Événement à l’Opéra de Nice qui se hisse pour son spectacle d’ouverture à la hauteur des très grands théâtres lyriques internationaux. L’ineffable beauté de l’œuvre comme l’exceptionnelle distribution ainsi que l’immense succès remporté au final avec nombre de rappels par des applaudissements nourris et en cadence du public (dans une salle archicomble) ont mis ainsi la barre très haute pour le reste de la saison. Une manière de se réjouir d’autant que l’œuvre est somme toute rarement jouée.
Comme l’écrit à propos de cette Sonnambula (1), Piotr Kaminski dans son ouvrage de référence « Mille et un opéras », « Jamais encore la muse mélodique de Bellini n’a rayonné avec semblable pureté » et comme le déclare le chef d’orchestre Giuliano Carella « Cet ouvrage est un enchantement de tous les instants ! C’est un rêve, un conte de fées, tout est beau d’un bout à l’autre de la partition » et le metteur en scène Rolando Villazón de renchérir : « Le public va entendre une musique magnifique, peut-être l’une des plus belles du monde ».
Pour autant et pour parvenir à la réussite idéale, il convient que nombre d’ingrédients soient réunis et ils l’étaient pour la circonstance pour cette première niçoise qui ouvre la saison 2022-2023. Et tout d’abord à la baguette Giuliano Carella, grand spécialiste du répertoire romantique italien et invité par les plus prestigieux théâtres de Vienne, à Moscou en passant par l’Opéra de Paris ou encore par les Arènes de Vérone. Un chef qui a su porter à un très haut niveau l’orchestre de l’Opéra de Toulon dont il fut le directeur musical. Contempler sa direction si précise, si concernée, si attentive, à chaque musicien, à chaque soliste, au moindre choriste est en soit un moment spectaculaire de la représentation. Bravo au choeur qui a fourni en cette soirée une prestation de haute volée. Mais dans une œuvre où la beauté vocale doit être au premier plan, l’Opéra de Nice et son directeur Bertrand Rossi ont réalisé un coup de maître en réunissant une distribution éblouissante tant en ce qui concerne la qualité vocale que dramatique des interprètes sur le plateau.
A commencer par la révélation de la soirée, Sara Blanch, une jeune soprano espagnole bardée de grands prix internationaux et qui depuis quelques années a entamé une brillante carrière de par le monde. Il est rare de voir sur un plateau une chanteuse parée d’autant de qualités : beauté physique, comédienne hors-pair et maîtrisant de si grandes qualités vocales. Dans le rôle d’Amina qui exige une présence quasi continue d’un bout à l’autre de l’opéra, elle est tout simplement stupéfiante de présence, de jeunesse, d’abattage. Il ne se passe pas une seule seconde sans qu’elle ne soit complètement investie dans son rôle qu’elle assume avec une crédibilité confondante, avec un rayonnement et un charisme peu communs. Chaque geste, chaque regard, chaque sourire, sont toujours d’une justesse accomplie. Elle se joue des vocalises aériennes qu’elle déroule comme une magnifique dentelle ornée avec une extrême virtuosité et un timbre d’une clarté limpide. La voix est exactement celle qui convient au rôle et compte tenu de sa jeunesse Sara Blanch a raison de faire preuve de prudence sans chercher à la grossir ni à élargir son médium ou son registre grave. Une assurance de préserver ainsi l’avenir pour d’autres rôles du grand répertoire belcantiste. L’émotion est au rendez-vous à chaque minute et elle termine l’ouvrage avec un contre-fa de la plus belle eau. Rarement artiste aura sur cette scène su donner une prestation de pareil niveau, sachant avec une telle aisance, jouer, chanter mais aussi danser !
A ses côtés, Edgardo Rocha est un Elvino à la technique vocale éprouvée (à l’instar de Cesare Valletti avec Maria Callas). Grand spécialiste des ouvrages de Rossini, il possède cette voix typique de ténor léger pour interpréter des rôles tels que Don Ramiro dans La Cenerentola ou encore le Comte Almaviva dans Le Barbier de Séville, mais aussi Arturo des Puritains du même Bellini avec ce que cela suppose d’aigu acéré. Quant à Adrian Sâmpetrean, déjà applaudi voici quelques mois dans Le Turc en Italie à l’Opéra de Monte-Carlo aux côtés de Cécilia Bartoli, on admire la conduite d’une voix au timbre séducteur et à la ligne de chant châtiée, là encore le chanteur valant le comédien.
Le reste de la distribution : Cristina Giannelli (Lisa), Annunziata Vestri (Térésa) et Timothée Varon (Alessio) contribuent à l’homogénéité de ce spectacle.
Lors des représentations au Théâtre des Champs-Elysées à Paris, la critique égratigna quelque peu la mise en scène du ténor Rolando Villazón. Certes, on peut estimer que la musique de Bellini et surtout, le livret de Felice Romani, évoquent davantage la calme et riante vallée d’une contrée suisse avec son village, son moulin, sa rivière et ses fraîches frondaisons, mais le metteur en scène comme son décorateur Johannes Leiacker ont préféré opter pour les hautes cimes glaciaires dans une pièce unique où se concentre une société toute de noire vêtue, sorte de « secte » enfermée dans ses préjugés.
Au milieu de cette population sombre, Amina dans sa blancheur apparaît comme un oiseau libre entourée d’enfants qu’elle affectionne ainsi que de trois elfes (danseuses) qui sont en quelque sorte le fil rouge de l’intrigue. Loin d’être absurde, cette conception mettant en avant « une société prisonnière de ses carcans, de ses rituels, de ses codes qui cherche par tous les moyens à faire rentrer dans le rang tous ceux qui par nature auraient tendance à sortir du cadre » n’est pas inintéressante et on suit ainsi l’histoire qui nous est contée avec un intérêt certain même si l’on peut considérer que les deux coups de théâtre survenant aux ultimes minutes de l’œuvre apparaissent quelque peu curieux, voire antinomiques avec l’esprit du livret et de la musique.
Il n’en reste pas moins que cette représentation demeurera gravée dans les annales de l’Opéra de Nice.
Christian Jarniat
Le 4 novembre 2022
(1) Cette Sonnambula est en coproduction avec le Théâtre des Champs-Elysées, le Semperoper de Dresde ainsi qu’avec le Métropolitan Opéra de New-York.