Dans le premier opus de ce spectacle consacré aux chansons de Boris Vian (mars 2O19) la Bande à Bonnot, après ses méfaits sur terre, se retrouve logiquement en enfer (1). Qu’importe, puisque les protagonistes de ce gang au destin sulfureux ne croient ni en Dieu ni au Diable ! Quoique… (« On est descendu chez Satan / Et là-bas c’était épatant ») (2). Il s’avère que le démon leur a permis d’aller séjourner au paradis pour des vacances de quelques semaines « Thank you Satan » de Léo Ferré « Pour le voleur que tu recouvres / De ton chandail tendre et rouquin… Thank you Satan ! »
Tandis que le public entre dans la salle, ils sont allongés et se prélassent alanguis à même le sol. Il y a là Jules Bonnot, Rirette Maîtrejean, Octave Garnier et Raymond Callemin (alias Raymond-la-Science). Tous quatre regardent avec nonchalance défiler sur un écran les hommes qui sur terre défraient la chronique : Donald Trump jouant au golf, Vladimir Poutine en conférence avec le leader chinois Xi Jinping, Eric Zemmour en meeting etc…
C’est à nouveau un prétexte pour causer à bâtons rompus de l’actualité de ce début de XXIe siècle. D’ailleurs ils n’ont plus que quelques semaines à tirer avant de retourner aux enfers. En refaisant le monde tout en repassant leur passé ils finissent par se séparer en deux groupes : les tenants de Ferré (« Les anarchistes, ils sont morts cent dix fois, pour que dalle et pourquoi ? ») et ceux de Renaud (3). Une manière de s’inventer un show au cabaret du ciel. Mais au fond à quoi bon la controverse ? Dans la chanson française Ferré comme Renaud, ne sont-ils pas les illustrateurs parfaits de l’anarchie ? « Dès que le vent soufflera », « Camarade bourgeois », « Société tu m’auras pas », « Mistral gagnant », « Hexagone », « La médaille »… Renaud tient la corde mais les adversaires ne s’en laissent pas compter pour autant en répliquant avec « Jolie môme » tandis que « Paname » de Ferré et « Amoureux de Paname » de Renaud scellent la réconciliation des deux clans et pour cause : n’est-ce pas le rappel du bon temps avec un Paris qui était beaucoup mieux que ce paradis aseptisé ? « Oui mais Paris c’est plus ce que c’était et dire que c’est nous qui avons inventé le concept du braquage en voiture et celui de la planque. Nous étions les écologistes des boulevards ». Ils chantent ensuite en chœur et avec le public « Germaine ».
Les quatre interprètes sont des comédiens accomplis, qui savent en outre parfaitement chanter et jouer de divers instruments : Plume (Raymond-la-Science) à guitare et au piano et Stéphane Bebert (Jules Bonnot) à la guitare et à la batterie. Isabelle Tosi apporte sa vibrante touche de chanteuse réaliste qui convient si bien à Rirette tandis que Florent Bonetto (Octave Garnier, le dandy terrassier) en impeccable costume mauve imite avec talent le son de la trompette. Et comment, en sus de ce quatuor, ne point citer Quentin Richard en John Lydon (4) iconoclaste trublion venu d’un autre temps, torse nu et cheveux hirsutes ?
Humour décapant, libre pensée et chansons à texte sont au programme de ce réjouissant deuxième volet des aventures de La Bande à Bonnot remarquablement écrit et mis en scène avec autant de virtuosité que d’élégance par Frédéric Rey.
(1) En 1955 le grand-père de Frédéric Rey, auteur et metteur en scène de ce spectacle, écrivait avec Boris Vian La Bande à Bonnot une pièce de théâtre musical. Le spectacle fut censuré parce qu’il réhabilitait sur un ton satirique les aventures de Jules Bonnot et de ses compagnons.
(2) Boris Vian
(3) Une occasion de fêter les 70 ans de Renaud né en 1952
(4) Chanteur du groupe punk emblématique les “Sex Pistols”.
Christian Jarniat
26 novembre 2022