Logo-Resonances-Lyriques
Menu
Giulio Cesare de Haendel dans une mise en scène de Calixto Bieito au Liceu de Barcelone

Giulio Cesare de Haendel dans une mise en scène de Calixto Bieito au Liceu de Barcelone

dimanche 25 mai 2025

©David Ruanoi

Le Théâtre du Liceu à Barcelone présente en coproduction avec le Théâtre national des Pays-Bas Giulio Cesare de Haendel dans une mise en scène de Calixto Bieito et une distribution en partie différente. La direction d’orchestre a été confiée au claveciniste et chef d’orchestre William Christie, un éminent spécialiste de la musique baroque. Un orchestre mixte a été composé pour la circonstance avec des instrumentistes de l’orchestre du Liceu et des musiciens baroques invités, dont quatre membres des Arts florissants. Leur expertise et leurs conseils ont permis de transformer avec succès l’orchestre barcelonais en un  orchestre baroque. William Christie s’est déclaré plus que satisfait du travail de cet orchestre recomposé : « Nous étions tous inquiets, mais nous n’avions pas besoin de l’être. C’est un miracle. Il faut savoir que l’orchestre baroque du Liceu est né et c’est une étape impressionnante ». 

IMG 5662
©David Ruanoi

À Barcelone comme à Amsterdam, la mise en scène de Calixto Bieito a été très diversement accueillie. Fait étonnant, le metteur en scène s’est déchargé des répétitions sur trois de ses assistantes et n’a pas cru devoir y assister ni même se présenter aux salutations, ce qui fait qu’on ne put en salle enregistrer les réactions du public interloqué par cette curieuse absence lors d’un soir de première. 

Bieito n’aborde pas cet opéra comme un document historique mais en déplace l’action dans un présent aux contours incertains, il s’est surtout intéressé à explorer des composantes de la nature humaine,  spécialement  la dimension toxique de l’obsession du pouvoir. Ce choix correspond bien à la vocation de l’opéra seria du 18ème siècle qui cherchait dans les événements passés et les récits mythologiques un modèle de conduite, un guide moral qui montrerait les vertus et les défauts du caractère humain. L’intérêt du librettiste Nicola Francesco Haym, qui a adapté une version antérieure de 1676 écrite par Giacomo Francesco Bussani pour un opéra d’Antonio Sartorio, n’était pas tant de reconstruire une intrigue que de réfléchir sur le pouvoir : l’argument principal s’articule autour des luttes de pouvoir émaillées de trahison. Il y a un verbe qui revient constamment dans le livret et que partagent plusieurs personnages de l’opéra : “gouverner.” 

IMG 5639
©David Ruanoi

La scénographie de Rebecca Ringst installe sur la scène un grand parallélépipède rectangle, un pavé droit métallique aux parois de tôles perforées d’une multitude de petites ouvertures resserrées. Ces surfaces permettent selon l’éclairage de distinguer l’intérieur du pavé, comportant notamment un escalier qui donne accès à la face supérieure, ou de servir d’espace  pour diverses projections. Ce décor minimaliste permet de mettre en valeur la dramaturgie :  dans les premières scènes, Calixto Bieito s’attache à dessiner les contours des personnages présentés comme des archétypes de leurs conflits moraux. Bientôt on verra le pavé s’élever sur sa tranche postérieure au moyen de deux puissants vérins hydrauliques qui lui donne une remarquable inclinaison sous forme de  pente. Il ressemblera alors au bâtiment futuriste qui l’a inspiré : l’imposant pavillon de l’Arabie Saoudite de l’Exposition internationale de Dubaï en 2020,  le deuxième en importance d’un ensemble érigé dans une zone désertique de l’émirat. Le pavillon avait remporté le prix d’honneur dans la catégorie du meilleur design extérieur et du meilleur affichage, grâce notamment à son immense miroir à écran numérique interactif (plus de 1 240 mètres carrés).  L’écran miroir du pavillon saoudien présentait les innovations du pays et son originalité. Les projections sur le parallélépipède incliné de Barcelone évoquent ici l’Égypte ancienne en recevant l’impression d’un texte défilant rédigé en hiéroglyphes, qui rappellent les calligraphies géantes d’un texte coranique sur une des faces du pavillon saoudien,  elles expriment là la sensualité et la lubricité des protagonistes  avec un gros plan sur des lèvres rouges et des yeux maquillés, donnent à voir une plage et les vagues déferlantes de la mer, un ciel bleu et blanc ou une nuit au clair de multiples lunes.

