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KATIA KABANOVA a l’Opéra DE TOULON

KATIA KABANOVA a l’Opéra DE TOULON

mardi 27 janvier 2015

Photo Frédéric Stéphan

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Après avoir été publié sous forme de feuilleton dans la Revue de Paris, « Madame Bovary » de Gustave Flaubert paraît sous forme de roman en 1857. Chacun sait qu’il s’agit de l’histoire d’un adultère commis par une femme romantique qui ne supporte plus les pressions d’un entourage provincial exécrable et oppressant. Elle se suicide par désespoir. Deux ans plus tard, en 1859, le dramaturge russe Alexandre Ostrovski (sans apparemment connaître le roman de Flaubert) fait représenter à Moscou « L’orage », une pièce qui évoque quasiment le même thème et qui conduit aussi l’héroïne à la mort, poussée par l’étroitesse de son milieu et la tyrannie impitoyable exercée par sa belle-mère. C’est de cette œuvre dramatique que s’empare, en 1921, Leoš Janáček pour en faire ce que beaucoup considèrent, à juste titre, comme son chef-d’œuvre, « Katia Kabanová ».

Une héroïne victime de l’intolérance de son milieu familial

L’histoire se déroule dans une petite ville de Russie au bord de la Volga. Katia Kabanová y vit avec son époux Tikhon et sa belle-mère Kabanicha, une femme autoritaire et intolérante qui écrase son fils et méprise sa belle-fille. Katia est secrètement aimée par Boris, le jeune neveu du riche marchand Dikoï. En l’absence de son mari parti pour quelques jours, Katia, fuyant un instant le climat détestable du foyer familial, rencontre Boris et se laisse séduire par lui. Mais une fois Tikhon revenu au village, Katia sombre dans une profonde dépression et adopte un comportement de plus en plus erratique. Elle rencontre pour la dernière fois, sur les berges de la Volga, Boris, puis se jette à l’eau où elle meurt noyée.

Cet opéra a été créé à Brno le 23 novembre 1821 puis, dans une version remaniée, à Prague en 1828. Il aura fallu attendre 1968 pour sa première représentation en France à l’Opéra Comique, dans la mise en scène de Pierre Médecin et sous la direction de Jean Périsson, avec Hélène Garetti et Berthe Montmart. Aujourd’hui, cette œuvre est admirée – au même titre que « Jenůfa » créée en 1904 – par sa parfaite concision narrative, sous tendue en permanence par une musique alliant puissance dramatique et lyrisme exacerbé où se développent des mélodies d’une beauté et d’une subtilité rares.

Une direction d’acteurs efficacement maîtrisée

Beaucoup de théâtres français n’ont jamais affiché « Katia Kabanová » et c’est tout à l’honneur de l’Opéra de Toulon de le représenter pour la première fois dans
cette ville (en coproduction avec l’Opéra Grand Avignon qui la recevra en 2016). Loin du parti pris « regietheater » de la production du Festival de Salzbourg en 1998 signée par Christoph Marthaler (reprise à l’Opéra de Paris en 2011), Nadine Duffaut s’est attachée à donner de l’œuvre de Janáček une vision aussi dépouillée qu’efficace, en parfaite osmose avec l’astucieux dispositif scénique d’Emmanuelle Favre : un fond gris-blanc avec, de part et d’autre, des parois verticales et, côté cour, un remblai derrière lequel on devine de l’eau qui figure la présence permanente, voire obsédante, de la Volga, protagoniste essentielle de cet opéra. Les costumes de Danièle Barraud situent l’œuvre dans la première moitié du XXème siècle. Nadine Duffaut s’applique, avec autant de sobriété que d’élégance de bon ton, à diriger, avec beaucoup de justesse, chacun des acteurs de cette tragédie familiale, suscitant ainsi, d’un bout à l’autre de l’œuvre, l’émotion du spectateur. On a admiré également les magnifiques lumières de Jacques Chatelet (les changements à vue à l’issue de chaque acte se faisant en ombres chinoises).

La bouleversante Katia de Christina Carvin

Nous avions beaucoup aimé la soprano Christina Carvin dans « Jenůfa » à l’Opéra d’Avignon en 2013. On la retrouve ici fragile et paradoxalement sensuelle, dramatiquement bouleversante et vocalement admirable, dans une Katia où elle a sans doute aujourd’hui peu de rivales. Marie-Ange Todorovitch a tout abordé, de « Carmen » au « Chevalier à la rose », en passant par « Dialogues des Carmélites», «Le Vaisseau fantôme», «Don Carlos», «Elektra», nombre d’ouvrages contemporains et d’opérettes. C’est dire qu’elle sait s’illustrer, avec bonheur, dans tous les genres dans un vaste répertoire. Sa Kabanicha, cheveux tirés et visage acéré, s’impose comme tant d’autres personnages qu’elle a fait vivre sur de multiples scènes en France comme à l’étranger.

Un sans faute dans la distribution

Il faut remercier Claude-Henri Bonnet, le directeur avisé de l’Opéra de Toulon, d’avoir su réunir, autour de ces deux femmes que tout oppose, une brillante distribution. Le Kudriach d’Elmar Gilbersson, à la voix bien timbrée, est si agile sur scène qu’on imagine volontiers qu’il pourrait aborder certains rôles de comédies musicales. Les deux autres ténors sont tout aussi dignes d’intérêt. Le Tikhon de Zwetan Michailov s’impose aussi bien par sa voix que par son allure, tandis que Ladislav Elgr dessine, avec habileté, un Boris désemparé et velléitaire. Particulièrement fascinante est la scène finale où Katia lui ouvre ses bras, quêtant une ultime étreinte, et où il passe à côté d’elle, incapable de répondre à ce dernier élan d’amour. Valentine Lemercier, à seulement 24 ans, est à l’aube de sa carrière bien qu’ayant déjà chanté le rôle-titre de « Carmen ». Cette jeune mezzo-soprano a confirmé toutes les promesses placées en elle dans une impeccable Varvara pleine de charme et de fraîcheur. Elle sera prochainement Mercédès dans « Carmen » à l’Opéra de Lyon et Orlovsky dans « La Chauve-souris » à l’Opéra Grand Avignon. A noter aussi l’excellente prestation de la basse géorgienne Mikhail Kolelishvili en Dikoï. On ne peut qu’admirer, une fois de plus, l’orchestre de l’Opéra de Toulon, devenu au fil des ans l’une des meilleures formations symphoniques et lyriques de la région pour la circonstance porté à incandescence par la direction fougueuse et précise d’Alexander Briger.

Christian Jarniat
27 janvier 2015

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