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Giulio Cesare in Egitto au Festival de Salzbourg. Les débuts baroques de Dmitri Chernakiov.

Giulio Cesare in Egitto au Festival de Salzbourg. Les débuts baroques de Dmitri Chernakiov.

dimanche 17 août 2025

© SF/Monika Rittershaus

Après avoir travaillé de concert pour la production de deux opéras de Gluck, Iphigénie en Aulide et Iphigénie en Tauride à Aix-en-Provence en 2024, Dmitri Tcherniakov et la cheffe d’orchestre Emmanuelle Haïm ont à nouveau coopéré pour leur première production commune au Festival de Salzbourg. En 25 ans de carrière, le metteur en scène n’avait jamais abordé un opéra baroque. Le défi était donc d’importance.

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© SF/Jan Friese

Dmitri Tcherniakov a d’emblée déshistorisé et délocalisé l’opéra de Haendel pour le faire se dérouler dans un réseau d’abris souterrains, un huis clos où les personnages sont enfermés lors d’une guerre non définie. Il place l’accent sur la psychologie complexe des personnages, et particulièrement celle du protagoniste, comme il l’a expliqué dans un entretien avec Tatiana Werestchagina reproduit dans le programme :

Ce qui est intéressant, c’est que nous avons affaire à un personnage complexe. Il est multiple, comme nous tous. Il est à la fois fort et lâche, héroïque et méprisable. Nous voyons la nature humaine lutter pour sa survie dans une situation extrême de combat constant et de danger perpétuel, et comment elle réagit. Cette observation est la plus précieuse. Nous ne divisons pas nos personnages en méchants et en âmes nobles. Personne n’est une simple représentation de la « bonté ». Après tout, chacun est capable de tout ; chacun peut franchir les limites à tout moment. Et pourtant, chacun peut aussi mériter une profonde compassion. “

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© SF/Monika Rittershaus

La guerre qui sévit en surface est répercutée dans le bunker par des sirènes d’alerte tonitruantes ou par la diffusion d’avis lumineux défilants qui interdisent toute sortie. De l’abri souterrain tout en béton armé on voit trois pièces éclairées aux néons. Celle de gauche est surtout occupée par César, celle de droite davantage par Cléopâtre. Des grillages, des échelons de fer rivés dans le mur pour permettre une éventuelle évacuation, des matelas à même le sol, des boîtes de conserve. En début d’opéra, ce n’est pas la tête décapitée de Pompée qui est offerte à César par le sbire de Ptolémée, mais c’est tout son cadavre qui est traîné sur scène. 

L’enfermement quasi carcéral des personnages exacerbe les passions. Dmitri Tcherniakov a une vision très négative de la nature humaine qui ne peut s’accommoder du “lieto fine”, de la fin heureuse de l’opéra. Aussi la dernière scène se conclut sur la vision de personnages éprouvés par la guerre et désespérés.

L’opéra de Haendel a exigé son tribut de cadavres et les survivants du drame ne paraissent pas mieux lotis. Tcherniakov voit la nature humaine comme profondément conflictuelle, sans espoir de salut. Des conflits irréconciliables dominent la dramaturgie de Giulio Cesare – une lutte constante où chacun est exposé à des menaces existentielles dans des situations inattendues. 

Pourtant Dmitri Tcherniakov a su dégager un espace pour le rêve, à la scène 2 de l’acte II. Il fait apparaître un orchestre au-dessus du bunker, qui joue une symphonie, une image poético-romantique qui contraste avec le reste de l’opéra. César entend dans les sphères célestes un son harmonieux qui le ravit (“Cieli, e qual delle sfere scende armonico suon, che mi rapisce?”). 

Le livret mentionne la vision du Parnasse où trône la Vertu, assistée des neuf Muses. Un moment de charme extatique, comme une oasis musicale, que l’humaine nature aura tôt fait d’occulter. Le Cesare de Tcherniakov “sombre dans une mélancolie prolongée, sentant que tout ce sur quoi il a construit sa vie, toutes ses valeurs, ont perdu leur sens. Il est peut-être le seul à ce stade de l’histoire à en être conscient. Il se sent comme un rien, un corps sans défense, perdu, vulnérable, en manque de soutien.”

