I Puritani à l’Opéra de Marseille ou un certain retour de “l’age d’or”…
On connaît la propension du passionné d’opéra à mythifier le passé lyrique : combien de fois n’avons-nous pas entendu, sur les parvis du temple de la place Reyer ou à la queue de « feu » le poulailler de l’Opéra de Marseille, rue Molière et rue Corneille, nos grands anciens nous regarder nous enthousiasmer pour tel artiste ou tel spectacle, mi-amusés mi-agacés, et nous rétorquer que nous n’avions pas entendu grand-chose… ce qui était, en un certain sens, assez vrai ! De fait, les Puritains « de 74 » (Alfredo Kraus, Christiane Eda-Pierre, Robert Massard, Pierre Thau et… notre Martine Dupuy), que n’en avons-nous entendu parler !!! Et, à l’écoute de la bande pirate, c’est vrai que çà avait l’air de déménager… surtout en comparaison de la reprise suivante (j’aurais dit 1990 mais je ne retrouve pas mon programme…) où William Matteuzzi donnait bien le contre-fa dans « Credeasi, misera » …mais malheureusement à la façon d’un chapon en train d’être égorgé, ce qui avait donné lieu à l’issue de la matinée du dimanche, à une belle empoignade avec certains spectateurs mettant en avant l’héritage de Rubini, le créateur d’Arturo, qui, d’après ce que l’on en sait, émettait ses aigus en voix de fausset… mais sans doute avec une autre qualité de voix et un autre volume !…
Depuis lors, l’ombre d’Alfredo Kraus, sans doute l’un des plus grands Arturo du dernier demi-siècle (et Pavarotti alors ? Et le sublime Nicolai Gedda à Florence en 1970 ? Et… ?), hantait toujours les Happy Few phocéens. Ailleurs, pourtant, Chris Merritt, Rockwell Blake, plus récemment Juan Diego Florez, Javier Camarena, Celso Albelo (superbe à Monaco en 2017 !) ou Enea Scala montraient que l’Age d’Or des uns trouvait chez les autres quelques dignes héritiers…
Mais venons-en à ces représentations marseillaises et ne boudons pas notre plaisir : voilà de ces soirées qui vous scotche à votre fauteuil et font tout simplement du bien ! A voir la salle de l’Opéra si bien remplie -pour une version concertante- et manifestant bruyamment son enthousiasme, on songeait certes, un instant, à ce qu’avaient dû être les soirées parisiennes de la création au Théâtre Italien en 1835, avec ce fameux « quatuor » constellé de Giovan Battista Rubini (Arturo), Antonio Tamburini (Riccardo), le marseillais de père Luigi Lablache (Giorgio) et la Giulia Grisi (qui, c’est utile de le rappeler, était un authentique soprano lirico-spinto !). Ah, l’Age d’Or….!
Dès le lever de sa baguette, toujours vigoureuse et ne traînant jamais, on sait que Giuliano Carella conduira la nef de ces « Têtes Rondes et cavaliers » à bon port, en authentique maestro concertatore qu’il a toujours su être, donnant toutes les attaques, attentifs aux divers pupitres mis à l’honneur par la partition (bois et cors en particulier), à ses chanteurs, dont il n’hésite pas, au passage, à discrètement réorienter les regards vers lui. Avec un tel artisan aux commandes, on donne une version quasi-intégrale où, à peu d’exceptions près (on a pu noter l’absence d’un trio Arturo, Riccardo, Enrichetta), les reprises d’airs et d’ensembles sont bien au rendez-vous, conférant au dernier chef-d’œuvre de Bellini toute l’ampleur qu’il mérite.
Les seconds rôles (Eric Martin-Bonnet, Christophe Berry) assurent vaillamment leur partie, Julie Pasturaud, au premier chef, qui, en Enrichetta, fait découvrir des moyens consistants qu’on aura plaisir à réentendre ailleurs.
Le Giorgio de Nicolas Courjal ne convainc pas de son adéquation à ce style d’emploi où son type de voix, loin d’être celui de la basse chantante indispensable ici (on songe que Lablache, le créateur, chantait Assur dans Semiramide et Henri VIII dans Anna Bolena et devait donc savoir particulièrement vocaliser…), se réfugie souvent dans une sorte de mugissement dans les graves et se garde d’effectuer les aigus les plus périlleux et pourtant attendus (à la fin de la cabalette avec le baryton, « Suoni la tromba »). De même, Jean-François Lapointe, dont on admire par ailleurs la noblesse du phrasé, et malgré quelques fulgurances bienvenues dans l’aigu, n’a pas l’agilité adéquate dans ce rôle écrit pour une voix souple dans la vocalise, qui en fait le véritable « binôme », en baryton, d’Arturo.
Ce dernier est incarné par le ténor chinois Yijie Shi que l’on avait personnellement découvert dans Tancredi sur cette même scène et qui nous avait déjà impressionné. Dès son entrée dans la cavatine angélique « A te, o cara », on ferme les yeux et on part bien loin…peut-être dans « l’Age d’Or » d’un chant romantique qui, ce soir, avec ce ténor à la technique vocale totalement « latine », nous est restitué. Avec ce chant, aucune surprise désagréable dans les notes de passage de la voix de poitrine vers la voix de tête et le suraigu: tout semble couler de source…même si M. Shi se montre prudent et préfère doubler son contre-ré dans « Credeasi, misera » plutôt que de donner le contre-fa attendu mais optionnel. En outre, quel style élégant, fait à la fois d’une sobre rigueur et d’un raffinement dans chaque mot parfaitement ciselé ! A quand un prochain engagement ???
C’est, enfin, évidemment Elvira qui est attendue dans le quatuor des Puritani. On a d’emblée plaisir à constater que la voix de Jessica Pratt a pris, depuis sa dernière incarnation à Marseille (Semiramide), une ampleur bienvenue, en particulier dans le médium, même si l’interprète pourra encore gagner en assise dans le grave. Jessica Pratt est, en outre, capable de vocaliser avec brio, se permettant des variations risquées qu’elle aborde avec intelligence, alternant notes piquées ou lancées à pleine voix et n’ayant aucun mal à passer la rampe, au-dessus des chœurs . De plus, l’artiste est investie dans son rôle, chanté sans partition, et évolue avec beaucoup de grâce et un sourire qui ne la quitte que pour les besoins du rôle.
Une soirée à marquer donc d’une pierre blanche dans les Annales du théâtre de la place Reyer… et qui viendra donc s’agréger aux souvenirs des temps immémoriaux de l’art lyrique… !
Hervé Casini
5/11/2019