Hänsel und Gretel d’Engelbert Humperdinck est, depuis sa création à Weimar le 23 décembre 1893, l’un des opéras les plus joués dans les pays germanophones au moment des fêtes de fin d’année. Le livret, basé sur le célèbre conte que les frères Grimm publièrent en 1812, a été rédigé par la sœur du compositeur, Adelheid Wette, qui a conservé des passages rimés particulièrement heureux empruntés aux deux collecteurs de contes. Le plus célèbre de ces bouts rimés est celui du grignotage de la maison de la sorcière par les deux enfants. « Knusper, knusper, kneuschen ! | wer knuspert an meinem Häuschen ? » (Qui grignote ma maison ?) demande la sorcière, ce à quoi les enfants répondent : « Der Wind ! der Wind !das himmlische Kind ! » (C’est le vent, le divin enfant).
La Volksoper de Vienne offre à notre connaissance une des plus belles mises en scène de cet opéra. Elle est due au talent du regretté Karl Dönch (1915-1994), un baryton basse qui fit toute sa carrière à l’opéra, d’abord comme chanteur au Wiener Staatsoper ou au Festival de Salzbourg. puis comme metteur en scène. Il connaissait parfaitement bien l’opéra de Humperdinck pour avoir interprété la sorcière Grignote (une bonne traduction de la Knusperhexe) à partir de 1948 à l’Opéra de Vienne, avant de créer sa mise en scène au Volksoper en 1985. Karl Dönch s’est inspiré de la tradition romantique et a livré une féerie d’une beauté et d’un attrait indémodables. Cela fait près de quarante années que l’Opéra populaire de Vienne fait salle comble avec cette production, attirant un public d’enfants tout aussi fascinés et amusés que leurs aînés. Hänsel und Gretel est sans doute la meilleure initiation qui soit à l’opéra, concurrencée presque en partie égale par la Flûte enchantée de Mozart souvent programmée à la même époque. La Volksoper conseille l’opéra-conte à partir de six ans.
Les décors de Toni Businger sont des plus réussis. Au premier acte, la pauvre masure du balaitier Peter et de sa femme Gertrude est présentée en coupe transversale, ouverte à tous vents et aux morsures du froid hivernal avec son toit percé et ses carreaux cassés, avec sa huche aussi vide que le ventre des enfants. La maison est en bordure d’une forêt de sinistre réputation car depuis des années des enfants y disparaissent sans laisser de traces. Le décor du deuxième acte représente la forêt enchantée dans laquelle Hänsel et Gretel se sont perdus et ont fini par s’endormir suite à l’intervention du marchand de sable, protégés d’un sort funeste par quatorze anges venus les réconforter. Ils sont réveillés par le marchand de rosée. Pendant l’ouverture du troisième acte, les arbres s’écartent pour laisser s’avancer la maison de la sorcière, dont on ne voit que la façade faite de plaques de pains d’épices, flanquée d’un côté d’un four rougeoyant, de l’autre d’une cage. De part et d’autre de la maison, des figures de pain d’épices ont la taille d’un enfant, on devine qu’il s’agit des enfants disparus. Par deux fois on assiste au vol de la sorcière juchée sur son balai. Elle effectue un premier vol en fond de scène, puis un vol au-dessus de la fosse d’orchestre. C’est un mannequin de sorcière qui traverse l’avant-scène sur une corde tendue entre deux loges. La suite est bien connue : Gretel contrainte de servir la sorcière parvient à libérer Hänsel, les deux enfants précipitent l’ogresse dans son four, puis désensorcèlent les enfants qui recouvrent la vie, la vue et la liberté. Les costumes sont eux aussi de Toni Businger et tout aussi charmants et traditionnels que ses décors : les femmes et les fillettes en Dirndl, la tenue des paysannes alpines, et les hommes en Tracht, avec, — pauvreté oblige, — des vestes rapiécées pour Peter et son fils.
La musique est tout aussi jubilatoire. Engelbert Humberdinck a lui-même commenté son ouverture dans une lettre adressée à Hermann Wette le 16 décembre 1891 : ” L’ouverture, qui est devenue une pièce musicale assez longue, une sorte de prologue symphonique que l’on pourrait intituler « La vie des enfants ». Elle commence par le choral de l’ange gardien, interprété par des cors, puis passe à « Hokus pokus », qui doit à son tour céder la place à la mélodie « Die Englein haben’s uns im Traum gesagt’s » (Les petits anges nous l’ont dit dans notre rêve), à laquelle succède maintenant joyeusement « Die Hexerei ist nun vorbei » (La sorcellerie a pris fin) dans un joyeux Mi majeur. Puis le choral retentit à nouveau, qui s’associe maintenant de manière organique à la mélodie « Die Englein haben’s etc. » et se conclut brillamment par le triomphant « Die Hokus-Pokus-Hexerei ist nun vorbei » en Do majeur. C’est un peu bruyant, mais « sunt pueri pueri, pueri puerilia tractant » (les enfants sont une fois des enfants, en tant qu’enfants ils font des choses puériles) et seule la trompette convient à la voix grossière des garçons ».
Après avoir été première cheffe invitée, la cheffe d’orchestre (Kappelmeisterin) Keren Kagarlitsky préside aux destinées musicales de la Volksoper de Vienne depuis le 1er janvier 2024. Sa direction est tout à la fois éloquente, pleine de verve, émouvante et jubilatoire. Les chanteurs et les chanteuses de la troupe sont tous d’excellents comédiens, la mise en scène en exige beaucoup sur le plan du jeu théâtral, ils doivent faire preuve d’une grande expressivité pour dresser des portraits compréhensibles aux traits forcés accessibles au public enfantin, surtout pour les rôles masculins et pour celui de la sorcière, souvent chantée par un homme. Josef Wagner dans le rôle de Peter réussit une belle composition d’un père éméché à son retour du marché où il a, une fois n’est pas coutume, réalisé de belles ventes. Annelie Sophie Müller dresse le portrait d’un Hänsel boute-en-train et effectue quelques belles cabrioles. La jeune soprano Hedwig Ritter apporte les clartés de son soprano pour composer une Gretel attachante et charmante, avec déjà le sens des responsabilités d’une jeune femme. La sorcière Grignote affublée de mains aux doigts surdimensionnés est chantée par Karl-Michael Ebner, un rôle de caractère de fort belle composition auquel il apporte sa voix de ténor très pimentée pour la circonstance. La solide Gertrud de la mezzo-soprano estonienne Annely Peebo est elle aussi de belle facture.
Les applaudissements et les trépignements enthousiastes et joyeux des enfants dans l’assistance sont la meilleure reconnaissance que pouvait recevoir le travail remarquable de tous ces artistes et de ceux qui les ont préparés et dirigés.
Luc-Henri ROGER
23 décembre 2024
Cheffe d’orchestre : Keren Kagarlitsky
Mise en scène : Karl Dönch
Décors et costumes : Toni Businger
Préparation du chœur : Andrés García et Brigitte Lehr
Distribution :
Peter, relieur de balais : Josef Wagner
Gertrude, sa femme : Annely Peebo
Hansel : Annelie Sophie Müller
Gretel : Hedwig Ritter >
La sorcière Grignote Karl-Michael Ebner
Le marchand de sable : Camila Aguilera Yáñez
Le marchand de rosée : Mira Alkhovik
Les enfants en pain d’épices : Chœur des jeunes de l’Opéra populaire de Vienne