T25 GC S2 004 scaled
©David Ruanoi

La structure flexible du pavé incliné permet le jeu complexe du positionnement des personnages qui parfois montent l’escalier pour accéder au toit, ils sont alors pourvus d’un baudrier de sécurité. Ainsi de Sesto qui se servira ensuite de son baudrier pour assassiner Tolomeo, de Giulio Cesare ou de Cleopatra qui laissera pendre son abondante chevelure cachée sous un voile en début de spectacle. 

T25 GC S2 008
©David Ruanoi

L’obsession du pouvoir ne s’encombre d’aucun scrupule. Ainsi, d’entrée de jeu, du meurtre de Pompée et de sa décapitation. Calixto Bieito s’empare de la tête coupée offerte par Ptolémée à César et en fait un objet central de sa mise en scène : on voit Achilla apporter la tête dans un sac en plastique comme le ferait une ménagère au sortir de ses courses. Il en sort une espèce de balle ensanglantée et de la charpie rouge. Cette exposition et la manipulation de la tête et des déchets sanglants par les protagonistes vont bien au-delà de leur mention dans le livret, elles semblent être aussi utilisées à des fins de provocation. Les provocations vont ensuite se succéder comme autant de gloses du texte du livret. Ainsi verra-t-on se profiler une relation incestueuse entre Cornelia et son fils Sesto, — est-ce là la conséquence de la douleur d’avoir perdu un mari et un père encore renforcée par l’horreur de son exécution ? Cette relation deviendra plus tard cannibale lorsqu’on verra Cornelia mordre à pleines dents dans le bras de Sesto. Cette femme qui a tout perdu éprouve-t-elle pour son fils un amour dévorant ?

IMG 5667 1
©David Ruanoi

Le personnage de Ptolémée reçoit un traitement conforme à sa réputation d’être efféminé entouré de beaux hommes musclés dans une scène de partouze homosexuelle. À la fin de l’opéra, pour le lieto fine, Cesare et Cleopatra défont l’emballage de somptueux cadeaux : ils se sont mutuellement offerts des trônes, qui ne sont autre que des cuvettes de toilettes en or massif. Ces cuvettes sont aussitôt désirées par les autres survivants et la tableau final aligne pas moins de 7 cuvettes en or. Cela rappelle peut-être l’installation America de l’artiste Maurizio Cattelan au Musée Guggenheim de New York, que le musée présentait comme « un clin d’œil aux excès du marché de l’art, mais évoque également le rêve américain de la chance pour tous ». Une anecdote savoureuse relate que lors de son premier mandat, un président américain très porté sur l’or massif aurait en 2018 demandé au Guggenheim le prêt d’un Van Gogh pour décorer les appartements privés de la Maison Blanche. Il se serait vu opposer un refus, mais le musée lui aurait ironiquement proposé en échange le prêt du wc en or massif.  Le costume bleu et la cravate rouge de Giulio Cesare pourraient bien pointer dans la même direction.

IMG 5609
©David Ruanoi

Les chanteurs et les chanteuses sont vêtus d’innombrables vêtements haute-couture dessinés par Ingo Krügler qui exigent de nombreux changements de costumes. Ainsi de Cleopatra qui apparaît dans une élégante longue robe bleue, les cheveux couverts par un hijab. On la verra ensuite en robe rouge, puis dans un peignoir de plage turquoise, puis en maillot de bain pour des scènes balnéaires. Et, pour la scène finale, dans une tenue moulante noir et or. 

