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La CAMPAGNE au Théâtre National de Nice

La CAMPAGNE au Théâtre National de Nice

jeudi 26 janvier 2023
Isabelle Carré et Yannick Choirat © C. Raynaud de Lage

La campagne, c’est avant tout cette tentative de retour aux vraies valeurs. Un choix de vie, un choix de comportements, ceux de la nature qui dicte ses lois à l’humain, ou plutôt qui lui donne la direction de vie, l’unique, la seule viable. C’est le choix de ce couple, ayant des enfants, qui retourne à la source pour y puiser à nouveau sa sève, se plonger dans ses racines originelles, s’alimenter d’essentiel, sauver son union tout comme sa santé; pour survivre mentalement et biologiquement. La campagne, une mère thérapeutique tout autant que nourricière. 

Dans cette pièce de Martin Crimp, mise en scène par Sylvain Maurice, Isabelle Carré incarne ces franches valeurs de bonheur simple, à portée de main. Elle apporte au personnage de Corinne ce que l’on imagine qu’elle apporte à la vie ou qu’elle porte de la vie : cette pureté, cette absolue simplicité, la raison ultime pour laquelle on l’aime tant ! On la devine avec de saines valeurs bucoliques, un amour sans ambiguïté, entier, sincère et éternel pour son mari, un dévouement total à sa famille. 

Pourtant, son personnage aime son contraire masculin, un coureur de jupons, Richard, formidablement joué par Yannick Choirat, drogué récidiviste, semble-t-il… mais médecin, qui ramène un soir à la maison Rebecca, sa maîtresse, ou ex-maitresse, semble-t-il encore, interprétée par l’excellente comédienne Manon Clavel, dont la voix enracinée tranche avec celle, angélique, d’Isabelle. 

« Semble-t-il » ? C’est que le texte de Martin Crimp est un tissu d’indices jamais totalement dévoilés, une pyramide de doutes sur la vérité des faits comme des personnages. Véritable partition de mots jouant de répétitions, de musicalité et de rythme, l’intrigue en est presque verbale ! Aucun doute, par contre, sur le message criant de déchéance d’une société : seringues, adultère, mensonges qui s’enlisent et étouffent, effronterie, perte de vue de l’amour véritable que souligne discrètement une atmosphère de bruitages et sonorités inquiétantes, presque imperceptibles, et pourtant.… 
– « Embrasse-moi !
– J’t’ai déjà embrassé !
– Alors embrasse-moi encore…»
La campagne saura-t-elle soigner ces dégâts citadins, ces cancers de l’âme ? Aimer ou simuler l’amour, tout l’enjeu de notre société que souligne l’auteur tient en ce choix de direction. 

Dans un véritable crescendo littéraire hitchcockien, le dramaturge britannique manie le suspens avec subtilité et délicatesse, nous livre des bribes d’informations à dose homéopathique, que les acteurs émettent du bout des lèvres, comme si elles leur avaient échappé… Trop tard, le mot est dit, le mal est fait, les inquiétudes des trois personnages lancées dans l’espace de la vaste scène du Théâtre National de Nice (T.N.N.). Inquiétudes vite colorées d’angoisses s’évaporant dans la salle obscure de spectateurs démunis par le doute. Chacun devine, interprète sa propre version de l’histoire. Tromperie ? Meurtre ? Le metteur en scène, les protagonistes eux-mêmes ne peuvent nous renseigner sur l’énigme du scénario lorsqu’on les interroge autour d’un verre si amical dans le hall d’accueil de “la Cuisine”*, avides de questions que nous sommes. Ils respectent à la lettre l’intention de l’auteur contemporain : nous laisser écrire l’histoire de la pièce avec l’encre de notre propre histoire, celle de notre propre sensibilité. L’art abstrait existe aussi sur la toile de planches, dans la lignée de Marcel Duchamp pour lequel l’œuvre d’art, qu’elle soit picturale ou vivante, est un art subjectif d’interprétation. Alors, à vos loupes et vos cœurs, amis Sherlock Holmiens !

Nathalie Audin 

* La Cuisine est l’un des sites provisoires du T.N.N. -fort convivial, où il fait bon se restaurer avant ou après un spectacle- en attendant la fin des travaux de relocalisation du nouveau théâtre.

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