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Gustav MAHLER : Symphonie N°IX en ré mineur – ORCHESTRE NATIONAL DE LYON – AUDITORIUM MAURICE RAVEL

Gustav MAHLER : Symphonie N°IX en ré mineur – ORCHESTRE NATIONAL DE LYON – AUDITORIUM MAURICE RAVEL

samedi 9 mars 2024

Salle de l’Auditorium Maurice-Ravel avec l’Orchestre National de Lyon ©  Julien Mignot

Depuis sa prise de fonction en septembre 2020, Nikolaj Szeps-Znaider place clairement Gustav Mahler parmi ses préoccupations prioritaires. L’atroce pandémie Covid 19 a, certes, pu handicaper ses planifications. Néanmoins, bon an mal an, notre actuel directeur musical s’achemine vers un panorama des symphonies, complétant par paliers son exploration. Faisant fi de la chronologie, il s’attaque aujourd’hui à la dernière partition achevée par le compositeur autrichien dans ce domaine. Or, ces soirées consacrées à la 9ème ne constituent – sauf erreur – que la troisième occasion d’entendre l’œuvre à Lyon1. En effet, la création locale n’eut lieu que fort tardivement, dans le cadre de l’intégrale voulue par Emmanuel Krivine entre 1991 et 1994, où il partageait la baguette avec plusieurs confrères, dont Eliahu Inbal et Neeme Järvi. Ensuite, bond jusqu’en février 2019, où l’on entendit l’ultime exécution à l’Auditorium, mais quelle ! Rien moins que les Wiener Philharmoniker en tournée, dirigés par Ádám Fischer ! La barre reste donc placée très haut, ce qui peut s’avérer redoutable, même à cinq ans de distance.

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Orchestre National de Lyon © Fred Mortagne

Quoique l’euphorie univoque l’emporte sur le mystère, il convient de rectifier le tir

Compte-tenu du précédent historique, avec une audition antérieure au zénith, il va de soi que l’étalonnage se doit d’être recalibré, au moins pour éviter de pédantes rudesses de jugement.

Après la plus vaste fresque symphonique d’Anton Bruckner dirigée par Simone Youg en février dernier2, l’O.N.L affronte donc une autre colossale partition, produite par son disciple le plus illustre. Trente ans ayant passé depuis la dernière lecture de cette 9ème de Mahler, l’on imagine l’effort d’assimilation qu’un orchestre renouvelé à plus de 50% au moins doit fournir pour la dominer. Il en va de même pour son chef qui, à notre connaissance, effectue sa prise de baguette pour cet ouvrage précis. Szeps-Znaider avait, l’an passé, un peu déçu l’attente avec la 3èmedu même Mahler3. Nous appréhendions donc la façon dont il allait se colleter avec son autre symphonie en mineur, nécessitant une hauteur de vue autant qu’une maturité exceptionnelles. Afin de ne pas rater cette œuvre crépusculaire, une véritable implication doit s’affirmer dès le 1er mouvement – Andante comodo – malgré l’apparente sérénité qui s’en dégage. Admettons que le chef y parvienne, grâce à une authentique ferveur, décelable chez tous les pupitres et au gré d’interventions solistes constamment saillantes. En revanche, les différents plans sonores restent encore insuffisamment stratifiés pour que l’interprétation fonctionne à 100%. Fondamentalement à l’aise dans le fondu straussien (Ein Heldenleben le confirmait récemment4), Szeps-Znaider a plus de mal avec l’écriture mahlérienne exigeant une définition accrue des groupes dans la restitution phonique. Or, il demeure ici ancré dans une confuse conception straussienne, enveloppante, voire enivrante, plus que méditative. Du coup, les satisfactions se situent principalement dans l’hédonisme sonore. Sur ce plan, l’auditoire reste comblé : cordes soyeuses – sinon viennoises de style – dans la section centrale retenue à souhait ; clarinettes remarquables (jouant bien pavillon haut – comme plus tard les cors – aux moments indiqués) ; hautbois et cor anglais onctueux menés par Clarisse Moreau ; bassons et contrebasson d’une somptueuse présence ; cuivres implacables guidés par des cors philologiques ; trompettes impérieuses ; et quels trombones et tuba royaux ! Quoique l’euphorie univoque l’emporte sur le mystère, il convient de rectifier le tir et coller davantage à toutes les facettes du propos, le plus hétérogène qui soit dans toute la production de l’auteur.