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© SF/Marco Borrelli

Emmanuelle Haïm, qui a déjà dirigé Giulio Cesare in Egitto à diverses occasions (à Chicago en 2007, à Garnier en 2011), apporte à la production toute son expertise haendelienne et s’applique à mettre en exergue la conduite dramatique de la composition dont la musique met en évidence et individualise la trajectoire affective et émotionnelle de chacun des personnages. De son clavecin, elle invite le Concert d’Astrée à rendre la veine lyrique, l’expressivité et les contrastes dramatiques de l’opéra de Haendel.

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© SF/Monika Rittershaus

Christophe Dumaux apporte sa connaissance de cet opéra qu’il a souvent abordé dans le rôle de Tolomeo pour lequel il est sollicité dans le monde entier. Il offre un Giulio Cesare vocalement accompli, souple et agile, semblant se jouer des difficultés du rôle. Il campe son personnage avec prestance et autorité et, comme le veut le metteur en scène, l’entraîne dans les dérives du désespoir.

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© SF/Monika Rittershaus

L’ukrainienne Olga Kulchynska fait des débuts glorieux à Salzbourg dans le rôle de Cleopatra, à laquelle elle confère l’irradiation lumineuse et les couleurs irisées de son soprano chaleureux. Déguisée en Lidia, une suivante de Cléopâtre elle est affublée d’une longue perruque rose qui conviendrait à un quelconque lupanar, elle apparaît par la suite au naturel et donnera un “Piangerò la sorte mia” époustouflant.

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© SF/Monika Rittershaus

La mezzo-soprano française Lucile Richardot habille de mâles vertus le personnage de Cornelia avec sa voix puissamment dramatique, dotée de sombres couleurs, qui exprime remarquablement les douleurs de la maltraitance la plus infamante.

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© SF/Monika Rittershaus

Federico Fiorio, qui a beaucoup pratiqué le rôle de Sesto la saison dernière dans le Nord de l’Italie, en donne une interprétation très juvénile de sa voix de sopraniste, un Sesto effondré par l’assassinat ignominieux de son père, un jeune homme agité de tremblements nerveux et qui peine à se maîtriser.

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© SF/Monika Rittershaus

Le contre-ténor ukrainien Yuriy Mynenko campe un Tolomeo au comble de l’ignominie, en long pardessus brun, les cheveux avec une longue frange latérale, à la démesure du personnage.

Le baryton moldave Andrey Zhilikovsky fait des débuts salzbourgeois remarqués dans le rôle d’Achilla, qu’il interprète également pour la première fois avec les nuances très sombres d’une voix bien projetée.

Troisième contre-ténor, l’Américain Jake Ingbar chante Nireno, eunuque et confident de Cléopâtre. Le jeune chanteur Roberto Raso réussit un excellent Curio.

Le spectacle a reçu des applaudissements nourris qui se sont vite mués en standing ovation.

Luc-Henri ROGER

Production et distribution du 17 août 2025

Direction musicale et clavecin : Emmanuelle Haïm
Mise en scène et scénographie : Dmitri Tcherniakov
Costumes : Elena Zaytseva
Lumières : Gleb Filshtinsky
Chorégraphie du combat : Arthur Braun
Dramaturgie : Tatiana Verestchagina 

Giulio Cesare : Christophe Dumaux
Cleopatra : Olga Kulchynska
Cornelia : Lucile Richardot
Sesto : Federico Fiorio
Tolomeo : Yuri Mynenko
Achilla : Andreï Jilikhovsky
Nireno : Jake Ingbar
Curio : Robert Raso 

Chœur Bach de Salzbourg
Répétition de la chorale de Michael Schneider
Le Concert d’Astrée 

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