Après le retentissant succès de Nabucco à La Scala de Milan en 1842, Giuseppe Verdi fut à nouveau invité par Bartolomeo Merelli à composer, pour ce théâtre qu’il dirigeait alors, un nouvel opéra et, un peu moins d’un an après, y était affiché I Lombardi alla prima crociata du même librettiste, Temistocle Solera, d’après un poème de Tommaso Grossi, ami de l’écrivain Alessandro Manzoni. On critique souvent avec ironie le livret du Trouvère, truffé de rebondissements improbables et de multiples invraisemblances, mais cela n’est presque rien au regard de ceux du livret de ces Lombardi auquel on peut, en outre, reprocher un manque de cohérence dans la dramaturgie et aussi dans la consistance des personnages. Toutefois, force est de constater que l’œuvre recueillit un triomphe lors de sa création en février 1843 mais cela est sans doute davantage dû aux aspirations et au patriotisme du peuple italien qu’au sujet lui-même. Le célèbre « Va pensiero » fut quasiment l’hymne du « Risorgimento » et Verdi ne manqua pas d’en tirer les conséquences en proposant un nouveau chœur qui exaltait à nouveau la libération du joug de l’oppresseur avec « O Signore del tetto natio » (un an plus tard, à Venise, « Si ridesti il Leon di Castiglia » d’Ernani produira le même effet). De l’œuvre du maître de Busseto, les grands ensembles choraux ne sont pas pour rien dans la notoriété qu’il se forgea auprès d’un vaste public.
Et, dans la représentation monégasque, c’est encore le chœur (toujours fort bien préparé par Stefano Visconti) qui récolte, lors des saluts, de longs et légitimes applaudissements par une interprétation comme l’on en trouve seulement dans les grands théâtres internationaux. Il faut aussi souligner qu’il est soutenu par la splendide phalange de l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo, sous la baguette expérimentée de Daniele Callegari (ses Masnadieri comme son Otello in loco demeurent mémorables) qui confère aux accents de la partition de Verdi une pulsion qui ne se relâche à aucun moment empreinte à la fois de vigueur mais aussi de poésie dans les passages élégiaques. Le rythme du phrasé musical verdien est ainsi maintenu de la première à la dernière note comme le traitement des ensembles dont la précision n’exclut pas le rayonnement.
Il faut dire en outre que la distribution réunie pour la circonstance est d’un haut niveau (mais cela ne constitue pas un étonnement en Principauté ! ) et d’une parfaite homogénéité. L’excellente surprise a été constituée par Nino Machaidze. On se souvenait, d’une fort attachante Juliette entendue aux Arènes de Vérone dans l’œuvre de Charles Gounod. Mais ici le rôle de Giselda constitue un défi, un peu comme l’est celui d’Abigaille dans Nabucco, et requiert le déploiement de ressources d’un grand soprano dramatique à la manière d’une Giuseppina Strepponi. La cantatrice géorgienne (qui débuta dans rôle de Marie de La Fille du régiment) s’empare, pour la première fois, de cette Giselda qu’elle conduit au triomphe avec des moyens qui constituèrent, pour nombre d’amateurs d’art lyrique présents à ce spectacle, un vrai sujet de satisfaction au regard, non seulement de l’ampleur du volume mais encore par la maîtrise de toutes les difficultés que représente cet emploi, dans la longueur de la tessiture comme dans la puissance des notes extrêmes. Son entourage sait se hisser à cette hauteur avec notamment Michel Pertusi dont le legato, forgé au travers nombre d’œuvres belcantistes, fait ici merveille dans le rôle Pagano. Les deux ténors offrent des attraits différents : la vigueur chez Arturo Chacón-Cruz dans Oronte et la beauté intrinsèque du timbre chez Antonio Coriano dans Arvinio, tous deux pourvus d’un flamboyant registre aigu. On a aussi apprécié l’implication dramatique vocale la chaleureuse couleur vocale de Daniel Giulianini en Pirro.
La production est celle – remarquable – du Teatro Regio de Parme mise en scène par Lamberto Puggeli et reprise ici par Grazia Pulvirenti. Il y a dans ces Lombardi une grande succession de lieux et donc de tableaux qui sont parfaitement servis en la circonstance par des projections vidéo et des tulles transparents, ce qui assure à cette scénographie une parfaite fluidité.
L’œuvre a recueilli un très grand succès auprès du public qui était dans la salle avec les distanciations imposées par la crise sanitaire mais, au-delà, on se réjouit que l’Opéra de Monte-Carlo ait pu maintenir depuis le mois de novembre, grâce à la ténacité et à la clairvoyance de son Directeur Jean-Louis Grinda, le cap de sa superbe saison sans annuler aucune des œuvres lyriques programmées. Une rareté en Europe qui trouvera sans doute une brillante conclusion dans quelques semaines avec le Boris Godounov de Moussorgski dont on attend beaucoup.
Christian Jarniat