c’est de savoir qu’il n’apparaîtra plus au troisième, sinon par les effets monstrueux de l’exécution ordonnée par son personnage. Tous les rôles secondaires sont de belle tenue.

Une soirée grandiose dûment saluée par les ovations d’un public ému, enthousiaste et ravi.

Luc-Henri ROGER
9 Mai 2025

Direction d’orchestre James Conlon
Mise en scène Alessandro Talevi
Scénographie d’Adolf Hohenstein reconstituée par Carlo Savi
Costumes Adolf Hohenstein reconstitués par Anna Biagiotti
Lumières Vinicio Cheli

Distribution :

Floria Tosca : Anna Pirozzi
Mario Cavaradossi : Luciano Ganci
Baron Scarpia :  Ariunbaatar Ganbaatar
Cesare Angelotti :  Luciano Leoni
Sacristain : Domenico Colaianni
Spoletta : Matteo Mezzaro
Sciarrone : Marco Severin
Un geôlier : Carlo Alberto Gioja

Orchestre et Chœur de l’Opéra de Rome
Chef de chœur Ciro Visco

Avec la participation du Chœur d’Enfants de l’Opéra de Rome (maestro Alberto de Sanctis)

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