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Grimaldi Forum Monaco : Liverpool Oratorio, un défi grandiose relevé haut la main par l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo

Grimaldi Forum Monaco : Liverpool Oratorio, un défi grandiose relevé haut la main par l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo

dimanche 27 juillet 2025

©Michael Alesi / Palais princier

Musique classique ou univers musical de la musique pop des années 60 ?

Lorsque l’on découvre sur une affiche de concert l’annonce du Liverpool Oratorio avec en lettres bien visibles le nom de Paul McCartney, une interrogation s’impose d’emblée : n’y aurait-il pas là une sorte de paradoxe, presque une « provocation culturelle » dans une tentative – à priori antinomique – destinée à attirer artificiellement un public élargi ? Le nom de McCartney évoque instantanément l’univers de la musique pop des années 1960, celui des Beatles, des tubes planétaires, d’une révolution musicale à la fois joyeuse et rebelle. À l’opposé, l’oratorio est par essence une forme musicale issue de la tradition classique, codifiée, souvent spirituelle, mobilisant un orchestre symphonique, des chœurs massifs et des solistes issus du monde lyrique.

Cette juxtaposition soulève plusieurs interrogations : le public mélomane, habitué aux oratorios de Haendel, Mendelssohn ou Britten, n’éprouvera-t-il pas une certaine méfiance devant l’incursion d’un musicien de variété dans ce genre noble ? Et, à l’inverse, les amateurs de pop rock, séduits par le seul nom de McCartney, ne risquent-ils pas d’être déconcertés par la forme même de l’oratorio, par sa durée, son instrumentation, son langage musical et vocal ?

C’est donc une équation délicate qui se pose en termes de réception : deux univers esthétiques que tout semble opposer peuvent-ils se rencontrer dans une salle de concert sans se heurter ou se trahir ?

Et pourtant, le constat est là : la grande salle du Grimaldi Forum de Monte-Carlo affichait complet en cette soirée du 27 juillet ( à laquelle assistait le Prince Albert II). Un public dense, mêlé, curieux sans doute de voir comment l’un des plus célèbres musiciens populaires du XXe siècle allait dialoguer avec les codes de la musique dite savante.

Cette affluence, qui pourrait surprendre, interroge précisément sur la réussite – ou non – de cette entreprise artistique apparemment hybride. Car Liverpool Oratorio n’est pas une simple incursion d’un « Beatle » dans l’univers symphonique : c’est une œuvre ambitieuse, portée par une collaboration avec Carl Davis, conçue en 1991 pour les célébrations du 150e anniversaire du Royal Liverpool Philharmonic Orchestra (première représentation en 1991 à la cathédrale de Liverpool, avec des artistes renommés comme Dame Kiri Te Kanawa et Jerry Hadley) et qui raconte, à travers une structure oratorienne classique, une autobiographie stylisée d’un enfant de Liverpool, reflet de l’Angleterre de l’après-guerre.

L’œuvre est divisée en huit mouvements retraçant la vie d’un homme ordinaire – Shanty – depuis sa naissance en 1942 à Liverpool jusqu’à sa maturité, en miroir de la jeunesse de Paul McCartney. Le livret, coécrit avec Carl Davis, sur la condition humaine, aborde successivement la guerre, l’école, le travail, l’amour conjugal et filial, les doutes et les crises, la paix. Liverpool Oratorio fait alterner passages lyriques (émotions, prières) et scènes dialoguées plus théâtrales (famille, école, conflit conjugal).

Cette simplicité du verbe évoque la sincérité populaire d’une œuvre à propos de laquelle on ne peut s’empêcher de penser à une sorte d’opéra du fait de sa construction et de sa progression dramaturgique en « tableaux ».

En concert l’œuvre parait fragmentée en dépit de la densité de son récit. C’est peut être la raison pour laquelle l’Opéra de Cincinnati a monté en 2024 Liverpool Oratorio en version scénique dans une mise en scène de Caroline Clegg pour en accroître l’impact dramatique et le crescendo.

Une œuvre éclectique aux diverses influences musicales

Les influences musicales du Liverpool Oratorio sont multiples et reflètent l’éclectisme assumé de Paul McCartney, compositeur issu de la culture populaire, mais désireux ici d’embrasser une forme musicale traditionnelle et exigeante.