Trois chanteurs de la production d’Amsterdam sont présents sur la scène catalane : la mezzo-soprano italienne Teresa Iervolino (Cornelia), le contre-ténor perso-canadien Cameron Shahbazi (Tolomeo) et la soprano française Julie Fuchs (Cleopatra). Cet excellent trio expérimenté donne le meilleur de la soirée.

T25 GC S2 029
©David Ruanoi

C’est dans le rôle de Cornelia que Teresa Iervolino avait abordé le répertoire baroque à Toulon, auquel avait suivi celui d’Holopherne à la Fenice. Dotée d’une voix profonde et chaleureuse, elle incarne son rôle avec force et énergie et lui apporte une présence scénique imposante. La mezzo-soprano Helen Charlston donne un Sesto étourdissant avec parfois des accents de contre-ténor. Sa composition de ce rôle en pantalon est confondante de véracité, on croit voir et entendre un jeune homme accablé et furieux pris dans un maelstrom de sentiments. Seul bémol, la mise en scène lui rend son aspect féminin lors de sa dernière scène, un peu comme un travesti qui ôte sa perruque en fin de numéro, mais ici cela dessert le propos. Cameron Shahbazi  incarne un superbe Tolomeo, sensuel, féminin, félin et rusé.

IMG 5627
©David Ruanoi

Giulio Cesare est chanté par le contre-ténor barcelonais Xavier Sabata, un enfant du pays très apprécié par le public catalan. Homme de prestance avantageuse et de stature bien campée, il donne une composition très énergique de son personnage, mais n’a hélas ni la puissance ni la projection requises pour la grande salle du Liceu et reste vocalement en retrait du rôle. Curieusement, il porte la barbe, une pilosité que les Romains associaient à des cultures orientales décadentes.

T25 GC S2 015
©David Ruanoi

La Cleopatra de la soprano française Julie Fuchs constitue le plus grand bonheur de la soirée, elle sera longuement ovationnée par un public enthousiaste et totalement conquis par la technique pointue et la performance hors-norme de cette très grande chanteuse dont la prestation tout en souplesse est remarquable par le contrôle du souffle et une interprétation très naturelle et authentique. Un talent qui combine la justesse du geste, l’audace et l’énergie, la beauté du phrasé et la puissance de la projection. Les rôles secondaires, l’Achilla du baryton espagnol José Antonio López, le Nireno du contre-ténor barcelonais Alberto Miguelez Rouco et le Curio du baryton espagnol Jan Antem sont de belle façon. 

Luc-Henri ROGER
25 mai 2025

 

IMG 5619
Direction musicale : William Christie

Production et distribution


Mise en scène : Calixto Bieito
Direction d’orchestre : William Christie
Scénographie : Rebecca Ringst
Costumes : Ingo Kruegler
Eclairage : Michael Bauer
Vidéo : Sarah Derendinger
Dramaturgie : Bettina Auer
Production Gran Teatre del Liceu et Dutch National Opera
Orchestre symphonique du Gran Teatre del Liceu
Assistance à la direction musicale Emmanuel Resche-Caserta et Florian Carré

Giulio Cesare :  Xavier Sabata contre-ténor
Cornelia :  Teresa Iervolino mezzo-soprano
Sesto :  Helen Charlston mezzo-soprano
Cleopatra :  Julie Fuchs soprano
Tolomeo : Cameron Shahbazi contre-ténor
Achilla : José Antonio López baryton
Nireno : Alberto Miguelez Rouco contre-ténor
Curio : Jan Antem baryton

Imprimer
Cookies
Nous utilisons des cookies. Vous pouvez configurer ou refuser les cookies dans votre navigateur. Vous pouvez aussi accepter tous les cookies en cliquant sur le bouton « Accepter tous les cookies ». Pour plus d’informations, vous pouvez consulter notre Politique de confidentialité et des cookies.