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Hulda de César Franck

Hulda de César Franck

dimanche 16 juillet 2023
© Palazzetto Bru Zane
Le Palazzetto Bru Zane, fidèle à sa politique de redécouvertes, vient d’enregistrer un opéra de César Franck (1822-1890), Hulda. Le compositeur n’est pas connu pour son œuvre lyrique. César Franck n’a composé que deux opéras, Hulda (1879-1885) et Ghiselle (1888-1890) qui n’ont été montés qu’après sa mort. Le premier a été créé à Monte-Carlo (sous la direction de Raoul Gunsbourg) en 1894, 9 ans après son achèvement. Le « poème » est tiré d’un drame éponyme de Bjørnstjerne Bjørnson par Charles Grandmougin. 
On s’est demandé pourquoi César Franck n’est venu que tardivement à l’opéra, et seulement pour deux opus (après quelques tentatives avortées dans sa jeunesse). L’effervescence musicale des années 1880 a pu le conduire à vouloir s’inscrire dans le débat lyrique dominé par le wagnérisme (bien qu’il n’ait sans doute connu l’œuvre du compositeur allemand que par des extraits ou des lectures de partitions). Ce qu’on peut dire c’est que Hulda (4 actes et un épilogue) a l’ampleur d’un ouvrage de type Meyerbeer ou Wagner. Il prend sa place dans le périmètre musical et opératique des deux dernières décennies du XIXe siècle où figurent Sigurd d’Ernest Reyer, Le Roi d’Ys d’Édouard Lalo, Fervaal de Vincent D’Indy, Guercoeur d’Albéric Magnard, Le Roi Arthus d’Ernest Chausson. Ce répertoire à la fois divers et homogène renoue avec le grand opéra historique mais surtout tranche avec l’opéra demi-caractère (Gounod, Massenet) dans lequel on voyait parfois une nouvelle voie pour l’art lyrique. 

Une action terrifiante

En Norvège au XIe siècle la famille de Hulda (les Hustawick) vient d’être défaite par celle des Aslaks qui a à sa tête Gudleik. Son père a été massacré et elle-même conduite chez les ennemis. Elle jure de se venger.
Deux ans plus tard sur le point de se marier avec son ravisseur bien qu’éprise de Eiolf, un chevalier de la cour du roi, Hulda décide d’accorder sa main à celui qui, du fiancé ou du prétendant, l’emportera dans un duel. Gudleik est tué et Hulda gagne la main de son rival. 
Les deux amants doivent dissimuler leur amour, d’autant plus qu’Eiolf était promis à Swanhilde. Ils décident de partir pour l’Islande. Aslak en voulant inverser le destin tue son propre fils Arne croyant se débarrasser d’Eiolf.
Swanhilde et Eiolf se rappellent leurs serments d’autrefois. Hulda ne pouvant supporter la trahison de celui qu’elle aime se tourne vers les Aslaks qui voient une occasion de venger la mort de leur frère. 
Au moment où Eiolf retrouve Hulda et renonce à elle, les Aslaks le frappent. Hulda peut échapper à leurs coups et, exfiltrée par la garde d’Eiolf, se jeter dans la mer pour trouver la paix.

Un ouvrage inspiré par les paysages nordiques

Par sa dimension spectaculaire, ses revirements, ses coups de théâtre Hulda fait penser aux blockbusters modernes. Chaque acte a sa part de violence, ménage des surprises, cultive l’ellipse, évitant d’ailleurs toute longueur. Comment interpréter que Hulda enlevée au 1er acte se prépare à devenir au second l’épouse de son ravisseur, sans qu’on sache le niveau d’emprise ? Une scène nuptiale vire à la terreur. Un père tue son fils par erreur. Un duel simulé cache un âpre combat entre deux rivaux. Jusqu’à l’épilogue où l’héroïne n’est exfiltrée qu’en vue de son suicide le rythme ne faiblit pas. Hulda n’est guidée que par son désir dévorant de vengeance et son amour déçu pour Eiolf, le chevalier versatile de la cour. 
La partition évoque à la fois des sentiments contrastés et intenses, des scènes festives (avec marche), mais aussi les paysages nordiques. Le Chœur des pêcheurs au 1er acte comme dans l’épilogue a bien plus qu’une fonction décorative, tout comme la « Chanson de l’Hermine » qui ouvre l’acte II. L’évocation du printemps revient à plusieurs reprises et notamment dans un long ballet allégorique où la saison du renouveau lutte avec l’Hiver. Dans son superbe arioso (« Heure chérie ») Hulda avant de porter sa pensée vers son amant évoque la tombée de la nuit. « Son dur cœur se fond sous la majesté attendrie de la nuit », écrit Alfred Bruneau, admirateur de la partition de Franck. Dans une autre déclamation (« Mes enfants ») Gudrun, la mère des Aslaks, rattache son angoisse à l’esprit des lieux. Il faudrait évoquer les ensembles notamment ceux où les fils Aslaks joignent leurs voix et les deux grands duos où Eiolf déclare sa flamme à Hulda (« C’est lui, j’entends ses pas »), puis à Swanhilde (« Hélas ! »).

L’exigeante distribution

C’est Jennifer Holloway qui incarne Hulda, l’héroïne omniprésente de l’opéra. C’est en s’appuyant sur des rôles de travesti et de mezzo soprano par lesquels elle a commencé sa carrière qu’elle a pu élargir sa voix aux emplois de soprano dramatique et de Falcon. On la retrouve actuellement sur la scène internationale chez Wagner et Richard Strauss. Jennifer Holloway grâce à une voix ample, surplombante, aux harmoniques riches et signifiantes répond aux affects d’un personnage hors normes aussi bien dans ses aspects sombres qu’exaltés. Elle est entourée par trois remarquables chanteuses. Judith van Wanroij est une frémissante Swanhilde dans le discours concertant, puis rayonnante dans son duo avec Eiolf. L’élocution et le phrasé délié de Véronique Gens sont ceux qui conviennent au rôle intériorisé de Gudrun, notamment mis à l’épreuve dans son arioso poignant de l’acte II. L’effroi de la mère de Hulda est traduit avec une très grande force par l’excellente Marie Gautrot. Belle prestation aussi de Ludivine Gombert.
Edgaras Montvidas déploie un timbre plein d’aisance et de projection, aux accents chaleureux, qui rend justice au rôle d’Eiolf dont le grand écart sentimental caractérise une psychologie inhabituelle, même à l’opéra. Matthieu Lécroart exprime les traits mordants d’un Gudleik violent et amoureux malvenu. Aslak revient au convaincant Christian Helmer. Les nombreux petits rôles sont tenus par des interprètes connus et souvent distribués dans des premiers plans ; ils sont amenés à s’impliquer dans le dialogue théâtral, mais aussi à joindre leurs voix dans des passages où ils font corps ; Artavatz Sargsyan, François Rougier, Sébastien Droy, Guilhem Worms, Matthieu Toulouse sont tous pertinents dans leur apport au drame.
L’Orchestre Philharmonique Royal de Liège et le Chœur de Chambre de Namur dirigés par Gergely Madaras sont tout à fait à leur aise pour restituer une partition dont ils justifient pleinement la redécouverte et qu’ils font resplendir dans son rythme, ses couleurs, son dramatisme. On n’attend plus que de voir cet ouvrage porté à la scène.

Didier Roumilhac

César Franck, Hulda, Palazzetto Bru Zane, Collection « Opéra français », livre disques, 3 CD, enregistrement réalisé du 17 au 20 mai 2022, autour de 34 €

 

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