Frédéric Achard, acteur clé dans la préservation de la tradition théâtrale méridionale, brille dans son double rôle de metteur en scène de Marius et d’interprète de César, témoignant ainsi de son profond engagement pour le théâtre.
Il s’inscrit dans la lignée des grands comédiens du Sud, en tant qu’artiste aux multiples facettes, à la fois acteur, metteur en scène mais également musicien.
Dans une collaboration étroite avec son ami Christian Guérin, directeur de la Compagnie théâtrale Biagini, ils se sont attelés à un projet des plus ambitieux : insuffler une nouvelle vie à Marius, afin d’en étendre la renommée bien au-delà du Midi. Ce dessein audacieux a connu son apogée le 28 février dernier, coïncidant à la fois avec le jour anniversaire de la naissance de Marcel Pagnol et le cinquantenaire de sa disparition.
Pendant quatre soirées consécutives, le Théâtre Comœdia affichait complet, laissant l’enthousiasme et l’émotion régner en maîtres. En se faisant le porte-voix de l’âme provençale à travers Marius, Frédéric Achard ne s’est pas contenté de rendre un hommage à Pagnol; l’artiste a ressuscité l’esprit d’une époque, capturant l’essence même du patrimoine régional et de ses traditions.
C’est à cette occasion que nous avons rencontré Frédéric Achard sous le ciel d’Aubagne, berceau de Marcel Pagnol.
Quel a été votre parcours de formation ?
Je baigne dans le théâtre depuis l’enfance, et suis devenu professionnel il y a près de vingt-cinq ans. J’ai d’abord été autodidacte, puis j’ai suivi pendant trois ans des cours à Marseille dans une école privée de théâtre (L’école professionnelle d’acteurs), où effectivement je me suis initié à la technique qui peut-être me manquait et l’avantage que j’ai eu à ce moment-là a été de commencer à tourner professionnellement. J’ai donc acquis et pu apprendre ce dont j’avais besoin sur le tas, au contact de comédiens.
Comment évoluez-vous dans le monde du spectacle ?
Je fais quelques apparitions au cinéma et à la télévision, je chante également dans un groupe Marseillais “Quartiers Nord”. J’ai joué dans toutes les œuvres de Pagnol, sauf une : La Fille du puisatier.
Quelle est la première des œuvres de Pagnol que vous avez jouée ?
C’était Marius ! J’avais 7 ans quand mon père, comédien amateur, m’a fait découvrir le théâtre en me proposant de passer pour la première fois de la salle à la scène, mais en voix-off, donc je n’apparaissais pas physiquement sur le plateau. J’étais la voix qui appelle Panisse à deux moments au premier acte. Mon père m’a immergé dans cet univers que je ne connaissais pas et que j’ai tout de suite trouvé magique. J’ai immédiatement aimé les décors, les costumes, les lumières. Voir comment on arrivait à faire vivre un plateau m’a également fasciné. J’ai été comme “piqué” à ce moment-là.
Puis, j’ai continué à faire du théâtre avec mon père pendant des années en tant qu’amateur. Un peu plus tard, la Compagnie César choisit, une troupe professionnelle, m’a découvert et m’a offert le rôle de Marius en professionnel. A cette occasion, par un émouvant retour des choses, mon père a tenu le rôle de Panisse en devenant professionnel après sa retraite. Nous avons joué pendant cinq ans la trilogie, lui Panisse, moi Marius. Je garde un souvenir mémorable de ces années.
En parallèle, j’avais ma propre compagnie sur Aubagne qui s’appelait La Compagnie scène d’esprit, au sein de laquelle nous avons créé avec Patrick Mazzone (qui joue Panisse), Fabien Rouman (Escartefigue) ainsi qu’un autre camarade les randonnées théâtrales. Nous emmenions les spectateurs directement sur les lieux de tournage des films de Pagnol, sous forme de déambulations.
Avez-vous eu un moment ou une expérience en particulier qui a défini votre carrière ?
Non, c’est Marcel Pagnol qui a orienté ma carrière. Je pense que ce qui est magique avec lui, c’est qu’on a jamais fini de creuser. Donc à lui seul il remplit ma vie d’artiste, mais j’aime aussi jouer des œuvres d’autres auteurs.
Quels artistes vous ont particulièrement inspiré ?
Raimu bien sûr, mais je suis fan et j’ai de plus en plus la nostalgie des acteurs des années 70 : Rochefort, Belmondo, Marielle, Noiret. Évidemment Ventura et Gabin sont pour moi des artistes dotés d’un charisme incroyable. J’aime aussi beaucoup l’univers de Scorsese…Le côté mafieux, peut-être parce que je suis Marseillais aussi.
Revenons à Marius, comment a démarré cette version de la trilogie ? Quel en a été le catalyseur?