Fabuleux moment de temps suspendu vécu après l’ineffable pppp conclusif

À force de se trouver séduit mais pas saisi, l’on appréhendait la restitution du Ländler formant la substance du 2ème mouvement. Pourtant, l’intérêt s’aiguise dès la section initiale, d’un franc relief. Là où l’on craignait la (si fréquente sur le vif !) improbable contrefaçon du Menuet de Masques & Bergamasques de Gabriel Fauré, l’on entend des aspérités stupéfiantes d’alacrité où l’ensemble des cordes se déchaîne. L’entendement devient manifeste et l’on entre au cœur du sujet. Très différente de celle adoptée par Ádám Fischer, cette vision se hisse à un niveau comparable. La parfaite mise en place concourt à une réussite, un chef-d’œuvre d’humour sarcastique où le second degré affleure sans cesse. Il ouvre même d’inopinées perspectives sur Schœnberg, la petite harmonie donnant délicieusement dans le goguenard mais sans insister sur le grinçant. Admettons que si la filiation future – notamment trouvable dans l’Allegretto de la 5ème de Dimitri Chostakovitch – demeure moins évidente que de coutume, une véritable conception s’impose dorénavant en évidence, discutable mais captivante.

Techniquement parlant, la restitution du Rondo-Burleske Allegro assai en la mineur n’appelle aucun reproche, tant son dynamisme ou sa véhémence emportent l’adhésion. Des couleurs préfigurant Hindemith dans ses futurs ostinatos affleurent, ce qui ne nous avait jamais frappé auparavant. Cet éblouissement revendiqué frise le clinquant assumé présent chez Sir Georg Solti dans sa discutable intégrale. Il s’en faut de peu que Szeps-Znaider tombe dans le même travers, sauf que les sections plus intimistes s’avèrent ici mieux ressenties qu’avec le rutilant maestrissimo hongrois, son jeune confrère dévoilant une sensibilité dénuée d’affectation.

La fermeté d’attaque étonne positivement pour l’Adagio conclusif mais fait d’abord craindre un tempo trop pressé. Appréhension passagère, vite dissipée par un incontestable sens de l’articulation, conjugué à une ferveur intense, que l’on n’espérait pas si envoûtante côté legato. Les bassons et contrebasson (Olivier Massot en tête) apportent une pierre angulaire à l’édifice, tout comme les contrebasses (magistralement conduites par Botond Kostyák) déjà superlatives dans le Rondo, ainsi que les vaillantes percussions autour de Stéphane Pelegri.

Question solos dans ce parcours sans faute, n’oublions pas les mentions pour la flûte astrale d’Emmanuelle Réville, le noble cor de Guillaume Tétu, le violon divin de Giovanni Radivo ou la harpe généreuse d’Éléonore Euler-Cabantous secondée par sa consœur Marie Le Guern. Pardon à toutes celles et tous ceux que nous estimons mais ne pouvons matériellement citer.

Une telle œuvre exige qu’on la joue comme si la vie de chacun en dépendait. Force est d’attester que l’on y parvient avec une fière éloquence dans cet ultime mouvement, soit au terme d’un voyage qui, moyennant un petit effort, pourrait atteindre la sphère initiatique dès le départ (ce dont il faudra tenir compte en cas de reprise). Toutefois, le simple constat objectif d’une vision en pente douce mais constamment ascensionnelle donne satisfaction au terme d’un admirable travail, tant le souvenir d’une rude concurrence, quasi inapprochable, hantait encore ces lieux. Nous appelons en ce sens à la barre le fabuleux moment de temps suspendu vécu après l’ineffable pppp conclusif, rendu morendo comme rarement. L’émotion suscitée dans une salle bondée rejoint alors presque celle éprouvée jadis avec Claudio Abbado à Luzern, portant l’auditoire déjà en apesanteur au bord des larmes.

Patrick FAVRE-TISSOT-BONVOISIN

9 Mars 2024

1 NB : la première du présent programme a été proposée le jeudi 7 mars.

2 Voir dans nos pages “Concerts” de février la critique de P.F-T-B relative à la Symphonie N°VIII de Bruckner.

3 Consulter : https://resonances-lyriques.org/gustav-mahler-symphonie-niii-en-re-mineur-orchestre-national-de-lyon-auditorium-maurice-ravel/

4 https://resonances-lyriques.org/orchestre-national-de-lyon-auditorium-maurice-ravel-wagner-liszt-strauss/

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