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La Flûte enchantée (Version de concert) Clermont-Ferrand, Opéra-Théâtre : quand Pamina a l’âge de Juliette / Orkester Nord, direction Martin Wåhlberg

La Flûte enchantée (Version de concert) Clermont-Ferrand, Opéra-Théâtre : quand Pamina a l’âge de Juliette / Orkester Nord, direction Martin Wåhlberg

mardi 17 octobre 2023
photo DR

Ce concert qui aurait dû marquer l'année musicale clermontoise n'a malheureusement pas bénéficié d' autant de public qu'il le méritait. On est désolé de voir le seul parterre de l'opéra-théâtre, non sans quelques vides, assister à la performance de l'Orkester Nord venu expressément de Norvège et de celle de la remarquable distribution vocale de cette Flûte enchantée. La défaillance, pour ne pas dire la désinvolture de la communication autour de cette opération peu commune est grandement responsable de ce état de fait. On le regrette. 
Ce concert était proposé par l'association le Tableau lyrique, en partenariat avec le Service Université Culture, l'Université Clermont Auvergne et la Ville de Clermont-Ferrand.
Autour de l'Orkester Nord, une des plus dynamiques phalanges scandinaves spécialisée dans le répertoire baroque et de son chef fondateur, était réunie une distribution internationale très soigneusement sélectionnée. 
Le chef norvégien Martin Wåhlberg (Voir son interview) est la cheville ouvrière d'une réalisation qui est aussi l'aboutissement d'une recherche enthousiaste visiblement partagée par l'ensemble des intervenants.
On n'est heureusement pas dans une forme étriquée ou dogmatique de reconstitution à la Viollet-le-Duc mais bien dans une démarche d'abord artistique, fondée sur une décrispation vis-à-vis de « ce qui se fait » ou « ne se fait pas ». L'auditeur-spectateur est partie prenante, surtout s'il est familier de l'ouvrage, car il lui faut oublier tout ce qu'il peut avoir dans l'oreille d'interprétations de la Flûte enchantée, fussent-elles à tendance baroquisante, en particulier pour ce qui est de la part orchestrale. On pourrait dire que l'on se trouve devant une création usant des potentialités émotives de timbres instrumentaux anciens. Peu importe pour le spectateur-auditeur l'arrière-plan d'investigations musicologiques conséquentes qui précèdent.
On ne peut que redire ce que suscite l'écoute d'instruments anciens (ou à l'ancienne). C'est d'abord – pour une oreille contemporaine – la plus grande prégnance sensorielle, presque sensuelle, de la matière instrumentale elle-même, le bois est présent dans les bois, le métal vibre en métal chez les cuivres, et ainsi de suite. À remarquer l'emploi d'un glockenspiel spécialement fabriqué par un spécialiste anglais venu l'installer sur place et qui apporte une touche sonore délectable. La non standardisation de la lutherie, fait que chaque pupitre possède une personnalité propre. On perd certainement en homogénéité sonore (qu'il ne s'agit pas de mépriser !) mais on gagne en sensualité et en humanité du fait même de cette individualisation. C'est le contraire du chacun pour soi, c'est ce qu'on appelle « un ensemble » et le mérite en revient au chef. On n'en veut pour exemple que le ravissement d'une simple phrase où basson et hautbois sonnent ensemble de la façon la plus indéniablement mozartienne qui soit. Ce n'est qu'une bouffée musicale parmi tant d'autres mais elle reste en mémoire. Le gain en couleur est aussi palpable. Les différentes sonneries, à commencer par celles de l'ouverture en acquièrent une force percutante. Les cordes sont certainement moins rondes, moins brillantes que dans un orchestre moderne, mais combien plus porteuses de la sensibilité musicale du bras qui tient l'archet. (On ne redira jamais assez l'importance d'un premier violon). Et que dire des cors naturels si ingrats à jouer mais qui, en particulier dans les piani, dégagent une vraie poésie, liée en partie, il faut aussi le reconnaître, au connotations archaïques, primitives, forcément présentes pour une oreille contemporaine ?
La version de concert offre curieusement un avantage inattendu assez frappant : celui de libérer les interprètes des entraves de la mise en scène. Au-delà du côté un peu polémique de ce cette remarque, ce qui est frappant, dans le cas de cette Flûte enchantée, c'est que, comme par effet collatéral, elle place les chanteurs dans la position qui était la leur lorsque les scènes s'éclairaient à la chandelle ou au quinquets, c'est à dire à la rampe. Ce n'est pas anecdotique. Cela crée une proximité avec le spectateur-auditeur qui offre le double avantage d'un gain acoustique indéniable, les interprètes étant libérés de l'impératif décibels, mais aussi privés de tout détournement de l'oreille par le visuel vestimentaire ou de maquillage. On pourrait dire qu'on est dans du bio : sans texturants ou exhausteurs de goût allogènes. Les interprètes doivent habiter les personnages, en investir leur personne. C'est le cas pour l'ensemble de la distribution. Il y a derrière cela un beau travail d'équipe.
