Ouverture de la saison lyrique de l’Opéra de Marseille avec la Flûte enchantée. Il y a au moins deux manières pour un metteur en scène d’aborder le dernier ouvrage de W. A Mozart, Die Zauberflöte, crée à Vienne le 30 septembre 1791, à quelques jours d’intervalles de son operia seria La Clemenza di Tito, et surtout à 2 mois et 6 jours de sa mort, dans la même ville : On peut conserver l’idée du conte pour enfants (de tous âges !), en insistant sur le côté magique de l’œuvre et sur la quête de l’amour conduite par deux couples : celui des princes (Tamino et Pamina) et celui des humains (Papageno et Papagena, qui survient à la fin de l’ouvrage).
On peut jouer la carte de l’ouvrage initiatique où, au milieu d’un fatras de monuments empruntés à l’ancienne Égypte et de symboles se voulant maçonniques, les personnages principaux vont vivre au rythme des épreuves qui leur sont imposées par le silence, l’air, le feu et l’eau.
En évitant de tomber dans une vision délibérément naïve ou gravement maçonnique, Numa Sadoul – qui a pour point commun avec Emmanuel Schikaneder, le librettiste de l’ouvrage, de disposer d’un parcours de comédien et de metteur en scène- veut avant tout insister sur le côté magique du texte (Tamino et Papageno se verront ainsi délivrer par les trois Dames non une flûte et un glockenspiel mais deux baguettes !) tout en laissant les symboles maçonniques- qui sont dans la partition, dès les trois accords initiaux censés évoquer le frappement à la porte du Temple- se manifester « naturellement » mais sans ostentation : dès le lever du rideau, l’œil est ainsi frappé par la présence, côté jardin, d’un petit rocher (une pierre brute ?) et de la pointe d’un obélisque (une pierre taillée ?), côté cour, qui viennent encadrer un coffre dans lequel les trois génies viendront, tout au long du spectacle, puiser les déguisements successifs de Tintin, Spirou, Spider Man ou encore Harry Potter …pointant ainsi, tout simplement, la vanité des apparences, comme le précise le metteur en scène dans ses notes de réalisation.
De même, la Reine de la Nuit fait son entrée assise sur un croissant de lune, elle qui se verra associé un décor minéral brut fait de rochers assez proches de la peinture symboliste d’Arnold Böcklin, comme s’en revendique Sadoul, là où le côté solaire associé à Sarastro prendra corps dans un espace fait de constructions évoquant davantage l’architecture ordonnée d’un Piranèse.
Enfin, la symbolique de l’échange des vêtements entre les couples principaux, lors de la scène finale, sur fond d’étoile flamboyante, veut sans doute montrer la dualité de personnages qui vont apprendre à triompher des contraintes d’un amour difficile mais n’est sans doute pas immédiatement compréhensive pour un public parfois très jeune.
De même, le fait que Pamina aille chercher sa mère en coulisse pour l’associer à l’harmonie finale demeure, derrière la bienveillance sympathique de l’action, un contre-sens total eu égard à la pensée de Mozart et de son librettiste pour lesquels la Reine de la Nuit reste un personnage néfaste qui commande aux forces les plus obscures et pour laquelle ils n’éprouvent aucune forme d’empathie !
Dans cette production, les costumes de Pascal Lecocq (qui signe également les décors) sont de belle facture, mettant particulièrement en évidence les contrastes entre le blanc et le bleu nuit et faisant assaut d’originalité dans les tenues de Papageno et Papagena, aux pantalons et vestes imprimées de l’oiseau de Twitter, comme dans les magnifiques uniformes portés par le couple princier.
Avouons ne pas avoir été emballé par de véritables « personnalités » dans la distribution réunie mais davantage par un travail d’équipe qui, dans ce Mozart là du moins, est une option totalement défendable.
On sent très vite que le Papageno de Philippe Estèphe va avoir les faveurs du public, tant son allant et son côté magicien, voulu par le metteur en scène, séduisent, même si la projection vocale réclamerait un peu plus de puissance. Pas de difficulté majeure sur ce plan pour la basse de Wenwei Zhang, Sarastro au noble phrasé et au souffle adapté au rôle. De même, les voix de Loïc Félix (Monostatos), de Guilhem Worms et Christophe Berry, en Prêtres, n’appellent aucun reproche et, pour le premier en particulier, la vis comica est parfaitement au rendez-vous. Mention spéciale pour l’orateur bien chantant de Frédéric Caton.
C’est Cyrille Dubois qui, côté masculin, nous a semblé le plus intéressant : D’une belle élégance naturelle, le jeune ténor français bénéficie d’une qualité de diction qui, dans ce type de personnage issu du Singspiel, est indispensable. Sans être trop volumineuse, la voix est bien projetée et la technique solide : une prise de rôle réussie.
Les trois Dames ont les couleurs vocales d’Anaïs Constans, Majdouline Zerari et Lucie Roche et offrent des contrastes parfaitement adaptés. Si l’on a peu apprécié en Papagena la voix au volume important de Caroline Meng, assez hors-de-propos dans ce type de répertoire, la Reine de la Nuit de la soprano turque Serenad (Burcu) Uyar dispose, pour sa part, d’une technique solide et d’un très beau matériau , tirant davantage vers le soprano lyrique et, de fait, plus totalement adapté aujourd’hui aux vocalises stratosphériques exigées par le rôle.
Quant à la soprano belge Anne-Catherine Gillet, que l’on retrouve toujours à Marseille avec plaisir depuis ses inoubliables débuts sur la scène phocéenne dans L’Héritière de Jean-Michel Damase, sa ligne de chant, d’une grande pureté, égale sur tout l’ambitus, est un véritable bonheur, en particulier dans un « Ach Ich Fühl’s » tout d’émotion et de sensibilité.
Si les tempi adoptés par Lawrence Foster dans l’ouverture font craindre une tendance à la lenteur, posant quelques soucis initiaux aux pupitres des cuivres, l’orchestre gagne rapidement en souplesse et délivre une exécution d’une grande probité, tout comme le chœur parfaitement préparé par Emmanuel Trenque.
Hervé Casini
29 septembre 2019