Quelle meilleure opportunité, pour clore en beauté l’année 2019, que de retrouver à l’Auditorium Rainier III l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo ? Et ce pour un concert intitulé : From Broadway to Hollywood consacré à la comédie musicale et aux grands standards de la chanson américaine. La prestigieuse phalange de la Principauté est dirigée par Yvan Cassar, à la fois pianiste, chef d’orchestre, compositeur, arrangeur et réalisateur artistique, concepteur musical de grands événements aux côtés de stars de la chanson. Ayant œuvré à la tête d’éminentes formations classiques, cet artiste-protée connaît donc sur le bout des doigts tous les genres et tous les styles, ce qui lui permet ici de briller particulièrement dans un tel répertoire avec un instrument magnifique : l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo auquel s’étaient joints quelques musiciens spécialisés dans la musique de jazz : le batteur André Ceccarelli, le contrebassiste Laurent Vernerey, le saxophoniste Stéphane Chausse et le trompettiste Joël Chausse.
La suite orchestrale de Porgy and Bess de George Gershwin sonne somptueusement, mettant en valeur tous les pupitres de l’orchestre : cordes virtuoses et enivrantes, bois chaleureux, cuivres flamboyants, percussions impressionnantes. Même plaisir renouvelé avec les versions symphoniques de « Smile », thème du film de Charlie Chaplin Les temps modernes (1936), de « Sleigh Ride » (« Promenade en traîneau ») de Leroy Anderson (1948) ou encore du film La La Land musique de Justin Hurwitz (2016)
Parmi les solistes chanteurs on retrouvait Natalie Dessay qui, après s’être illustrée pendant 23 années dans les théâtres du monde entier avec le répertoire d’opéra décida, en 2013, de quitter les scènes lyriques pour se consacrer notamment au théâtre. Sa rencontre avec Michel Legrand a été déterminante pour aborder l’univers de la chanson et de la comédie musicale avec, au Théâtre du Châtelet, Les Parapluies de Cherbourg puis Passion de Stephen Sondheim où elle incarnait Fosca. Avec « I got rythm », composé par Gershwin en 1930, Natalie Dessay succède à Ella Fitzgerald et à Judy Garland (en 1943 dans le film Girl Crazy ) puis à Gene Kelly (en 1951 dans Un Américain à Paris). Elle donne le ton de ce concert qui précisément se veut rythmé et jazzy. Suit « Something’s coming » (« Quelque chose va m’arriver ») de West Side Story, air attribué dans la comédie musicale de Leonard Bernstein à Tony, mais qui, lui, est aussi devenu un standard de la chanson internationale (avec Shirley Bassey et Barbra Streisand). On ne peut qu’admirer la réussite d’une conversion parfaitement maîtrisée par une diva de l’art lyrique – d’envergure internationale – dans un autre style musical et vocal qui exige, sans aucun doute, une grande détermination et un non moins important travail. L’hommage à Michel Legrand s’imposait avec tout d’abord Between Yersterday and Tomorrow (Entre hier et demain) un projet qui durait depuis plus de 4 décennies ayant pour sujet « l’histoire extraordinaire d’une femme ordinaire de sa naissance à sa mort » et qui tient à la fois de l’opéra, de la comédie musicale et de l’oratorio. A l’origine l’œuvre était destinée à Barbra Streisand qui avait commencé à l’enregistrer mais qui finit par y renoncer. Michel Legrand remit, 45 ans plus tard, le travail sur l’ouvrage en le complétant et en le terminant pour Natalie Dessay. Après l’air qui emprunte au titre générique c’est « Mother and Child » une ode d’amour d’une mère à son enfant qui prend ici tout son sens et un poids émotionnel particulier puisque Natalie Dessay l’adresse à sa propre fille Neïma Naouri.
Celle-ci a de qui tenir puisque son père, Laurent Naouri, poursuit une remarquable carrière de baryton. Neïma s’est fait une place, ces toutes dernières années, dans la chanson et la comédie musicale. Natalie Dessay fait ensuite référence à Yentl – peut être le chef d’œuvre de Michel Legrand ?- avec « Papa can you hear me ? » (« Papa peux tu m’entendre ? »)
A son tour Neïma Naouri galvanise la salle avec le célèbre « People » extrait de Funny Girl, la comédie musicale de Jule Styne qui triomphe actuellement au Théâtre Marigny de Paris. Toutes ses autres chansons font mouche le public appréciant, à juste titre, la voix chaude et le constant engagement de cette jeune chanteuse particulièrement douée et déjà charismatique. Le concert accueillait également Hugh Coltman, britannique vivant en France, ancien leader du groupe de blues-rock « The Hoax » qui se consacre désormais au répertoire crooner du jazz. Il fit entendre nombre de chansons de Nat King Cole (comme « Ballerina » de Carl Sigman) et de Frank Sinatra. Un grand clin d’œil à Noël avec «Let it snow ! » («Qu’il neige ! ») composé en 1945 par Jule Styne et qui fit les délices de Dean Martin ou Frank Sinatra sans oublier la chanson de Jiminy dans le Pinocchio de Walt Disney : « When you wish upon a star » (« Quand on prie la bonne étoile ») signée Leigh Harline.
Au final les trois interprètes se retrouvent dans un trépidant extrait de la comédie musicale Annie get your gun ( Annie du Far West) composée en 1946 par Irving Berlin : « There’s no business like show business » (« Il n’y a pas d’entreprise comme celle du spectacle »).
Christian Jarniat
29 décembre 2019