Si l'interprète de Papageno est quasiment toujours assuré de la sympathie du public, celui du baryton suisse Manuel Walser, n'y échappe pas, mais à très juste titre. Son aisance vocale, la solidité de son émission, le naturel du timbre, composent une sorte d'évidence. Au-delà du côté bouffon du personnage il sait lui insuffler à l'occasion des accents touchants dans ses moments de désarrois devant une humanité initiée qu'il côtoie sans s'y reconnaître. Les excursions dans la salle rompent heureusement le jeu à la rampe des autres protagonistes. 
Sa Papagena, Solveig Bergersen, possède la voix et le style des sopranos du répertoire léger germanique. Cela met d'ailleurs en évidence combien le style vocal de l'opérette autrichienne du siècle suivant se situe dans la continuité du vieux Singspiel. La confrontation avec son partenaire est profitable aux deux.
Face à ce Papageno le Tamino de Angelo Pollack frappe par son intensité dramatique. Loin du style intensément léché et purement mélodique qu'on trouve souvent chez le personnage, son interprétation est d'abord gouvernée par la parole et ce qu'elle porte. Ce souci sera présent dans toute la distribution, tout à fait dans l'esprit Singspiel. Le thème de la parole est d'ailleurs central dans la Flûte enchantée. Le mot « phrasé » prend ici tout son sens. Tout est en nuances, la maîtrise technique lui permet d'user de l'ensemble de leur spectre sans jamais aucune gratuité, ni effet sans cause. À cet égard son Dies Bild … est  très convaincant. Effet collatéral ici aussi peut-être, mais au fur et à mesure que Tamino progresse dans son parcours initiatique, l'interprète gagne en assurance et en prestance tout en gardant l'humanité du personnage. 
La présence à la rampe de la Reine de la Nuit est contraire à ce qu'ordinairement les scénographies proposent avec des chanteuses haut-perchées, parfois en fond de scène, et prises dans un appareillage compliqué et très spectaculaire qui tend à les sur-déshumaniser. Les premières phrases de Pauline Texier « O zittre nicht mein lieber Sohn …» prennent une allure inattendue et là aussi très convaincante de déclamation lyrique pas très éloignée de ce qu'on peut trouver dans le répertoire français de l'époque. La voix est nette, franche, sans stridence ni dureté. L'interprète n'en rajoute pas et on lui en sait gré. Elle parvient à créer une vraie ambiguïté entre sincérité d'une mère à qui on a enlevé son enfant et perfidie manipulatrice. On retrouve dans son second air, (hélas galvaudé par trop de détournements publicitaires), un écho des airs de furies présents aussi bien dans la tradition française qu'italienne baroques. Par ses seuls jeux de regards Pauline Texier parvient à faire du personnage, dans cet air, une sorte de gorgone d'autant plus terrifiante que le personnage, tel qu'incarné, offre au départ quelque fragilité humaine. Les vocalises très engagées demeurent cependant maîtrisées et toujours dans le personnage, comme allant musicalement de soi.
Bastian Kohl en Sarastro se place musicalement et dramatiquement en regard bien équilibré de cette Reine de la Nuit. Encore une fois ici, ce qui marque c'est le caractère très humain du personnage. Le timbre est beau et le chant distingué. Il a des choses à dire et il le fait avec conviction et sans pontifier. La gravité est plus dans la tenue de la ligne vocale que dans la quête de graves abyssaux. 
On retrouve la même distinction du chant, la même importance donnée au discours, chez le bien nommé Sprecher (Parleur, orateur) de Eric Ander dont la prestance fait merveille à côté du binôme Tamino/Papageno.
Son double sombre, Monostatos est incarné par Olivier Trommenschlager. La version de concert libère de la délicate question de sa couleur de peau. C'est tout naturellement au figuré et au moral qu'il est l'homme noir. Trop souvent les obstinées traditions font attribuer ce rôle à un ténor bouffe, pour ne pas dire « aigre ». Ici on est en présence d'une voix bien corsée au service d'un personnage finalement moins torve que charnellement tracassé. Ce n'est pas lui qui fera peur aux petits enfants. Son approche de la lumineuse Pamina, est un beau moment de théâtre.
