Créé à l’Opéra-Comique à l’automne 2023 et repris en septembre à l’Opéra de Nice le spectacle de Richard Brunel fait étape à l’Opéra Grand Avignon, l’un de ses coproducteurs. Il faut également associer le Palazzetto Bru Zane, ainsi que l’Opéra de Lyon où la réalisation sera montée lors d’une prochaine saison.
Nous avions vu le spectacle sur la scène niçoise, mais le décor de Bruno de Lavenère impressionne une nouvelle fois. Au lever de rideau, on découvre une imposante structure métallique, qui a une petite allure de plate-forme pétrolière au premier coup d’œil. Mais il s’agit de la chaîne de montage de la mythique 4L, voiture produite ici par des ouvriers répartis sur trois niveaux, pendant que les dactylos tapent en rythme sur leur machine à écrire. Les banderoles déployées, ainsi que les slogans qu’on pourra lire plus tard « Prenez vos désirs pour des réalités », « Le vieux monde est derrière nous », « Sous les pavés, la plage »… nous aiguillent d’emblée vers la période de Mai 68. En passant dans les usines Renault de Boulogne-Billancourt, on perd certainement la période du Directoire et la gouaille des Dames de la Halle du livret d’origine de Clairville, Paul Siraudin et Victor Koning, mais il faut avouer que la transposition fonctionne bien dans sa cohérence. L’ambiance est plutôt joyeuse sur cette chaîne de montage d’opéra-comique, le patron Larivaudière, en costume violet, veille au grain et les maquettes de voitures montent et descendent gentiment.
Les bleus de travail multicolores évoquent aussi l’esthétique des films de Jacques Demy, une impression renforcée à la vue de Clairette et Mademoiselle Lange au deuxième acte, qui portent des chapeaux semblables à ceux des Demoiselles de Rochefort. On se retrouve alors dans la salle du cinéma Odéon, l’utilisation de la tournette permettant ici d’enchaîner sans temps mort entre les deux premiers actes, chose apparemment rendue impossible par des problèmes techniques lors des représentations de septembre 2023 à l’Opéra-Comique. Le lien entre la demeure de Mademoiselle Lange et les rangées de spectateurs en amphithéâtre n’est pas toujours immédiat, avec des personnages qui vont et viennent dans les travées, mais qui restent quand même souvent assis. C’est vrai en particulier pour le vrai-faux bal de noce qui termine l’acte : un « Tournez, tournez » de valse assise qui peut faire songer à la Barcarolle des Contes d’Hoffmann, avec ces couples enlacés sur les sièges, à vrai dire comme dans certains cinémas des années 1970 où les jeunes couples se bécotaient davantage qu’ils ne visionnaient le film. Au dernier acte, le bal au cabaret de Belleville évoque un night-club aux lumières rouges, sous les gradins du cinéma. La tournette se met encore en mouvement, mais heureusement utilisée avec parcimonie.
La distribution vocale est reconduite quasiment à l’identique des représentations niçoises. En tête, la Fille Angot pétillante d’Hélène Guilmette, très appliquée de diction, aux aigus faciles et fruités, toujours drôle sans trop en faire. La soprano québécoise prend d’ailleurs son délicieux accent naturel pendant un court passage de ses dialogues, au cours de la confrontation avec Lange au deuxième acte… sourires assurés ! Voix profonde de mezzo, Valentine Lemercier veille également à la qualité de diction en Mademoiselle Lange, le plateau féminin étant complété par Floriane Derthe qui cumule les rôles d’Amarante et Hersilie.
Côté masculin, on retrouve avec bonheur les voix solidement timbrées, sonores et expressives des barytons Philippe-Nicolas Martin et Matthieu Lécroart. Le premier très musical dans le rôle d’Ange Pitou et le second qui compose un désopilant Larivaudière. En Pomponnet, Enguerrand de Hys possède un timbre délicat, au format de ténor léger et très aigu.
Dirigé par Chloé Dufresne, l’Orchestre national Avignon-Provence sert les beautés de cette partition, qui sont nombreuses. Question de goût certainement, mais le duo entre Clairette et Lange au deuxième acte « Jours fortunés de notre enfance » est une merveille ! La cheffe prête par ailleurs une constante attention à contenir le volume des musiciens, dans la fosse à forte acoustique depuis les travaux de rénovation du théâtre. Les tempi étonnent parfois, mais fonctionnent, comme le final très rapide du premier acte ou encore le chœur des conspirateurs au II, pris à petite vitesse. Il faut saluer aussi les choristes de l’Opéra Grand Avignon préparés par Alan Woodbridge, bien chantants et qui font preuve de cohésion, même répartis en petites formations.
Certains textes enfin nous font sourire de bon cœur, comme lorsque Clairette énonce dans sa « Chanson politique » en fin de premier acte « Non, pas la peine, assurément, de changer le gouvernement ! »… on se croirait en 2024 !
Irma FOLETTI
27 décembre 2024
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Direction musicale : Chloé Dufresne
Mise en scène : Richard Brunel
Décor et costumes : Bruno de Lavenère
Lumières : Laurent Castaingt
Assistanat à la mise en scène : Lise Labro et Daniel Lawless
Chorégraphie : Maxime Thomas
Études musicales : Franck Villard
Chef de Chœur : Alan Woodbridge
Distribution :
Mademoiselle Lange : Valentine Lemercier
Clairette Angot : Hélène Guilmette
Pomponnet : Enguerrand de Hys
Ange Pitou : Philippe Nicolas Martin
Larivaudière : Matthieu Lécroart
Amarante / Hersilie : Floriane Derthe
Louchard : Antoine Foulon
Cadet / Un incroyable / Un officier : Jean-François Baron
Trénitz : Geoffrey Carey
Chœur de l’Opéra Grand Avignon
Orchestre national Avignon-Provence
Production : Théâtre national de l’Opéra-Comique Coproduction Opéra National de Lyon, Opéra Nice Côte d’Azur, Opéra Grand Avignon, et Palazzetto Bru Zane Éditions musicales du Palazzetto Bru Zane
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