Ma rencontre avec Christian Guérin s’est faite par hasard au Théâtre du Verseau à Cannes, où j’ai dû remplacer au pied levé un comédien dans Manon des Sources. Nous avons eu l’opportunité de jouer Jules et Marcel, mis en scène par Nicolas Pagnol : une centaine de dates en France et au Canada. C’est là d’ailleurs qu’un soir, en regardant des interviews pour approfondir notre connaissance sur Marcel Pagnol et Raimu, nous avons eu l’idée de monter un jour Marius.
Comment avez-vous choisi les interprètes de votre Marius ?
Christian Guérin a sélectionné Pierre Blain qu’il considérait parfait pour incarner un excellent Monsieur Brun. d’une grande gentillesse et d’un humour contagieux, doté d’un professionnalisme et d’une passion pour le théâtre, il se singularise en mêlant habilement le burlesque et le sérieux. Il y a environ 15 ans, j’avais promis le rôle d’Honorine à Christiane Conil, tandis que les personnages de Panisse et Escartefigue étaient destinés à Patrick et Fabien.
Lors d’un casting à Villefranche-sur-Mer, pour trouver les rôles de Marius et Fanny, parmi tous les concurrents figurait Patrizia Koeva. Dès que je suis entré dans la salle, je l’ai vue.
Et sa voix… Rien que sa voix… Je me suis immédiatement dit : « Ah ! qu’est-ce qu’elle est agréable à écouter ! » Elle dégageait aussi un truc nonchalant, elle savait en outre “envoyer”. Elle représentait pour moi la femme moderne : Fanny.
Mais il n’y avait pas de Marius…Tout de suite j’ai vu que Marius n’était pas là…
Et alors ?…
Je pars tourner un téléfilm d’époque et j’y rencontre Julien (Bodet) que j’avais connu il y a quelques années : nous avions joué ensemble La Pastorale. Il correspondait au Marius que j’avais en tête. Quand je l’ai vu travailler avec autant de rapidité que de précision, il n’y avait plus de doute !
Restait à convaincre mon ami Christian Guérin, en la circonstance chargé de la production. Quelque temps plus tard nous nous donnions rendez-vous à Marseille au Bar de la Marine pour rencontrer Julien… et là l’évidence nous est apparue. Nous avons Julien et moi, beaucoup discuté en évoquant nos vies privées : c’est sur tous ces éléments que nous avons construit notre relation père-fils pour la pièce.
En ayant ainsi complété toute la distribution, j’ai eu la chance de travailler avec des professionnels de talent, qui possédaient tous une culture Pagnolienne, ce qui était évidemment le plus important pour moi. Ce ne sont pas seulement des personnages qu’ils jouent, mais ils incarnent aussi des souvenirs d’enfance : Patrick, Fabien, Christian, Julien et moi avons baigné toute notre vie dans l’univers de Marcel Pagnol, on a ça dans le sang !
Comment, vous et vos partenaires, ressentez-vous ce retour aux sources, cette immersion dans le berceau de l’œuvre pagnolienne ?
Comme un bien immense et une énorme fierté ! D’autant que nous avons aussi joué à Marseille au CEPAC Silo, dans le fief de Marius et ici, au Théâtre Comœdia d’Aubagne, nous devions assurer une seule représentation, nous en affichons quatre, dans la ville qui a vu naître notre académicien préféré.
Dans la scénographie de Marius, malgré la prédominance du décor de bar, il a été décidé d’intégrer un espace extérieur…
Il faut par moments aérer et élargir la vision du spectateur. On ne peut pas tout jouer dans un espace fermé : on est à Marseille, la terrasse et les scènes extérieures apportent de la variété et des situations sympathiques. L’arrivée de Monsieur Brun devant le Vieux Port ou la scène de Marius et Fanny sur les quais enrichissent l’histoire et semblent plus logiques à l’extérieur. Petit secret, j’ai aussi été inspiré par une bande dessinée sur Marius, notamment pour certaines scènes en extérieur et également pour les costumes. J’aime beaucoup le coup de crayon du dessinateur et les couleurs qu’il utilise, j’en ai parlé à la costumière qui a fait un magnifique travail.
À quoi attribuez-vous cet engouement du public pour Marius ?
A la magie de Marcel Pagnol !…
Nous n’avons pas de tête d’affiche dans l’équipe et cela ne nous intéresse pas d’ailleurs. Je pense que notre force réside dans la capacité à reconnecter le public, tant marseillais qu’aubagnais avec l’essence véritable de l’œuvre originale évitant ainsi les caricatures qui ont parfois émaillé d’autres adaptations.
La magie de Pagnol, c’est sa capacité à toucher universellement. Nous sommes particulièrement fiers d’attirer une nouvelle génération de spectateurs.
Quelles sont vos aspirations à long terme ?
J’aimerais vraiment compléter la trilogie, c’est un objectif fondamental pour moi. Il est impossible d’aborder Marius sans la perspective de continuer avec Fanny et César. Il est important pour nous de faire évoluer nos personnages au fil du temps.
Propos recueillis par Cécile Day Beaubié