L’opéra Hansel und Gretel d’Engelbert Humperdinck inspiré du conte de fées écrit par les frères Grimm est souvent représenté autour des fêtes de Noël. À Munich, le Théâtre de la Gärtnerplatz a repris l’opéra d’Engelbert Humperdinck dans la mise en scène qu’y avait créée en 1974 Peter Kertz dans les décors féeriques de Hermann Soherr, qui a également conçu les costumes. La période de Noël est une bonne occasion pour lire le conte aux enfants ou pour leur faire découvrir l’opéra : la maison de la sorcière cannibale est faite de pains d’épices (les fameux Lebkuchen de Nuremberg ou les Aachener Printen d’Aix-la-Chapelle), à l’instar de ceux que l’on voit sur les marchés de Noël bavarois.
Engelbert Humperdinck a composé sept opéras, mais seul Hänsel et Gretel, créé à Weimar juste avant la Noël 1893 sous la prestigieuse baguette de Richard Strauss, a connu un certain succès. Le compositeur a profité des leçons de Richard Wagner dont il a été l’assistant à partir de 1880. L’orchestration d’Hänsel et Gretel rappelle certaines pages de Parsifal ou du Crépuscule des dieux. À l’instar de Wagner, Humperdinck a le sens du leitmotiv et sait l’art du développement. Il recourt aussi à l’intégration de chants populaires traditionnels.

Le succès de la mise en scène de Peter Kertz tient, entre autres, à la parfaite lisibilité de l’action, ce qui, dans le cas qui nous occupe, convient bien à un public jeune ou très jeune : la mise en scène et les décors offrent des repères coutumiers aux enfants qui retrouvent l’imagerie des contes de fée et servent le déroulement de l’action sans les désorienter, elle entretient le rêve, avec quelques moments particulièrement réussis comme le ballet des 14 anges protecteurs, le vol aérien du marchand de rosée et celui de la sorcière anthropophage, la crémation de l’ogresse ou la résurrection des myriades d’enfants que l’horrible cannibale avait engraissés avant de les déguster, la transformation de la sorcière qui à la cuisson se transforme en un immense biscuit à sa taille qui semble avoir la dureté d’une couque de Dinant. La sorcière est une vraie sorcière qui vole dans les airs grâce à son balai magique et des flammes de théâtre tout aussi vraies jaillissent de la cheminée du four dans lequel elle a été précipitée. La musique d’Humperdinck recourt souvent à la mélodie populaire et c’est là un art bien assimilable pour de jeunes oreilles. L’œuvre est élégante et ferme, d’une grâce touchante, établie sur des rythmes enjoués, harmonisée avec soin. L’instrumentation est pleine de ressources, de trouvailles, d’ingéniosités. Et toutes ces belles qualités sont bien mises en valeur par l’orchestre du Theater-am-Gärtnerplatz dirigé par Michael Balke, premier chef invité du théâtre depuis la saison 2023/2024.
C’est la soeur d’Engelbert Humperdinck, Adelheid Wette, qui a tiré un poème de la fable du petit poucet allemand, arrangée par les frères Grimm. Ici, plus d’Ogre, plus de bottes de sept lieues ni de cailloux blancs, l’historiette a été simplifiée et, dès le commencement, un détail vaut d’être noté : les enfants ne sont point perdus par leurs parents, ils sont envoyés cueillir des fraises dans la forêt par leur mère dans un coup de colère.

Le premier acte se passe dans le petit logis, sombre et misérable, de Peter, marchand de balais de son état et père de Hänsel et Gretel. Gretel tricote, assise sur une table comme sur un perchoir, Hänsel est occupé à faire des balais. Ils chantent pour tromper la faim : la chanson du petit garçon finit dans les larmes, et la petite fille a toutes les peines du monde à le consoler. La mère rentre, grognonne, mécontente, sans une tartine à distribuer aux mioches, et, après avoir gratifié Hänsel et Gretel d’une bonne gifle, elle les envoie dans la forêt cueillir des fraises pour le souper. La pauvre mère est désespérée; elle l’est plus encore quand le père revient à son tour légèrement éméché et disposé à faire bombance. Mais pourquoi pleurer et geindre ! C’est jour de fête ! Il a vendu quelques balais, et il a acheté des œufs, du lard et des pommes de terre ! Que la joie soit dans la maison !
Où est la marmaille? La marmaille? Elle cueille la fraise dans les sentiers de la forêt. Par cette nuit sans étoiles ? Oui ! — Femme, femme, tu as donc oublié que l’Ogresse rôde à la brune, en quête d’enfants bien tendres et bien gras ! O les chers petits ! Courons les défendre contre les sorcières chevaucheuses !

