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GUILLAUME TELL aux Chorégies d’Orange

GUILLAUME TELL aux Chorégies d’Orange

vendredi 12 juillet 2019
N Alaimo, J Devos photo Bruno Abadie
Nicolas Cavallier, Philippe Do, Nicola Alaimo, Annick Massis et Jodie Devos- Photos Philippe Gromelle

Pour fêter le 150ème anniversaire des Chorégies d’Orange, Jean-Louis Grinda a mis à l’affiche le « Guillaume Tell » de Rossini qui avait été représenté, avec une distribution quasiment identique, à l’Opéra de Monte-Carlo en janvier 2015. L’œuvre de Rossini est avant tout une sorte d’immense oratorio à la gloire de la patrie et de la nature qui se présente comme une suite de numéros pour les solistes alternant avec de grands ensembles choraux. On ne peut s’empêcher de penser, pour l’architecture opératique, au « Samson et Dalila » de Camille Saint-Saëns ou encore au « Nabucco » de Verdi. Et s’il existe un scénario, l’intrigue reste peu significative en l’absence d’un véritable conflit tragique comme l’écrit fort justement Piotr Kaminsky dans son ouvrage de référence : « Mille et un opéras », Guillaume se trouvant réduit à jouer les « autorités morales », sachant que la seule situation dramatique est la scène où le protagoniste doit tirer avec son arc sur la pomme posée sur la tête de son fils. Par ailleurs, Anselm Gerhard note dans « Die Verstädterung der Oper » qu’Arnold est le premier d’une longue lignée de héros incapables de prendre une décision. « Guillaume Tell » est certes une imposante œuvre épique mais bourrée de poncifs symptomatiques du « Grand Opéra » et le texte de Victor-Joseph-Etienne de Jouy et Hyppolite-Louis-Florent Bis peut légitimement paraître au public d’aujourd’hui comme quelque peu suranné à la manière des « anathèmes » proférés par les personnages. Si l’atmosphère champêtre s’avère attendrissante, Verdi saura faire tout aussi bien en 1849 avec « Luisa Miller ». Toutefois, le mérite de Rossini aura été, d’une part, d’ouvrir un chemin d’élection au bel canto romantique que poursuivront, avec bonheur, Bellini et Donizetti avec un tout autre charme élégiaque et, d’autre part, de donner une autre couleur au « Grand Opéra » à la française illustré, entre autres, par Meyerbeer qui produira, notamment pour l’Opéra de Paris, des œuvres d’un format long excédant les quatre heures avec ballets obligés.

Sur le plan de la scénographie on utilise désormais, sur l’immense plateau du Théâtre Antique, le procédé de la vidéo qui s’est installé comme la solution adéquate. Peut-on encore imaginer que l’on puisse ici manipuler encore d’immenses décors, nécessitant de longues pauses pour les changements de tableaux, une armée de techniciens, des problèmes d’entreposage et des coûts pharaoniques ? On peut aujourd’hui créer, grâce à ce système, des lieux évocateurs et même mobiles à l’aide seulement de vidéos et de lumières habilement mêlées. Le décorateur, en l’occurrence, Eric Chevalier, a pu concevoir de fort belles images, transformées en 3D par l’une des sociétés spécialisées dans cette technique. L’exemple du début de l’œuvre est particulièrement saisissant : on projette une carte de l’Helvétie qui, progressivement, s’agrandit jusqu’à situer, par un effet de focus, le village d’Altdorf et tout continue à se transformer ensuite sous nos yeux jusqu’à l’apparition d’un paysage agreste où les rochers montagneux se découpent sur un ciel serein. Plus tard, on sera transporté, en quelques secondes devant l’impressionnante forteresse austère de Gesler avec son parvis pavé, ses portes monumentales et ses fenêtres haut perchées. Il y aura même, à la fin de l’ouvrage, une spectaculaire tempête où les eaux du lac se déchaînent pendant l’orage, avant que tout ne s’apaise pour célébrer le retour du soleil et l’avènement de la liberté. Tout cela est parfaitement maîtrisé et plonge le spectateur dans une sorte de film à grand spectacle sans heurts ni coupures.