Il faudrait pouvoir s'attarder également sur les diverses interventions des trois dames, respectivement Julie Gossot, Natalie Pérez et Aliénor Feix. Dès leur entrée musicale on comprend que l'ensemble de la distribution sera à la hauteur. Comme pour la partie instrumentale l'ensemble, parfaitement équilibré et musical, laisse les personnalités se percevoir, ce qui accroît autant le plaisir visuel que musical. L’œil autant que l'oreille y trouve son compte.
L'équilibre des voix, leur synergie, est bluffante dans le choral des hommes en armes interprété par Kristoffer Appel et Filip Eshet Steinland. Ce choral, porté par son irrésistible accompagnement orchestral, est un des moments les plus prenants de cette soirée. Tout se concentre dans l'avancée musicale implacablement sereine, portée par ce qui a été détaillé plus haut quand au caractère des instruments et leur emploi. Curieusement il s'en dégage une surprenante modernité.
Dans la construction géométrique de la Flûte enchantée, font face aux trois dames les trois garçons : Felix Hofbauer, Ludwig Meier-Meitinger et Benedikt Eberl, tous trois issus du Tölzer Knabenchor de Munich. Vocalement impeccables ils font preuve d'une intelligence de leur rôle et d'un engagement remarquables pour leur âge.
Les parties de chœur sont assurées par l'ensemble Vox Nidrosiensis, qui, habitué au travail commun avec l'Okester Nord rempli son office avec précision. 
Enfin il faut s'attarder sur la Pamina très inattendue de Ruth Williams. Son très jeune âge : seize ans suffit à la singulariser. Cette jeune britannique a déjà derrière elle une bonne expérience du chant qu'elle a débuté enfant dans la chorale des jeunes de l'abbaye de Bath pour continuer sur sa lancée jusqu'au rôle de soliste l'été dernier en Avignon dans la Missa Brevis de Kodaly captée par Radio France. Tamino a face à lui une Pamina-Juliette, lumineuse, d'une grande douceur et qui gagne immédiatement la sympathie du public. On ne peut naturellement pas attendre d'une chanteuse aussi juvénile les performances vocales d'une cantatrice, même si on sait que l'histoire de l'opéra compte quelques chanteuses très jeunes (on pense à Cornélie Falcon chantant Alice dans Robert le diable à dix-huit ans). Il faut admettre ce fait, une fois la gageure acceptée. Ruth Williams ne cherche d'ailleurs pas à imiter en quoi que ce soit ses aînées. Elle bénéficie d'une rare fraîcheur de la voix, claire, bien projetée et qui ne manque pas de puissance dans les aigus. Pour des raisons essentiellement physiologiques, liées au jeune âge, le vibrato est largement absent, ce qui produit tout de même quelques stridences dans ces aigus. Cette réserve faite, on est tout à fait séduit par la grande musicalité de son interprétation qui, en accord avec le reste de la distribution, s'appuie sur le texte pour guider l'éventail large des nuances. Le vibrato, justement, émerge parfois discrètement sur le très beau haut médium, très naturellement. En parfait accord avec les vibrations internes du personnage il confère à ces moments-là une grâce qui emporte la conviction. Son interprétation de Ach ich fül's est une belle surprise.
Martin Wåhlberg tenait à conserver à l'ouvrage son caractère de Singspiel en ne le réduisant surtout pas  à une enfilade d'airs vaguement reliés par des lambeaux de texte parlé. L'intégralité de ce texte a donc été joué, performance aussi pour certains artistes non germanophones. Le surtitrage dans une traduction  très fidèle a permis au public de le suivre.
Il faudrait enfin s'attarder sur la direction de Martin Wåhlberg, exercice toujours difficile, surtout pour un tel ouvrage. On a dit plus haut l'importance de la pâte sonore, de son grain, on pourrait, très subjectivement, la dire discrètement épicée, relevée avec doigté. La symbiose est palpable avec les chanteurs et leur propre jeu. Le tout est marqué par un allant toujours maintenu, notable en particulier dans les parties « liturgiques » où la profondeur n'est pas réduite à la lenteur. La musique, comme l'action, vont de l'avant.
Enfin il est un impondérable qui entre aussi en jeu, très présent pour ce concert : l'enthousiasme et l'engagement de l'ensemble de l'équipe bien perçus et très bien accueillis par le public.

Gérard Loubinoux
17 octobre 2023

Retrouvez l'interview deMartin Wåhlberg dans notre rubrique interview :

http://www.resonances-lyriques.org/fr/interviews-detail/interviews/1548-entretien-avec-martin-wahlberg-chef-dorchestre-a-loccasion-de-la-flute-enchantee-a-clermont-ferrand.cfm

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