Il est des productions d’opéra mythiques, immédiatement entrées dans la légende. Peter Hall avait-il cependant imaginé que sa mise en scène de l’opéra A Midsummer night’s dream, créée à Glyndebourne le 11 juin 1981, ferait encore chavirer les cœurs et transporterait toujours les spectateurs du festival quarante-quatre ans plus tard ?!
En ce soir de 100e – annoncée par Stephen Langridge himself devant le rideau, au plus grand ravissement du public – tout nous a semblé atteindre ce degré de perfection digne, par exemple, de l’évidence française d’une Cantatrice chauve à la Huchette. Le chef-d’œuvre de Britten, aussi composite, hétéroclite et protéiforme que la merveille shakespearienne, avec ses inspirations multiples, ses inventions rythmiques et harmoniques incessantes, un sens irrésistible de l’emprunt parodique ainsi que ce mélange de rire et d’émotion pure, trouve ici un accomplissement visuel et théâtral juste idéal. Lynne Hockney a eu la charge de faire revivre cette ancienne production… qui semble pourtant avoir été créée au début du cru 2025 ! Si poussière il y a, c’est de la poussière d’étoiles ! Les lumières (Paul Pyant) magnifient le décor (John Bury). Les costumes nous font retomber en enfance – avec ce léger recul et cette touche d’ironie indispensables. Il faut dire aussi que tout ici transpire l’ADN anglais, jusqu’au Trinity Boys Choir d’une luminescence sonore et d’une justesse sidérantes.
Sous la houlette caressante et précise de Bertie Baigent, le Gyndebourne Sinfonia multiplie les merveilles ; tout le nuancier s’avère exploité et l’exactitude d’horloge du mécanisme harmonique constamment (d)étonnant imaginé par Britten ne cesse d’éblouir. Tous les pupitres respirent cette musique et manifestent un bonheur (contagieux !) de jouer leur partie. Ce scintillement fusionne avec le kaléidoscope scénique : quelle ivresse !
Sur scène, les chanteurs forment – comme pour La Bohème – un ensemble, mais contrairement à la veille, le détail offre cette fois de grandes joies multiples.

L’Oberon de Nils Wanderer possède un timbre soyeux et sa voix, véritable vers luisant sonore, provoque un effet hypnotique lorsqu’elle s’apparie au célesta. Dans le registre grave, très sollicité et pour lequel le James Bowman de la création accusait de vraies limites, le chanteur opte avec bonheur pour son registre naturel, sans cassure de timbre. La stature imposante de Wanderer achève de donner à ce rôle-pivot tout son poids. Joshua Bloom offre des satisfactions tout aussi heureuses pour un Bottom juste idéal, aussi à l’aise scéniquement (un vrai showman, comme le rôle l’exige !) que vocalement : sa voix grasse, qui peut évoquer Peter Glossop, possède un impact roboratif et la franchise de l’émission permet à l’interprète de se situer au pont de jonction a priori inaccessible entre le parler et le chant. Quand vient la mise en abyme, la tessiture appelle alors brutalement une basse aux grandes orgues. Là où l’instrument de Curt Appelgren, en 1981, ne répondait plus du tout, Joshua Bloom tonne à l’envi, vrombit, et surprend par sa maîtrise de l’ambitus. Sous l’apparence de la facilité, du grand art, assurément !
Mais le plateau ne se résume pas aux deux rôles majeurs et toute l’équipe mérite des louanges, tant pour l’aisance sur les planches que pour les plaisirs vocaux qu’elle dispense.

Chez les amoureux, dont le quatuor sublime de l’acte III atteint ici une osmose qui serre le cœur et fait venir les larmes aux yeux, Samuel Dale Johnson (Demetrius) et Alexandre Lowe (Helena) possèdent des voix saines, amples, faciles. Mais c’est le couple fugitif qui atteint la beauté supérieure : Stephanie Wake-Edwards est actuellement membre du Deutsche Oper à Berlin où l’attendent, entre autres, Orlofsky, Maddalena, Cornelia. Le moins qu’on puisse dire, c’est que l’artiste promet beaucoup avec son timbre ambré, son émission féline, sa densité enfin qui, associés à des graves d’authentique contralto, permettent de fonder de grandes espérances !

Robert Lewis, pour sa part, apporte à Lysander une lumière de la plus belle eau, un sens des nuances et du clair-obscur jamais pris en défaut, un sourire vocal et facial aussi fondants l’un que l’autre, et des aigus conquérants. Que ne lui a-t-on aussi confié Rodolfo dans La Bohème de cet automne ? Son instinct théâtral et ses qualités d’artiste s’y épanouiraient à plein régime ! Espérons… Jennifer France s’acquitte quant à elle avec tous les honneurs des fusées tytaniesques (piqués et suraigus) et fait alterner avec bonheur filati et phrases vindicatives.

Mentionnons dans la troupe homogène des artisans le Flute réjouissant de James Way qui divertit beaucoup, mais ne manque jamais d’apporter à son rôle, par touches fines, de vraies régals vocaux. Jamie Wooland réussit également à retenir l’attention dans le rôle pourtant réduit de Snug grâce au grain de sa voix et à sa présence. Aux côtés de la solide Hippolyta de Clare Presland, Dingle Yandell phrase enfin son Theseus tout en noblesse.
Impossible, enfin, de ne pas mentionner le talent du jeune Saxon Fox en Puck malicieux. Trublion facétieux, garnement feu follet, teigne attachante, il synthétise à lui seul tous les atouts de la soirée : le rêve enfantin, le rire, l’émerveillement et la nostalgie, aussi.

Au sortir du spectacle, il suffit de se retourner et de contempler, à la nuit tombée, le parc du festival, les bâtiments de brique illuminés de l’intérieur et la forêt de Glynde pour avoir le tournis et ne plus savoir distinguer le rêve de la réalité, le théâtre de la vie : l’accomplissement shakespearien par essence !
Une expérience unique et un spectacle inoubliable à tous niveaux.
Glyndebourne au plus haut des cieux lyriques !
Laurent ARPISON
29 octobre 2025
Direction musicale :
Bertie Baigent
Mise en scène :
Peter Hall
Reprise par Lynne Hockney
Puck : Saxon Fox
Oberon : Nils Wanderer
Tytania : Jennifer France
Lysander :
Robert Lewis
Hermia : Stephanie Wake-Edwards
Demetrius : Samuel Dale Johnson
Helena
 : Alexandra Lowe
Bottom : Joshua Bloom
Quince
: Michael Ronan
Snug : Jamie Woollard
Starveling
: Alex Otterburn
Flute :
James Way
Snout
: Alasdair Elliott
Theseus : Dingle Yandell
Hippolyta : Clare Presland
Cobweb :
Michael Mulroy
Peaseblossom : Alex Wright
Mustardseed : Xavier Karelis
Moth :
Glenn Tong
The Glyndebourne Sinfonia
Glyndebourne Youth Opera
Trinity Boys Choir
								




