Une scène. Trois hommes. Et du génie.
Tel pourrait être le résumé de cette adaptation vibrante de Jules et Marcel, un spectacle qui célèbre l’amitié complexe et lumineuse entre Marcel Pagnol et Raimu.
Après avoir enflammé les planches du Théâtre Comoedia à Aubagne avec Marius, la Compagnie Biagini revient avec une proposition audacieuse et profondément émouvante.
Ici, le rire et les larmes se mêlent dans une mise en scène soignée, où la finesse de l’écriture épouse la force du jeu. Les costumes, élégants et fidèles à l’époque où les hommes arboraient fièrement le chapeau et se déplaçaient avec une grâce naturelle, nous plongent dans un autre temps. La lumière, d’une poésie rare, enveloppe chaque scène d’une douceur d’antan.
L’histoire commence par une rencontre, celle d’un jeune Provençal inconnu frappant timidement à la porte de la loge de Raimu pour lui proposer un rôle qui deviendra mythique : Panisse, dans Marius1. Pagnol, déterminé et rusé, capte l’attention du comédien, et de cet échange naît une amitié indéfectible.
Cette adaptation repose sur la correspondance authentique2 des deux artistes, retrouvée dans les archives familiales et transformée en un dialogue vivant.
Sur scène, Christian Guérin (Marcel Pagnol) et Fredéric Achard (Raimu) donnent corps à cette relation complexe, tandis que Lionel Sautet (le narrateur), dans un rôle pivot, enrichit la mise en scène en insufflant une dynamique drôle, subtile et fluide.
Mais Jules et Marcel ne se limite pas à un échange épistolaire reconstitué. Il interroge en profondeur la nature même de la création artistique et du lien entre auteur et interprète. En filigrane, il pose une question essentielle : un chef-d’œuvre peut-il exister sans la rencontre de deux sensibilités qui se défient, se complètent et se nourrissent l’une de l’autre ? À travers leurs lettres et leurs joutes verbales, le spectacle met en lumière l’admiration réciproque autant que les tensions, révélant les fulgurances et les fêlures de deux figures majeures du théâtre français. Ce n’est pas seulement l’histoire d’une amitié, mais celle d’une confrontation entre deux géants, entre un homme des mots et un homme de la scène, entre raison et instinct. Et pourtant, au-delà de leurs tempéraments contrastés, une même passion les unit : l’amour inconditionnel de leur Provence natale, de sa lumière, de ses accents et de cette langue française dont ils savaient, mieux que personne, ciseler la beauté. Car si l’un pouvait se perdre dans mille exigences et l’autre dans mille ruses, leurs racines communes surpassaient toutes les fantaisies demanderesses de l’un et la malice de l’autre.
Chaque élément du spectacle participe à cette magie : décors astucieux, constamment en mouvement grâce à un ingénieux système de roulettes, lumières aux accents cinématographiques, musiques délicates. Lionel Sautet, véritable chef d’orchestre de cette scénographie, manipule ces objets mobiles avec la grâce d’un danseur, offrant aux regards une chorégraphie virtuose d’une grande élégance.
Et que dire des comédiens ? Leur alchimie transparaît dans chaque échange, chaque regard. Leur talent ne surprend plus, mais touche, inlassablement. Ils incarnent l’authenticité d’une amitié qui dépasse la fiction, tant sur scène que dans la vie.
Au fil du spectacle, une nouvelle facette de Pagnol se dévoile. On découvre un homme amoureux, humble et presque fragile, notamment dans sa passion pour Josette Day.
Christian Guérin révèle des nuances insoupçonnées du personnage, offrant un Pagnol à la fois poète et visionnaire. Cette mise à nu permet de mieux comprendre comment son écriture, empreinte d’humanité et de vérité, a su capturer l’essence des sentiments avec tant de justesse. Déjà formidable César dans Marius, nul ne pouvait mieux que Frédéric Achard incarner un impressionnant Raimu plus vrai que nature.
En célébrant le centenaire du Théâtre Comoedia, ce spectacle ne se contente pas de rendre hommage à une époque révolue, il nous invite à aimer, rire, pleurer… bref, à vivre.
Cécile Day-Beaubié
27 février 2025
1On sait que Raimu refusera avec insistance le rôle de Panisse estimant que celui de César paraissait exactement écrit pour lui.
2Ces lettres souvent inédites ont été confiées par Nicolas Pagnol et Isabelle Nohain Raimu à l’auteur de cette adaptation Pierre Tré-Hardy. La pièce fut créée en juillet 2007 à Grignan (reprise ultérieurement à Paris au Théâtre Hebertot puis au Théâtre Marigny) avec Michel Galabru (Raimu), Jean-Claude Carrière (Marcel Pagnol) et Jean-Pierre Bernard (Le narrateur).
Idée originale : Pierre Tré-Hardy
Mise en scène : Lionel Sautet
Décors : Thierry Hett
Costumes : Maÿliss Martinsse
Lumières : Raphael Maulny
Distribution :
Marcel Pagnol : Christian Guérin
Raimu : Frédéric Achard
Le narrateur : Lionel Sautet