Tout d’abord, l’œuvre s’inscrit dans la grande tradition britannique du chœur et de l’oratorio, dans la lignée d’Edward Elgar, Ralph Vaughan Williams et Benjamin Britten. On y retrouve la solennité des grandes fresques chorales, l’écriture contrapuntique parfois complexe, ainsi qu’un sens très anglais de la couleur orchestrale et du lyrisme retenu. On perçoit également l’influence de la musique religieuse notamment dans les passages choraux plus méditatifs, qui évoquent les répertoires liturgiques classiques, sans jamais imiter à la lettre les canons anciens.

Parallèlement, l’Oratorio emprunte de façon manifeste à l’univers de la comédie musicale anglo-saxonne, avec des accents qui rappellent tour à tour George Gershwin, Leonard Bernstein, Stephen Sondheim ou encore Andrew Lloyd Webber. Ce mélange confère à l’œuvre une accessibilité directe, parfois proche du « musical » dramatique contemporain.

L’écriture orchestrale, puise en outre dans les codes de la musique de film, qui rappellent les grandes partitions de John Williams, James Horner ou John Barry, tous emblématiques d’une narration symphonique au service de l’émotion.

Et naturellement, la musique populaire britannique, notamment sous la forme de ballades mélodiques typiquement “mccartniennes”, reste omniprésente : simplicité harmonique, goût de la ligne vocale chantante, refrains marquants et intimité poétique.

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©Michael Alesi / Palais princier

Kazuki Yamada galvanise l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo et les chœurs

Le nombre d’exécutants fascine : sous la direction de Kazuki Yamada, l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo en grande formation, le CBSO Chorus (80 choristes) et le Chœur d’enfants de l’Académie Rainier III (environ 40 enfants ) pour interpréter cette œuvre

Le chef parvient avec une remarquable maestria a équilibrer l’orchestre avec ces impressionnantes masses chorales d’une magnifique qualité et faire briller les merveilleux instrumentistes de sa phalange qui s’illustrent avec virtuosité dans nombre de solos (superbes ceux du violon ainsi et du violoncelle !) ,

Un quatuor vocal d’exception

Le quatuor vocal réuni pour l’interprétation de Liverpool Oratorio mérite une mention toute particulière, tant l’équilibre des timbres que la personnalité vocale de chacun ont contribué à l’émotion globale de l’ouvrage.

La soprano Jessica Pratt, dotée d’une voix d’une rare pureté, se glisse dans le personnage de Mary Dee avec une grâce quasi angélique. Sa projection limpide, sa souplesse vocale, mais surtout son art du legato confèrent à son interprétation une dimension spirituelle et touchante. Elle sait privilégier une sincérité expressive, alliée à une musicalité de haut vol.

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©Michael Alesi / Palais princier

Le ténor Andrew Owens, dans le rôle de Shanty, s’illustre par une prestation d’une intensité dramatique remarquable. Sa diction exemplaire et sa capacité à varier les couleurs vocales lui permettent d’explorer toutes les facettes de son personnage, depuis la légèreté de l’enfance jusqu’à la gravité de l’homme confronté à ses responsabilités. Son engagement émotionnel sans faille, confère à ses interventions un relief poignant.

On retrouve également avec plaisir la basse Erwin Schrott (Headmaster/ Preacher/ Mr Dinggle), figure bien connue de la scène monégasque, où il a marqué de son empreinte des rôles tels que Mefistofele ou Don Giovanni. Sa prestance vocale, son timbre sombre et profond, mais aussi la précision de son phrasé donnent à chacun de ses passages une autorité naturelle et théâtrale.

Révélation de la soirée : la mezzo-soprano Floriane Hasler (Miss Inkley/ Chief Mourner/ Nurse) fait valoir la richesse d’un timbre chaud doublé d’une émission parfaitement maîtrisée, d’une élocution d’une clarté rare et d’une parfaite musicalité.

Ce quatuor vocal, d’une grande homogénéité malgré la diversité des timbres, a su donner vie à la partition de McCartney avec un raffinement et une sensibilité qui ont transcendé les frontières stylistiques entre musique populaire et tradition classique.

Le public a incontestablement apprécié cet oratorio pour son exécution grandiose et raffinée.

Christian Jarniat
27 juillet 2025

Direction musicale : Kazuki Yamada

Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo

CBSO Chorus

Chœur d’enfants de l’Académie Rainier III

Avec :

Soprano : Jessica Pratt

Mezzo soprano : Floriane Hasler

Ténor : Andrew Owens

Basse-baryton : Erwin Schrott

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