Au deuxième acte, nous sommes dans la forêt. Hänsel et Gretel sont perdus, et ils se consolent tant bien que mal en mangeant les fraises qu’ils ont cueillies, et en écoutant le coucou dans la hêtraie. La nuit s’étend peu à peu sur le bois, et voici que dans la brume un petit homme apparaît, un sac sur l’épaule. C’est le marchand de sable. Deux grains de sable dans les yeux, et le sommeil s’empare des enfants et des oiseaux. Hänsel et Gretel font vite leur prière ; ils se laissent tomber sur la mousse, et s’endorment bientôt aux bras l’un de l’autre. Tout à coup, le brouillard se transforme en une merveilleuse clarté, et les Anges gardiens, vêtus de robes claires et traînantes, descendent deux par deux l’escalier de nuages et se placent de chaque côté des enfants endormis.
Le troisième acte est celui de la vilaine sorcière ogresse. Le petit marchand de rosée tenant à la main une campanule a secoué des gouttes fraîches et claires sur le front de Gretel qui se frotte les yeux, secoue son frère, et lance des tirelires au matin joli. Les sapins s’entrouvrent pour laisser place à la maison de Grignotte (Knusperhexe, la sorcière aux biscuits croustillants), toute luisante de soleil et décorée de pains d’épices. Hänsel se précipite sur la maison de gâteau, et Grignotte (le nom français de la Knusperhexe, que l’on trouve dans la traduction du texte de l’opéra publiée par Catulle Mendès, un wagnérien français de la première heure), comme si elle attendait ce mouvement d’affamé, s’avance à pas de loup, et jette une corde autour du cou des enfants. Ah, les bons petits ! Comme ils seront bons, rôtis ou cuits sous la cendre. Déjà l’Ogresse se réjouit, et prononce les paroles cabalistiques qui fascinent ses victimes : ” Bokus, pokus, bonus, jocus, malus, lacus! » Mais Grignotte a affaire à forte partie. Pendant qu’elle fait manger Hänsel, Gretel reproduit l’incantation : “Bokus, pokus”, et, lorsque Grignotte ouvre la porte de son four pour voir si la pâte est cuite, c’est elle que Gretel y enfonce d’une violente poussée. Un craquement formidable se fait entendre. Le four s’effondre avec fracas. La haie de bonshommes en pain d’épices est remplacée par une haie de petits garçons et de petites filles, ceux-là même qu’on croyait disparus à jamais et qui étaient tombés aux mains griffues de la sorcière. Tout ce petit monde saute de joie. Le Père et la Mère surviennent, et c’est un embrassement général.

Les décors et les costumes d’un beau camaïeu de bruns et de beiges contribuent pleinement à la magie du spectacle. La misérable masure délabrée de Peter pourrait servir de crèche de Noël. Hermann Soherr a su rendre l’atmosphère d’une forêt enchantée aux profondeurs magiques baignée par les lumières changeantes de Jakob Bogensperger. Un grand arbre creux un peu effrayant révèle en son sein des êtres surnaturels et la cabane de pain d’épices serait vraiment délicieuse si elle n’était l’appât fallacieux qui attire les enfants affamés.
Le baryton-basse autrichien Alexander Grassauer prête sa voix puissante dotée de belles profondeurs au pauvre marchand de balais Peter, tout heureux d’avoir fait affaire au marché, la seule voix grave d’une partition composée pour sopranos et mezzo-sopranos.
Alexandra Reinprecht chante sa femme Gertrud, avec un excellent jeu de scène dans son interprétation d’une femme que la misère et les soucis rendent colérique.

Sophia Keiler donne une prestation éblouissante en Gretel avec son beau soprano clair et léger, parfaitement projeté. La mezzo-soprano autrichienne Anna-Katharina Tonauer donne le change en se glissant dans la peau de Hänsel, un rôle en pantalon réussi.

Pour le rôle de la sorcière, le théâtre propose cette année une distribution mixte, deux ténors travestis, Juan Carlos Falcón et Caspar Krieger le chantent en alternance avec la mezzo-soprano grecque Anna Agathonos. Le grimage de la sorcière est particulièrement soigné et réussi ! Enfin, l’excellent et ravissant chœur d’enfants du théâtre contribue pleinement à l’enchantement de la soirée.
Toutes les fantaisies merveilleuses des contes de fée animent de façon délicieuse cette idylle enfantine qu’une musique admirable a propulsé au rang des chefs-d’œuvre de la scène allemande. L’opéra convient parfaitement bien au public enfantin. Engelbert Humperdink leur a offert une musique accessible et charmante, chantant les rondes et les vieux chants populaires dans leur mélodie propre, tout en les accompagnant d’une trame harmonique magistralement composée : “un vrai drame lyrique, écrit avec un art extrême, bourré de contre-points ingénieux et d’une facture musicale transcendente.” (Le propos est du Vicomte de Colleville qui avait assisté à la première en français de l’opéra en 1898 à la Monnaie de Bruxelles).
Luc-Henri ROGER
Distribution du 23 décembre 2025
Direction musicale Michael Balke
Mise en scène d’après Peter Kertz
Décors / costumes Herrmann Soherr
Peter Alexander Grassauer
Gertrud Alexandra Reinprecht
Hänsel Anna-Katharina Tonauer
Gretel Sophia Keiler
La sorcière Caspar Krieger
Le marchand de sable Tamara Obermayr
Le marchand de rosée Mina Yu
Chœur d’enfants et figurants du Staatstheater am Gärtnerplatz
Orchestre du Staatstheater am Gärtnerplatz







