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La bouleversante performance de Marie Ronot pour les cent ans de la Callas

La bouleversante performance de Marie Ronot pour les cent ans de la Callas

samedi 2 décembre 2023

©Marie-Thérèse Werling

C’est une « performance » extraordinaire pour une jeune chanteuse que d’enchaîner sur plus d’une heure et demi de récital une quinzaine d’airs d’opéra parmi les plus difficiles du répertoire lyrique italien. Ce programme nécessite de l’endurance, mais aussi une capacité à tenir l’intensité dramatique et à rentrer dans la peau des différents rôles à incarner : un vrai courage en somme ! Et dans ce concert exceptionnel organisé pour le centenaire de Maria Callas par le Cercle Richard Wagner de Strasbourg, la soprano dramatique Marie Ronot a impressionné et bouleversé le public du Munsterhof à Strasbourg.

Diplômée en 2018 à la HEAR avec les félicitations du jury, la chanteuse poursuit une mue entamée il y a quelques années : au départ soprano colorature, sa voix s’est assombrie et élargie nettement, jusqu’à épouser les contours d’un grand dramatique. Ses participations récentes aux concours, tel le Vincenzo Bellini de Vendôme, où elle a remporté le prix spécial il y a quelques mois, montrent sa maturité grandissante. Dans le récital de ce soir, c’est une certitude, la chrysalide est devenue papillon.

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© Marie-Thérèse Werling

Elle trouve en Pierre Rouinvy un complice remarquablement charismatique. Le pianiste, qui s’est perfectionné auprès d’Amy Lin à la Haute École des Arts du Rhin, maîtrise parfaitement les arcanes des réductions d’orchestre et démontre une appétence forte pour l’accompagnement de la voix, avec science de l’écoute et modulation des nuances idoines. Les longs préludes joués seuls trouvent ainsi leur palette orchestrale ; après l’émission des premiers mots chantés, le piano passe au second plan avec délicatesse. Rouinvy agit en catalyseur des énergies par son soutien confiant ; il offre à l’organe surpuissant de Marie Ronot un tapis à la fois lumineux et fluide.

Mais séparons le bon grain de l’ivraie, et ne tombons pas dans l’euphorie de ce récital à l’émotion débordante : sa première partie, encore en rodage, ne recueille pas les suffrages unanimes. Avec le stress, quelques attaques medium restent dans la gorge. Les aigus retentissent déjà comme des trompettes éclatantes dans « Casta Diva » ; bien campée, parfaitement juste après l’émission, Ronot se trouve déjà habitée par la musique, couvée du regard par son pianiste, en admiration. Mais dans Verdi – des airs extraits du Trouvère, de Macbeth ou de Don Carlo, l’histoire est autre : si l’interprétation dramatique emporte l’adhésion du public, la voix paraît un peu à l’étroit dans ce répertoire. L’entracte offre à l’assistance, durant trois quarts d’heure, de déguster des assiettes de charcuteries italiennes, arrosées par quelques verres de Prosecco. Le miracle s’opère après la pause. Il offre un moment rare de communion entre un duo d’artistes et un public aux aguets.

La voix ample et généreuse de Marie Ronot s’épanouit ainsi dans le répertoire vériste et touche au cœur à plusieurs reprises. La chanteuse est à l’aise sur toute l’étendue de la voix, depuis les aigus tantôt puissants, tantôt suspendus dans des pianissimi poignants, jusqu’aux graves saisissants d’expression, aux teintes sombres minérales. Souvent on entend la capacité dramatique à interpréter un grand rôle dans son entièreté et sa vérité, comme dans l’air très impressionnant de Turandot, « In questa reggia », qui est certainement le plus grand et difficile à interpréter du corpus de Puccini.

Dans une grande intelligence de lecture et d’analyse, son « Suicidio ! » dans La Gioconda de Ponchielli est parfaitement sensible et nuancé, d’une précision extrême portant l’intensité du théâtre jusqu’au bout de l’émotion. Elle avait déjà fait vibrer l’auditoire en interprétant le très bel air de La Wally de Catalani, « Ebben ne andró lontana », qui requiert une grande maîtrise des dynamiques. Deux autres airs de Puccini encore, pris dans Tosca et dans Madama Butterfly, obtiennent le même succès. Et l’ovation finale, striée de bravos retentissants, n’est pas usurpée : on assiste au récital d’une artiste prête pour la scène, celle du répertoire vériste et au-delà encore, du répertoire wagnérien, pour lesquels sa voix est faite. On a hâte de l’entendre avec orchestre !

Emma GUTIERREZ et Christian WOLFF

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