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JOUER EN FAMILLE CHEZ LES MENDELSSOHN

JOUER EN FAMILLE CHEZ LES MENDELSSOHN

mercredi 21 août 2024

Alan Stoupel, 14 ans, avec ses parents Vladimir Stoupel et Judith Ingolfsson à Berlin le 20 août 2024. (c) Manfred Fuss

Somptueux concert de musique de chambre dans la demeure berlinoise des collatéraux de l’auteur du « Songe d’une nuit d’été ». Judith Ingolfsson, Vladimir Stoupel, leur fils Alan – âgé de 14 ans – et deux autres instrumentistes enchantent le public du festival coorganisé avec l’un des descendants du compositeur et l’Ambassade d’Irlande en Allemagne.

La scène se déroule au Conservatoire Tchaïkovski de Moscou au milieu des années 1970. L’adolescent Vladimir Stoupel, un futur virtuose du piano devenu français depuis, écoute Sviatoslav Richter et le Quatuor Borodine dans le « Quintette avec piano en la majeur » opus 81 de Dvořák. Le concert le marque – à juste titre – d’un souvenir inoubliable. Un demi-siècle plus tard, Stoupel est au clavier – à Berlin – pour la même œuvre, un puissant condensé de l’âme slave du Sud, avec des instrumentistes à cordes parmi lesquels figure son fils Alan, âgé de quatorze ans.

Stoupel junior est violoniste et enfant de la balle. Voici des années qu’il suit les apparitions publiques de ses parents, la violoniste-altiste islandaise Judith Ingolfsson et le pianiste-chef d’orchestre Vladimir Stoupel. Il déjà parle bien l’allemand, l’anglais et le français. Inscrit au prestigieux Peabody Institute de Baltimore, il connaît l’amour de la France manifesté par ses parents. Responsables artistiques du Festival d’Aigues-Vives, ils ont été reçus dans l’Ordre des Arts et des Lettres. Le jeune Alan est aussi un percussionniste amoureux du marimba, autant qu’un être curieux de tout. Peut-être aura-t-il, d’ici quelques années, une conscience claire de la singularité de son destin. Il descend peut-être – par sa mère – des Vikings ayant conquis l’Islande à la fin du 9ème siècle. Alan représente déjà, par son père, la troisième génération de musiciens professionnels parmi une famille russe.

Ce 20 août 2024 est une belle journée pour les histoires familiales. Stoupel père et fils interprètent avec d’autres l’opus 81 du grand maître tchèque pour la première fois ensemble. Ils se font entendre à la Remise Mendelssohn, lieu prestigieux de la mémoire culturelle allemande. Située au cœur du Berlin ancien, elle était jadis le siège de la Banque Mendelssohn et la demeure d’une partie des collatéraux du célèbre compositeur homonyme. Les nazis, en interdisant l’exécution des œuvres de Felix Mendelssohn-Bartholdy à cause de son ascendance juive, se sont ensuite empressés de liquider l’établissement bancaire. Mais Hitler a été vaincu. Les Mendelssohn – en tout cas une partie d’eux – sont revenus. Ils ont fait valoir leurs droits. Aujourd’hui, les Mendelssohn sont au nombre de trois cents. Ils habitent dans nombre de lieux, dont les environs de Bordeaux, disséminés sur la planète. Ils se retrouvent deux fois par décennie à Berlin pour une espèce de congrès plein de convivialité.

Les Mendelssohn sont un symbole des familles. Ils ont produit des professeurs, des diplomates, des philosophes, des vignerons, des acteurs et trois compositeurs. Au cours des temps, ils ont professé le judaïsme, le catholicisme ou l’athéisme. Felix Mendelssohn-Bartholdy a été un adepte fervent du protestantisme, même si son grand-père le philosophe Moïse Mendelssohn fut le grand penseur du judaïsme allemand cherchant à s’émanciper peu avant la Révolution française. Dans ces conditions, on ne s’étonnera pas que la Remise Mendelssohn soit contrôlée par la Mendelssohn-Gesellschaft – la Société Mendelssohn –, association fondée en 1967 où se retrouvent les membres de la bourgeoisie berlinoise réformée. J’écris bien réformée. Leurs cercles descendent des Huguenots réfugiés à Berlin après l’abolition de l’Édit de Nantes, non des adeptes vernaculaires de Luther. Organisant diverses manifestations littéraires ou philosophiques et un festival estival de musique de chambre, la Mendelssohn-Gesellschaft aime les ramifications lointaines. S. E. le Dr. Boubacar Kane, ambassadeur de Mauritanie en Allemagne, assistait ainsi au concert de ce 20 août. Ce dernier aura suscité une telle affluence que des sièges avaient été installés dans le jardin donnant sur la Remise, là même où les trois Stoupel, le violoniste Sibbi Bernhardsson et le violoncelliste Friedemann Ludwig jouaient Mozart et Dvořák. Le programme, également soutenu par l’Ambassade d’Irlande qui occupe une partie des lieux, marquait le dixième anniversaire du festival. Il a été baptisé « The last Rose of Summer ».

Il est savoureux – si l’on peut dire – de constater que, même à la Mendelssohn-Gesellschaft, l’Allemagne n’est plus ce qu’elle était. La communication et le programme de salle réalisés pour le 20 août nous ont « appris » ( ?) que tant Mozart que Dvořák seraient nés en 1833 et morts en 1897. D’aucuns les ont confondus avec … Brahms. Cette bévue n’est certainement pas le fait du Dr. Thomas Lackmann, descendant de la sœur aînée de Felix Mendelssohn-Bartholdy et président de la Gesellschaft, ni de Judith Ingolfsson et de Vladimir Stoupel, directeurs artistiques du festival. En tout cas, le programme de clôture du festival 2024 a été placé sous la signe de la somptuosité. Au clavier du « Quatuor avec piano en sol mineur » K. 478 de Mozart, Vladimir Stoupel ne charge pas à singer les hygiénismes viennois dont Artur Schnabel était l’artisan au long de la même œuvre. Particulièrement en forme, Stoupel donne un son puissant, incisif et clair. Normal. N’a-t-il pas étudié avec Lazar Berman, l’une des gloires de l’école soviétique du piano ? Dès lors, la magnifique interprétation qu’il offre de ce joyau n’est pas destinée aux esprits conformistes, encore moins à ceux ayant supprimé la viande de leur alimentation. On n’est pas au royaume des régimes macrobiotiques.

Le plat de résistance de la manifestation se trouve être l’opus 81 de Dvořák, œuvre de référence au même titre que les quintettes avec piano de Brahms, de Chostakovitch, de Franck ou de Weinberg. On y découvre le jeune Alan Stoupel au second violon, tandis que sa mère nous délecte de son alto généreux, que le violoncelliste Friedmann Ludwig joue la carte du postromantisme et que le premier violon – Sibbi Bernhardsson – commence à dominer des difficultés d’intonation provoquées par la prise en main récente d’un instrument des plus précieux. Le vainqueur de ce marathon est Vladimir Stoupel. Il en est à la fois la tour de contrôle, le chef d’orchestre, le virtuose doté d’un jeu à la sûreté inébranlable. La tradition russe est bien là, en un combiné de force et de raffinement. Les structures modales presque répétitives au point de vue rythmique de Dvořák brillent. La fugue du dernier mouvement impressionne. Un peu plus loin, les mélanges de timbres des cordes donnent l’impression d’entendre un harmonium. En un mot : du grand art !

Dr. Philippe Olivier

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