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La Loi du corps noir au Théâtre National de Nice

La Loi du corps noir au Théâtre National de Nice

mardi 7 février 2023
Alexandre Diot-Tchéou et Muriel Mayette-Holtz ©Sophie Boulet
 

La loi du corps noir… un titre qui englobe la question de l’univers entier ! Un titre qui interroge sur l’essence de ce monde, l’essence de l’être, l’essence de la vie… : la VERITÉ. Un titre mis en scène par des questions, dans des questions, pour des questions, des dizaines de questions. Toutes ces questions que l’on entend, que l’on crie et qui tordent les tripes jusqu’à savoir.
 
On ne parle pas vraiment de sciences physiques, dans cette pièce de Félicien Juttner, auteur dramaturge exceptionnel ayant le sens du rythme et de l’émotion et metteur en scène admirable. On les évoque seulement. On les vit surtout, emprisonnés dans cette loi du corps noir, noir parce qu’il absorbe la lumière visible qu’il reçoit, toute la lumière, sans la réfléchir ni la transmettre. On le sent, on le voit dans la bibliothèque du lycée enveloppée de ses flammes virtuelles pour ne laisser qu’un trou noir de questions et de doutes. On le saisit dans les murs enfumés qui encagent les personnages dans leurs vies, dans leurs vérités isolées. Plusieurs angles d’approche, plusieurs approches du même angle…
 
Corps « noir »… un espoir : si sa température est suffisamment élevée, son rayonnement émis atteint le spectre de la lumière et peut être visible à notre œil… Ce serait tellement simple si la vérité des flammes pouvait éclairer le oui ou le non de celui qui répond aux interrogations orales de la directrice de l’établissement, la directrice de la connaissance.  Ce serait tellement simple si la vérité pouvait être obtenue par ce oui ou ce noM de celui qui subit l’interrogatoire du policier. Elle voudrait bien savoir, la police. Elle voudrait bien comprendre, la directrice. Elles aimeraient bien souffler, les mères des adolescents accusés. Mais on ne souffle pas sur un incendie pour l’éteindre !
 
Dans cette pièce, « on ne parle pas d’amour, on parle de vérité ! » Ainsi se morfond l’une des mères face à son adolescent soupçonné d’avoir allumé le feu. Pourtant, que d’amour écrit, que d’amour crié, que d’amour incompris sur la scène de cet authentique Théâtre National de Nice, tout de pierres vêtu. « C’est la mort qui sépare un fils de sa mère », rien d’autre !
 
La loi du corps noir n’est pas qu’une enquête policière, qu’un exquis épisode de Sherlock Holmes, où des bulles de temps cinématographiques s’entrechoquent et nous laissent perplexes. C’est beaucoup plus que cela : une pièce philosophique ! Pas la philosophie qui se réfère aux grands philosophes et leur « jargon » habituel. Non. La vraie philosophie, l’authentique, la pure, l’universelle. Celle qui interroge chaque être au plus profond de lui-même, le cultivé comme celui qui cultive. Qu’est-ce donc que la vérité ???
 
Les décors et panneaux transparents sombres et mouvants de Marie Hervé métaphorent cette lancinante quête de clairvoyance. A la manière d’un travelling cinématographique, les différents plans s’approchent et se retirent, zooment et dézooment la réalité, les réalités ; tournent et détournent les différents cadres : de face, de dos… Ouvert, fermé, sombre, éclairé, chaque cadrage illustre en permanence ce lancinant questionnement contrepointé par la musique de Cyril Giroux.
 
Touchés au vif par ces scènes vécues par quiconque, de près ou de loin, dans l’enfance ou l’adolescence, on est percé par le jeu si vrai des mères et de leurs enfants. Muriel Mayette-Holtz, dans le rôle de la mère de classe sociale populaire, nous transperce de son amour exaspéré pour son fils adolescent avec une justesse à couper le souffle ! Son garçon, interprété par Alexandre Diot-Tchéou, nous renvoie avec une immense finesse la culpabilité de nos jugements bien souvent trop hâtifs : « Maman, je t’aime, je voudrais que tu me croies ». Anne Loiret nous glace dans le rôle de la mère proviseur, avec sa morale accusatrice et sans preuves. Simon Jacquard, dans le rôle de son fils, laisse résonner en nous longtemps, très longtemps après le spectacle, la détresse, dans le visage et dans la voix d’un adolescent en proie aux injonctions maternelles. Pas de père dans ces deux familles. Seul un inspecteur et narrateur, Erwan Daouphars rythme l’affaire, alimente l’énigme de réflexions métaphysiques et philosophiques. « On croit dire ce que nous voyons, mais c’est ce que nous voyons qui dit ce que nous sommes ».
 
Un spectacle qui nous laisse bouche bée, dans un espace-temps hors du commun, où les lumières qui éclairent pourtant d’ordinaire les faits (Pascal Noël) plongent dans l’abîme de nos corps, noirs de vérités…

Nathalie Audin
7 février 2023

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