Cette Norma, programmée en version concertante, a été plus que réussie, car tous les intervenants ont chanté leur rôle par cœur, et en plus, chacun s’est livré, devant l’Orchestre, à sa petite mise en scène personnelle. Ce qui a permis d’apprécier l’essentiel : la beauté du chant. Un autre point positif était celui de faire monter l’Orchestre sur scène, permettant ainsi à la magnifique écriture de Bellini de se révéler encore plus riche, plus raffinée et plus subtile. Un régal pour l’écoute !!!
L’Orchestre du Festival de Gstaad, dont les musiciens n’ont pas une grande habitude de jouer ensemble, était ce soir, en très grande forme et nous a offert le meilleur. On nota en particulier un beau pupitre de violoncelles, des cordes soyeuses, une flûtiste remarquable, des cors pas toujours très sûrs, mais très impliqués musicalement, une section de bois jouant avec de subtiles nuances, telle une musique de chambre. Mais, il y a surtout l’approche de Domingo Hindoyan qui s’est inscrite précisément dans cette tension orchestrale. Au début, le style agogique du Maestro est resté très maîtrisé, presque froid, les tempi toujours pertinents, sa battue n’a jamais rien de heurté. Sa façon d’intensifier la tension dans le finale est impressionnante et l’énergie si dense dans les dernières pages du chef d’œuvre de Bellini.
Le Chor der Bühne de Berne a été à la hauteur de la distribution pour cette représentation. Non seulement par la masse sonore et puissante, mais jamais excessive, sans débordement. Le choix de ne pas placer le chœur statiquement derrière l’orchestre, mais plutôt de le faire se mouvoir devant ou à côté de l’ensemble, a donné à la structure concertante une impression de souffle théâtral.
Dans le rôle de Norma, la prima donna Sonya Yoncheva, habituée du Festpielhaus Baden-Baden possède quelque chose d’infaillible : l’autorité de son timbre. Elle aborda ce rôle avec audace et témérité. Son soprano est sombre à l’origine, la couleur imprégnée d’un fin voile qui s’ouvre en amont et laisse entrer la lumière. Sa cavatine « Casta Diva » est ici plus qu’une simple carte de visite, elle tient le rythme avec une maîtrise de la messa di voce, le fondu en mezzo-forte. C’était somptueux. Mais, quand il s’agit d’incarner une prêtresse sauvage et bafouée, tout paraît plus difficile, le medium manque de substance et l’aigu au fur et mesure sonne de moins en moins juste. Chantant souvent de profil, on la voit parfois s’approcher de l’estrade du chef comme pour lui demander conseil, et se retourner face au public pour émettre ses notes les plus fortes. Quant à la gestuelle, elle se résume à passer ses mains dans sa chevelure… Mais, au passage, on aura admiré ses trois belles tenues qu’elle portait dans ce spectacle : la première blanche scintillante de strass, suivie d’un fourreau noir recouvert d’un manteau noir cousu d’or et enfin la dernière, immaculée aux volants envahissants.
L’Adalgisa de Karine Deshayes a brillé dès la première entrée et a habité la jeune druidesse avec un soin tout particulier. Elle qui a beaucoup chanté le rôle-titre (entre autres à Strasbourg) mais dont la tessiture ne lui convenait pas, nous a offert ce soir une merveilleuse Adalgisa, rôle qu’elle chante maintenant depuis plus de 15 ans et qu’elle connaît sur le « bout des lèvres ». Dans sa robe rouge, elle ajoutait une touche visuelle de couleur. Dans les grands duos avec Yoncheva les timbres se fondent dans un clair-obscur qui définissait l’émotion de la soirée : deux voix qui ne se « couvraient » pas, mais se portaient l’une l’autre.
Le ténor roumain Stefan Pop joue un Pollione « tonitruant ». Sa voix a une projection franche et sonore, assortie de vraies qualités belcantistes. Un beau chant juste, une expression scénique très convaincante : il est militaire avant tout mais au fil du drame, il devient sensible. Ce n’est plus un charmeur, mais un homme déterminé. En fait, c’est un interprète crédible pour ce rôle tellement ingrat.
La basse russe Alexander Vinogradov est un Oroveso très impliqué vocalement et scéniquement. Il possède ce timbre perçant, presque métallique, qui transmet l’autorité sans comprimer le vibrato. Il mène la ligne de chant avec gravité, les éclats jaillissant du corps et non de la gorge. Sa voix par moment est chargée de spiritualité, sans jamais se laisser envahir par le pathos.
Les petits rôles s’emboîtaient habilement. Kristina Klein incarnait Clotilde avec un ton clair et précis, et une présence assurée. Quant à Marin Yonchev (frère de Sonya Yoncheva), il campait un Flavio manquant d’assise.
Somme toute, ce soir au Festpielhaus de Baden-Baden, la beauté de la musique de Bellini était la grande triomphatrice !!!!
Marie-Thérèse Werling
24 août 2025
Direction : Domingo Hindoyan
Norma : Sonya Yoncheva
Adalgisa : Karine Deshayes
Pollione : Stefan Pop
Oroveso : Alexander Vinogradov
Clotilde : Kristina Klein
Marin Yonchev : Flavio
Chor der Bühne Bern, Zsolt Czetner (chef de chœur)
Gstaad Festival Orchestra