Dans ce remarquable écrin Jean-Louis Grinda propose une mise en scène qui tient compte d’un très important ensemble choral issu de la fusion du Chœur de l’Opéra de Monte-Carlo et de celui du Capitole de Toulouse auquel viennent s’ajouter les danseurs du ballet de l’Opéra Grand Avignon. Beau travail de mise en valeur, non seulement de ces masses mais aussi des très nombreux protagonistes dans un opéra dont on a souligné que l’action demeurait souvent statique ou se matérialisait par une succession de numéros confiés aux chanteurs.

Nicola Alaimo incarnait déjà le héros helvétique lors de la production monégasque. Entre temps, on a dit tout le bien que l’on pouvait penser du baryton sicilien qui avait fait forte impression à Monte-Carlo dans « I Masnadieri » de Verdi ainsi que dans son récent et électrisant « Rigoletto » à l’Opéra de Marseille. Doté d’une bonne prononciation française, son Guillaume Tell convainc par la puissance des moyens vocaux comme par la ligne châtiée de son phrasé. Celso Albelo est un Arnold solide qui a la mérite de faire, dans cet emploi, la synthèse entre la vaillance (dans un temps pas si ancien on confiait encore ce rôle à des ténors dramatiques) et la discipline belcantiste. Grâce à l’approfondissement esthétique du répertoire lyrique dans la deuxième moitié du XXème siècle, on est parvenu à réattribuer l’emploi d’Arnold à des ténors beaucoup plus « légers » dont l’exemple le plus significatif est celui de Juan Diego Florez (songeons que le créateur était Adolphe Nourrit, l’une des plus célèbres haute-contre de son époque, à qui Rossini avait confié le « Comte Ory » !). Celso Albelo démontre qu’il maîtrise complètement les deux facettes de ses illustres prédécesseurs avec une voix corsée, ample, puissante et capable d’émettre, sans la moindre difficulté, les notes aiguës dont est parsemée la partition, en respectant néanmoins le style belcantiste. Son air « Asile héréditaire », particulièrement attendu dans cet ouvrage, ne peut que combler les aficionados. Annick Massis, qui était elle aussi de la production monégasque, fait également étalage d’une technique bien en place (confirmant ainsi ses relativement récentes prestations de « Maria Stuarda » et « I Puritani ») avec un haut registre aigu toujours impeccable et une assise dans le grave peut-être un peu moins impressionnante (mais il est évident que nous sommes ici dans une enceinte dont les dimensions n’ont rien de comparable avec l’Opéra Garnier monégasque).

Tout le reste de la distribution constitue un sujet de satisfaction, notamment l’impétueux Gesler de Nicolas Courjal et le sobre Walter Furst de Nicolas Cavallier dont le timbre soyeux fait toujours merveille. Deux mentions toutes particulières doivent être décernées d’une part à Jodie Devos, absolument irrésistible d’un point de vue dramatique dans l’incarnation de Jenny le fils de Guillaume Tell et dont la voix se fait entendre avec aisance, y compris dans les grands ensembles qui concluent chacun des tableaux et d’autre part à Cyrille Dubois remarqué pour la coutumière perfection stylistique de son émission et de sa ligne de chant. Il faut saluer le Chœur de l’Opéra de Monte-Carlo uni à celui du Capitole de Toulouse, habilement coordonnés par Stefano Visconti. On a conservé quelques ballets dont la chorégraphie a été confiée à Eugénie Andrin qui sait, avec beaucoup de talent, incorporer ces séquences chorégraphiques dans l’action (on pense en particulier à la scène devant le palais de Gesler où les hommes sont malmenés et les femmes brutalisées par les soldats du tyran ainsi que les danses avec les enfants tout particulièrement réussies. Comme toujours, l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo brille à un niveau de grande phalange internationale sous la direction incisive et énergique du chef milanais Gianluca Capuano.

Christian Jarniat

12 juillet 2019

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